Avec « Osez l’IA », la France veut transformer l’intelligence artificielle en levier concret pour ses entreprises
En annonçant le plan national « Osez l’IA » ce 1er juillet, Clara Chappaz, ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au Numérique, n’a pas déclenché une révolution, mais acté une inflexion majeure : celle du passage à l’échelle. La France s’était dotée, dès 2018, d’une stratégie nationale ambitieuse issue du rapport Villani, posant les bases d’un écosystème de recherche performant, d’un financement public structurant et d’une régulation éthique. Une décennie plus tard, avec 1 000 start-up dans le domaine, un supercalculateur de pointe (Jean Zay) et des leaders comme Mistral AI, le socle est posé. Mais l’adoption reste lacunaire. En 2025, seules 13 % des PME utilisent réellement une solution IA. Le plan « Osez l’IA » veut inverser cette tendance.
Ce plan s’inscrit dans le sillage de France 2030, qui a déjà engagé plus de 2,5 milliards d’euros pour soutenir l’intelligence artificielle. Il s’appuie également sur les enseignements du rapport de Bpifrance Le Lab (« L’IA dans les PME et ETI françaises, une révolution tranquille ») et sur les projections du rapport Draghi (2024), qui identifie l’IA comme un enjeu macroéconomique central, à la croisée de la compétitivité, de la souveraineté et de l’innovation.
Des dispositifs concrets pour faire basculer les entreprises
« L’intelligence artificielle n’est plus un sujet de chercheurs, c’est un outil pour chaque entreprise », martèle Clara Chappaz. Le plan présenté se veut résolument pragmatique avec des diagnostics IA cofinancés pour 5 000 entreprises, un fonds de garantie pour les prêts d’investissement, une Académie de l’IA accessible à tous d’ici fin 2025, un programme d’accélération ciblant 100 entreprises à fort potentiel, un catalogue de solutions concrètes, et des appels à projets orientés « innovation de rupture ».
L’objectif est de permettre aux PME, ETI, artisans et professions libérales d’intégrer l’IA dans leur fonctionnement quotidien, de la gestion comptable à la relation client. Avec 300 ambassadeurs IA répartis sur le territoire, des événements de mise en relation et un accompagnement personnalisé, le plan veut rompre l’isolement technologique des petites structures et répondre à deux questions fondamentales : « À quoi me sert l’IA ? » et « Par où commencer ? ».
Dans un paysage où seuls 43 % des PME exploitent leurs données, ces outils pourraient marquer un tournant. Les témoignages d’entrepreneurs – de l’aéronautique à la robotique – soulignent déjà des gains concrets de productivité, de lisibilité stratégique ou de simplification administrative.
Une vision politique fondée sur la souveraineté, l’éthique et la montée en compétence
Lancé au moment où Bpifrance promet 10 milliards d’euros d’investissements dans l’IA sur cinq ans, « Osez l’IA » est aussi un manifeste politique. L’intelligence artificielle n’y est pas vue comme une externalité technologique, mais comme un pilier de la réindustrialisation, de l’autonomie stratégique et de la transition écologique. Elle doit être « utile, éthique et souveraine », selon les mots du Premier ministre François Bayrou.
La formation constitue un axe central : 15 millions de professionnels devront être formés d’ici 2030. Dès 2025, tous les collégiens de 4e et lycéens de 2de suivront une initiation à l’IA. Salariés, dirigeants, demandeurs d’emploi, apprentis : chacun est visé par cette montée en compétence de masse. L’ambition est de faire de l’IA une culture partagée, un réflexe professionnel, une compétence de base.
Reste l’enjeu de la diffusion réelle. Si les grandes entreprises sont déjà engagées (53 % en 2025), le défi concerne les TPE et PME de proximité. Le pari du gouvernement est double : organiser le choc technologique tout en l’humanisant, faire de l’IA un outil de cohésion plutôt que de fracture. Dans un paysage européen en recomposition, où la régulation se structure (AI Act) et les champions émergent, la France entend affirmer sa singularité : celle d’un pays qui veut conjuguer performance technologique et souveraineté démocratique.