Accéder au contenu principal

Les droits d’auteur en danger ? Ce que l’affaire « Bartz contre Anthropic » risque de changer aux États-Unis… et ailleurs

  Par  Maximiliano Marzetti , IÉSEG School of Management Aux États-Unis, un premier jugement autorise l’usage d’œuvres légalement acquises pour l’apprentissage des modèles d’intelligence artificielle, mais le recours à des contenus piratés est, lui, explicitement condamné. Un coup d’arrêt pour les auteurs, et un bouleversement juridique aux enjeux internationaux ? En 2024, les auteurs Andrea Bartz, Charles Graeber et Kirk Wallace Johnson ont porté plainte contre Anthropic, l’un des géants de l’intelligence artificielle (IA), l’accusant d’avoir utilisé leurs ouvrages pour entraîner son modèle de langage Claude . Cette affaire s’inscrit dans une série de litiges similaires : au moins 47 procès ont déjà été engagés aux États-Unis, visant différentes entreprises consacrées à l’IA. La question principale ? Les modèles d’IA auraient été entraînés à partir d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sans autorisation préalable des auteurs,...

Quelle place pour les maths en France ?

 

math

Par Claude Lelièvre, Université de Paris

Un vent de tempête semble actuellement souffler sur l’enseignement des mathématiques si l’on en juge par les déclarations fracassantes de ce début d’année 2022 autour de la réforme du lycée initiée par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, et entrée en vigueur en 2019.

En mettant fin aux séries générales S (scientifique), L (littéraire) et ES (économique et sociale), cette réforme a réorganisé les programmes de première et de terminale autour d’un tronc de matières obligatoires, d’enseignements de spécialité – trois en première, deux en terminale à choisir parmi une dizaine de possibilités – et d’une à deux options.

Dans ce cadre, les maths quittent dès la fin de la seconde le tronc commun et sont enseignées soit en spécialité soit en option « mathématiques complémentaires » en terminale pour ceux qui abandonnent la spécialité en terminale. « Nous avons voulu faire baisser la pression sur cette discipline et qu’elle ne soit plus une variable de sélection des élèves, mais un enseignement de choix », a déclaré au Monde l’inspecteur général Charles Torossian, coauteur avec Cédric Villani, en 2018, des « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques ».

Résultat : le nombre d’élèves étudiant les maths jusqu’au bac serait en déclin. En 2020-2021, « 59 % des élèves suivaient un enseignement de maths en terminale contre 90 % avant la réforme », selon les sociétés et associations savantes de mathématiques qui s’inquiètent des conséquences de ces évolutions. Inquiétudes reprises par le Medef qui demande dans ses propositions pour la présidentielle 2022 de « renforcer l’enseignement mathématique, scientifique, technologique et numérique » et de revenir sur la réforme du bac « dans un contexte où la formation d’ingénieurs et de techniciens est primordiale ».

Distance historique

Une bataille des chiffres a fait rage, complexe voire assez confuse. Et dimanche, sur Cnews, Jean-Michel Blanquer en est venu à dire qu’il faudrait « probablement » ajouter des mathématiques dans le tronc commun des classes de première et de terminale pour que « l’ensemble des élèves » aient davantage de « culture mathématique ».

Derrière tous ces débats se pose en effet la question de la place des maths dans le système éducatif et dans la société en général. Prendre un peu de distance historique permet de comprendre que les maths n’ont pas toujours été la discipline reine que l’on connaît, que leur place a varié au fil des époques et est matière à débat public.

Rappelons d’abord que, pendant longtemps, ce sont les lettres classiques qui ont été au principe même de l’éducation des élites, les sciences et les mathématiques étant réduites à la portion congrue. Au milieu du XIXe siècle, dans l’enseignement secondaire classique (le seul secondaire qui existe alors, réservé de fait à moins de 2 % des garçons), un lycéen, en suivant un cursus complet de la sixième à la terminale, passe 40 % de son temps en latin et grec (deux fois plus en latin qu’en grec), 13 % en français, 11 % en histoire-géographie, 11 % en mathématiques et en sciences, 8 % en langue vivante.

