Accéder au contenu principal

Les droits d’auteur en danger ? Ce que l’affaire « Bartz contre Anthropic » risque de changer aux États-Unis… et ailleurs

  Par  Maximiliano Marzetti , IÉSEG School of Management Aux États-Unis, un premier jugement autorise l’usage d’œuvres légalement acquises pour l’apprentissage des modèles d’intelligence artificielle, mais le recours à des contenus piratés est, lui, explicitement condamné. Un coup d’arrêt pour les auteurs, et un bouleversement juridique aux enjeux internationaux ? En 2024, les auteurs Andrea Bartz, Charles Graeber et Kirk Wallace Johnson ont porté plainte contre Anthropic, l’un des géants de l’intelligence artificielle (IA), l’accusant d’avoir utilisé leurs ouvrages pour entraîner son modèle de langage Claude . Cette affaire s’inscrit dans une série de litiges similaires : au moins 47 procès ont déjà été engagés aux États-Unis, visant différentes entreprises consacrées à l’IA. La question principale ? Les modèles d’IA auraient été entraînés à partir d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sans autorisation préalable des auteurs,...

Le Miliverse : quand les armées entrent dans le métavers

 

militaire

Par Jean Langlois-Berthelot, Sciences Po

Au croisement des technologies virtuelles et des applications militaires, le « Miliverse » émerge comme un élément prépondérant propulsant les stratégies et la préparation militaire vers une ère nouvelle et innovante.

Cette innovation a été décrite notamment par le lieutenant-colonel Ryan Kenny de l’US Army qui en défend la mise en place. En France, des travaux effectués entre 2020 et 2022 dans le cadre d’un projet entre l’Agence Innovation Défense (Direction générale de l’armement) et l’ENSTA proposaient également des pistes de réflexion pour le développement d’outils. Comme l’indiquait en 2021 Didier Bazalgette alors réfèrent innovation pour les domaines intelligence artificielle et cognition pour l’Agence innovation défense :

« L’idée d’un Miliverse n’est pas nouvelle mais elle prend une nouvelle dimension au regard des compétences croissantes dans les domaines de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. »

Le Miliverse, raccourci de « military metaverse », constitue une innovation qui révolutionne les entraînements, les simulations et la préparation des forces armées en s’appuyant sur les technologies numériques. Cette nouvelle approche tire parti des caractéristiques du métavers, monde virtuel collectif partagé, souvent accessible via Internet, qui associe des aspects de la réalité augmentée (AR), de la réalité virtuelle (VR) et de la technologie blockchain.

Le Miliverse permet aux acteurs du domaine militaire de se rencontrer, de travailler, de jouer et d’interagir dans des environnements 3D immersifs. Ces atouts contribuent à décupler les compétences opérationnelles, à tester des stratégies complexes et à anticiper des scénarios de haute intensité, le tout dans un environnement virtuel sécurisé et façonnable à l’envie.

Dans le domaine militaire, le Miliverse se déploie à travers des simulations interactives de haute sophistication. Les troupes peuvent s’immerger dans des environnements virtuels grâce à des casques de réalité virtuelle de dernière génération, reproduisant des scénarios variés, allant de missions de combat à des opérations de renseignement délicat. Par exemple, des unités spéciales peuvent simuler des interventions tactiques complexes, testant ainsi leurs compétences en matière de coordination et de réactivité. Un débriefing peut également être intégré aux simulations en fonction des résultats obtenus (précision des tirs, victimes alliées et/ou ennemies, etc.).

De nombreux pays intéressés

Aux États-Unis, le département de la Défense a prévu d’engager 500 M$ dans les quatre prochaines années pour le développement de ces technologies innovantes. Des simulations avancées ont été mises en œuvre pour former des unités spéciales dans des environnements virtuels reproduisant fidèlement des zones potentielles de conflit. Ces simulations utilisent la réalité virtuelle (VR) et augmentée (AR) pour recréer des conditions de combat complexes, permettant un entraînement réaliste sans les risques réels. Le programme Synthetic Training Environment (STE) inclut des simulateurs pour divers véhicules et hélicoptères, utilisant l’IA pour générer des forces adverses et analyser les performances en temps réel. Ces technologies réduisent les coûts et augmentent l’efficacité de la formation.

En Israël, les forces de défense ont intégré le Miliverse dans leur programme d’entraînement, utilisant des simulations pour tester des scénarios de cyberattaques et des opérations conjointes entre différentes branches des forces armées. Cette préparation dans des situations similaires à la réalité permet de tester les actions des forces en situation quasi réelle, d’identifier les bonnes pratiques et les points à améliorer, et accroît la capacité des équipes à collaborer, communiquer et interagir en situation de stress.

En Chine, de nombreuses utilisations sont en cours de développement et s’appuient sur les acteurs majeurs privés : 51World, Alibaba et Tencent. Ces sociétés ont créé des mondes virtuels imitant le monde réel (« jumeaux numériques ») qui permettent de simuler des évènements dans le temps.

En France, l’Armée de Terre, et en particulier le Centre d’enseignement militaire supérieur de l’armée de terre (CEMST) fait travailler actuellement des officiers supérieurs dans un travail profondément interdisciplinaire sur le développement de solutions en réalité augmentée pouvant être utilisée dans le cadre d’un Miliverse.

Un enjeu de recherche et développement

Le Miliverse se situe actuellement à un stade de développement avancé, soutenu par des investissements dans la recherche et le développement de technologies connexes. Les simulations intègrent désormais des intelligences artificielles avancées qui réagissent de manière dynamique aux actions des participants, offrant ainsi un réalisme sans précédent. En effet, ces technologies donnent lieu à de nombreuses applications : lunettes de réalité virtuelle, casque de réalité virtuelle et application de modélisation 3D par exemple. Chacune de ses implémentations permet de pénétrer dans une situation quasi réelle pour tester et ajuster les scénarios d’entraînement et vérifier l’effet de décisions opérationnelles, ce qui améliore l’expérience pour une meilleure progression des participants.

Cette nouvelle technologie améliore et accélère la prise de décisions. Elle offre la possibilité de traiter des situations plus complexes en optimisant l’expérience utilisateur, en permettant une simulation des scénarios envisagés de plus en plus élaborés et offre la possibilité de faire collaborer et interagir plusieurs participants au sein du multivers.

La mise en place du Miliverse apporte également de nombreuses avancées sur des aspects complémentaires des opérations militaires : accélération de la conception et l’innovation, optimisation de l’approvisionnement, amélioration de l’intégration de mécanismes multiniveaux… Très concrètement, les US Marines utilisent ce type de technologie pour disposer d’une vision détaillée de leurs équipements sur le front pacifique avec de nombreuses îles dispersées. De nombreux autres exemples d’applications existent : contrôle des armes à distance, formation médicale aux situations de guerre, entraînement à la communication de crise, etc.

Dans le contexte particulier de la cyberdéfense, le Miliverse fournit un environnement virtuel réaliste où les soldats peuvent s’entraîner à identifier et à neutraliser des menaces en temps réel. Par exemple, en simulant une cyberattaque sur une infrastructure critique, les experts de la cyberdéfense civils et militaires collaborent et apprennent à mieux détecter des intrusions, à isoler les systèmes compromis et à rétablir les services tout en minimisant les dommages collatéraux. Cela permet une préparation optimale pour des situations réelles où des réponses rapides et coordonnées sont cruciales.

Rester attentifs aux limites du Miliverse

Si les technologies liées au Miliverse pourraient révolutionner la préparation militaire, elles ne sont pas sans limites. En effet, une utilisation excessive peut créer une dépendance aux systèmes virtuels. En cas de défaillance technique ou d’attaque sur les systèmes numériques, les forces armées pourraient être désorientées et voir diminuer leur capacité à réagir en situation réelle. Par ailleurs, aussi réalistes que soient les simulations, elles ne reproduisent jamais parfaitement l’imprévisibilité et le stress du combat réel. Les soldats formés uniquement via des moyens numériques risqueraient de manquer d’expérience et de sang-froid face aux réalités du champ de bataille.

Ces technologies doivent donc être utilisées en complément des méthodes d’entraînement traditionnelles (exercices pratiques, simulations sur terrain). Une approche combinée garantit une formation complète et équilibrée, tirant parti des atouts technologiques tout en préservant l’importance de l’expérience concrète et de l’adaptation au combat réel. Intégrer cette approche à la formation militaire doit être encadrée pour renforcer, et non remplacer, les méthodes d’entraînement éprouvées. En reconnaissant et en abordant ses limites, elles peuvent devenir un outil précieux pour préparer les soldats aux défis du combat moderne.

Des perspectives prometteuses mais de nombreux défis

L’adoption du Miliverse transcende les frontières des États-Unis et d’Israël. Des nations telles que la Chine, le Royaume-Uni, et dans une large mesure la France, ont également intégré des technologies similaires dans leurs programmes d’entraînement militaire. Les retours d’expérience mettent en lumière une amélioration significative des compétences opérationnelles, de la prise de décision sous pression, et de la réactivité des troupes.

En parallèle des avantages, des préoccupations émergent concernant la dépendance croissante à la technologie, la vulnérabilité aux cyberattaques, et les enjeux éthiques liés à la simulation de scénarios de conflit réel. Le Miliverse pose des défis uniques qui nécessitent une approche réfléchie pour garantir son utilisation judicieuse.

Le Miliverse représente une avancée significative dans la préparation militaire, offrant des avantages tangibles et ouvrant la voie à des perspectives d’innovation continue. Toutefois, son utilisation doit être encadrée par des normes éthiques rigoureuses pour garantir la sécurité et l’intégrité des opérations militaires dans un monde de plus en plus numérique.


Cet article a été co-rédigé par le Dr Christophe Gaie, chef de division ingénierie et innovation numérique au sein des services du Premier Ministre et Senior Fellow CEMS-Terre.The Conversation

Jean Langlois-Berthelot, Adjunct, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

Comment savoir si je suis touché par un logiciel espion ?

Par Allan Camps, Senior Enterprise Account Executive chez Keeper Security Les logiciels espions sont des logiciels malveillants qui, installés à votre insu sur votre appareil, permettent aux cybercriminels de vous espionner et de voler vos informations privées. Ces informations peuvent ensuite être utilisées par des cybercriminels ou vendues sur le dark web pour commettre des fraudes ou des usurpations d'identité. Il est possible de repérer ces logiciels malveillants sur votre appareil en observant des signes particuliers tels que l'épuisement rapide de la batterie, la surchauffe, l'augmentation du nombre de fenêtres pop-up ou de l'utilisation des données, et la présence d'applications inconnues. Comment détecter un logiciel espion sur votre smartphone Android ou votre iPhone ? Recherchez les applications que vous n'avez pas téléchargées. Les applications que vous n'avez pas téléchargées peuvent se cacher dans votre bibliothèque et contenir des logiciels ...