Si c’est la période gaullienne qui marquera un tournant pour la place des maths et des sciences dans la formation des élèves, la réforme de 1902 déjà institue une brèche « moderne » dans le dispositif. Après un premier cycle classique, trois sections se distinguent en seconde : une section latin-grec (A), une section latin-langues (B), une section latin-sciences (C) ; mais il existe désormais en outre une section moderne dite langue-sciences (D) qui succède, elle, à un premier cycle sans latin. Cependant la hiérarchie des sections est sans équivoque : les trois sections classiques l’emportent sur la nouvelle venue, la section « moderne ».

Tournant gaullien

Lorsque Charles de Gaulle devient Président de la République en 1958, le traité de Rome, signé en 1957, vient d’instituer l’Europe communautaire. La mise en orbite par l’Union soviétique, en 1957 également, du premier satellite terrestre – le spoutnik – interpelle l’ensemble des pays de l’Ouest : qu’en est-il de la suprématie scientifico-technologique des uns et des autres ?

À partir du milieu des années 50, les USA avaient d’ailleurs déjà déclenché une campagne alarmiste à destination de leur opinion publique et de leurs alliés européens : l’URSS était en train de gagner la bataille des cerveaux, celle des ingénieurs et des cadres supérieurs. Le volontarisme nationaliste gaulliste prend cette situation comme un défi à relever, comme le soulignent les Mémoires d’espoir de Charles de Gaulle :

« Puisqu’en notre temps la France doit se transformer pour survivre, elle va dépendre autant que jamais de ce que vaudra l’esprit de ses enfants à mesure qu’ils auront à assumer son existence, son rôle, son prestige […]. Il s’agit que l’enseignement qui leur soit donné, tout en développant comme naguère leur raison et leur réflexion, réponde aux conditions de l’époque qui sont utilitaires scientifiques et techniques ».

En vertu du très important décret du 10 juin 1965, les chemins conduisant au baccalauréat se spécialisent dès la classe de seconde avec quatre séries (ou filières) générales : A (littéraire), B (sciences économiques et sociales), C (mathématiques), D (sciences expérimentales).

Les maths à l’école (INA Société. En 1985, le ministre de l’éducation, Jean Pierre Chevènement, a présenté dans une interview publiée dans le Point, les grandes lignes de la réforme des lycées qui vise à diminuer le rôle des mathématiques dans la sélection des élèves et à rééquilibrer les sections).

Notons que ces évolutions dans le secondaire s’accompagnent aussi de changements de perspectives au niveau du primaire. Si « les exercices pratiques, les applications usuelles, les démonstrations simples et familières », doivent ‘être l’âme et la vie de l’école » selon les Instructions officielles du 28 mars 1882 (signées Jules Ferry), en 1960, le mathématicien Jean Dieudonné pose dans un texte célèbre la question d’une toute autre place des mathématiques et d’un tout autre enseignement.

« Quel but poursuit-on dans nos civilisations modernes en enseignant les mathématiques aux enfants ? Il s’agit de leur enseigner à ordonner et enchaîner leur pensée selon la méthode dont se servent les mathématiciens parce qu’on reconnaît dans cet exercice un excellent moyen pour développer la clarté d’esprit et la rigueur du jugement. C’est donc l’essence de la méthode mathématique qui doit faire l’objet de cet enseignement, les matières enseignées ne devant en être que des illustrations bien choisies ».

C’est ainsi, après quelques péripéties, que l’on aura la mise en place à l’école de ce que l’on appellera les « mathématiques modernes », dès la deuxième moitié des années 1960 dans l’enseignement secondaire, à partir de 1970 dans le primaire. Les tenants des « mathématiques modernes » ont unifié les mathématiques par un formalisme qui impliquait un niveau supérieur d’abstraction. Ce faisant, ils n’ont pas toujours évité – tant s’en faut – de mettre en place une sorte de langue formelle dont il fallait apprendre le lexique et la syntaxe, ce qui requérait une gymnastique intellectuelle susceptible d’avoir des effets élitistes, voire inégalitaires.

Rééquilibrer les filières ?

Au niveau du lycée, le système des filières avait été conçu comme devant être le cadre fonctionnel pour une bonne orientation qui tienne compte des aptitudes et des goûts des élèves afin de les préparer, dans des cursus adaptés, à des poursuites spécifiées d’étude dans l’enseignement supérieur. Mais la filière C (dite « maths-sciences », rebaptisée depuis S après sa fusion avec l’ancienne filière D) a été convoitée bien au-delà de ce à quoi elle devait normalement (fonctionnellement) conduire, à savoir des orientations spécifiques requérant des capacités particulières dans le domaine mathématique et scientifique.

Du fait de sa position dominante de filière d’excellence, elle a ouvert pratiquement à tout (et souvent en priorité), ce qui a conduit à un certain nombre de dysfonctionnements en chaîne du système, au détriment de la filière B (rebaptisée depuis SES, « sciences économiques et sociales ») et surtout de la filière A (« littéraire » rebaptisée depuis L). Dès 1983, le rapport sur les seconds cycles a souligné que « les études à dominante scientifique, détournées de leur finalité, servent en fait à définir une élite ». Depuis cette date, tous les rapports sur le lycée, tous les projets de réforme ont voulu « rééquilibrer les filières et les séries » en luttant contre la prééminence du bac scientifique constitué en voie royale.

Réforme du bac : première rentrée pour les élèves de première (France 3 Grand-Est, 2019).

Cela n’impliquait pas que les maths en elles-mêmes étaient la voie royale. Au contraire même, à certains égards. Certes, c’était parce qu’il y avait des mathématiques d’un plus haut niveau dans cette filière que dans les autres que cette filière a pu devenir la « voie royale ». Mais nombre d’élèves l’ont choisie non pas pour se préparer à des études supérieures requérant un haut niveau de mathématiques mais parce qu’on pouvait avoir ce baccalauréat-là avec des notes moyennes, voire médiocres, en mathématiques, compensées par de bonnes notes dans d’autres disciplines et que – ce faisant – ce baccalauréat C ou S était de fait moins un baccalauréat « maths-sciences » qu’un baccalauréat généraliste d’excellence planant au-dessus des autres.

La réforme engagée par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer tente de mettre fin au système des filières qui a abouti à ce dysfonctionnement majeur sans pouvoir être corrigé. Aboutira-t-on cette fois-ci non pas à une filière d’excellence généraliste (baptisée « maths-sciences ») mais à une « voie royale » de la discipline « mathématiques » elle-même ? Ou a d’autres voies d’excellence (voire « royales ») dans d’autres disciplines ? L’histoire, comme on dit, tranchera.The Conversation

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

Comment savoir si je suis touché par un logiciel espion ?

Par Allan Camps, Senior Enterprise Account Executive chez Keeper Security Les logiciels espions sont des logiciels malveillants qui, installés à votre insu sur votre appareil, permettent aux cybercriminels de vous espionner et de voler vos informations privées. Ces informations peuvent ensuite être utilisées par des cybercriminels ou vendues sur le dark web pour commettre des fraudes ou des usurpations d'identité. Il est possible de repérer ces logiciels malveillants sur votre appareil en observant des signes particuliers tels que l'épuisement rapide de la batterie, la surchauffe, l'augmentation du nombre de fenêtres pop-up ou de l'utilisation des données, et la présence d'applications inconnues. Comment détecter un logiciel espion sur votre smartphone Android ou votre iPhone ? Recherchez les applications que vous n'avez pas téléchargées. Les applications que vous n'avez pas téléchargées peuvent se cacher dans votre bibliothèque et contenir des logiciels ...