
De Tron : l’héritage (2010) à Indiana Jones et le cadran de la destinée (2023), en passant par Terminator Genisys (2015), les franchises hollywoodiennes utilisent régulièrement les images de synthèse pour rajeunir des stars vieillissantes. Or, plus qu’un simple outil narratif ou attractionnel, le de-aging interroge également le statut de ces stars au crépuscule de leur carrière.
Le vieillissement inéluctable de la star hollywoodienne est une thématique qui, depuis les années 1950 et la désuétude des premières stars des années 1920-1930, intéresse le cinéma. Des films comme Boulevard du crépuscule (Billy Wilder, 1950) ou Une étoile est née (George Cukor, 1954) abordent, à ce titre, très frontalement, cette idée de dépérissement de la star dans une industrie ne voulant plus d’elle, et ce, en mettant justement en scène des vedettes vieillissantes voire des vedettes, qui, à ce moment de leur carrière, sont sur le déclin.
Si ces films ont pu traiter de la question de l’obsolescence de la star de façon métatextuelle, c’est-à-dire en représentant la star en tant que star au sein même de leur diégèse, d’autres ont pu le faire de manière plus sous-jacente, en mettant en parallèle l’âge des personnages représentés et celui de leurs interprètes.
Ainsi, depuis une quinzaine d’années, cette thématique du vieillissement des personnages/stars semble notamment s’incarner au sein d’un certain nombre de films issus de franchises développées initialement dans les années 1980-1990. Or, une partie de ces films a régulièrement recours à la technique dite de « de-aging » (rajeunissement par les images de synthèse) pour conférer à certains personnages iconiques une apparence juvénile – similaire à celle précédemment représentée au sein de la saga correspondante. Cette technique semble dès lors interroger le vieillissement de ces personnages, mais surtout de leurs interprètes, de manière tout à fait inédite.
« Je suis vieux, pas obsolète »
À l’image de certains héros vieillissants de westerns dits « crépusculaires » qui, comme leurs interprètes, reprennent du service pour accomplir une ultime mission qui viendra asseoir leur statut de légende, les icônes des franchises cinématographiques apparues à la fin du siècle dernier se sont vues, depuis quelque temps, réinvesties dans l’optique de réaffirmer leur importance culturelle dans un contexte contemporain. C’est en tout cas le projet porté par un film comme Terminator Genisys (Alan Taylor, 2015), dans lequel la star bodybuildée des années 1980-1990 Arnold Schwarzenegger réinterprète son personnage iconique de T-800, alors littéralement usé et rouillé par le temps, mais – et comme il ne cesse de le rappeler tout au long du film, n’est « pas obsolète » pour autant.
Plus que cela, le film donne même à voir une image de l’acteur embrassant pleinement sa vieillesse, en lui faisant notamment affronter (et surtout vaincre) une version rajeunie de lui-même, ayant l’apparence du T-800 du Terminator de 1984 réalisé par James Cameron. Ici, le rajeunissement numérique de la star lui permet d’assumer et affirmer son âge avec force – le Schwarzenegger de 2015 supplantant le Schwarzenegger de 1984. La fin du film tend d’ailleurs à vouloir démontrer une bonne fois pour toutes cette idée de vieillesse comme forme de modernité (plutôt que de décrépitude), en conférant au robot T-800 usé les capacités protéiformes d’un modèle T-1000 plus récent.
Le film Tron : l’héritage (Joseph Kosinski, 2010) repose sur des motifs narratif et discursif similaires à ceux de_ Terminator Genisys_. Durant son dernier acte, le long métrage fait par exemple s’affronter le personnage de Kevin Flynn, alors (ré)interprété par un Jeff Bridges d’une soixantaine d’années, et son clone virtuel, ayant l’apparence de l’acteur lorsqu’il incarnait le personnage pour la première fois en 1982 dans le film Tron (Steven Lisberger). L’intérêt de cette séquence réside dans le fait que le vieux Kevin Flynn triomphe de son double virtuel en l’absorbant pour ne (re)faire qu’un avec lui. Plus encore que la victoire de l’humain sur la machine, le personnage réaffirme ainsi l’idée selon laquelle le « corps réel » de la star serait unique et – il le souligne au cours de cette séquence – que sa perfection résiderait dans ses imperfections, signes du passage du temps.
Selon la professeure en études sur le genre Sally Chivers, cette vision positive de la vieillesse des personnages/stars – qui n’auraient rien à envier à leurs Moi d’antan – se serait particulièrement développée dans les films issus de franchises, sortis après les années 2000 et 2010.
On retrouve à nouveau cette idée dans Indiana Jones et le cadran de la destinée (James Mangold, 2023), au sein duquel Harrison Ford réincarne le célèbre archéologue et où, dans une séquence introductive d’une vingtaine de minutes, celui-ci est rajeuni numériquement afin que son apparence corresponde à celle que l’on retrouve dans les films de la franchise Indiana Jones réalisés durant les années 1980.
Le reste du film consiste à nous prouver que le personnage d’Indy – malgré son pessimisme sur la question – est, comme son interprète, encore capable d’assurer des missions pour le moins aventureuses, semblables à celles qu’il accomplissait dans sa jeunesse. De ce point de vue, le film pourrait presque servir d’illustration à la thèse énoncée par le sociologue Edgar Morin selon laquelle stars et personnages se contamineraient réciproquement.
Quoi qu’il en soit, le de-aging du début du film sert une fois de plus à renforcer, par une mise en parallèle avec le reste du récit, cette idée d’une vieillesse qui ne serait pas synonyme d’obsolescence.
Rajeunissement factice versus vieillesse assumée : les paradoxes d’un discours
Comme l’explique la professeure en études cinématographiques Philippa Gates, ce type de discours sur le « bien vieillir » des stars tend en réalité à faire croire au spectateur que « vieillir dépendrait davantage de choix personnels que de conditions matérielles et d’inégalités sociales ».
Son ambiguïté réside également – et logiquement – dans le fait d’utiliser une technique comme le de-aging pour tenter d’en développer la portée symbolique. Un paradoxe évident se dessine : étant donné le rajeunissement par le numérique de la star, sa vieillesse est-elle véritablement assumée ? D’autant plus que, malgré le discours porté par le film le mettant en scène, ce rajeunissement donne à voir une image fantasmée de la star.
Le de-aging est en effet – et de façon évidente – utilisé pour que la star vieillissante réponde à des critères de beauté et/ou de jeunisme qui autrefois pouvaient la caractériser. Comme dans la plupart des œuvres cinématographiques faisant usage des technologies numériques pour porter un discours – souvent critique – sur les nouvelles technologies (fictives ou réelles), une contradiction apparaît ainsi entre le fond (le discours sur le « bien vieillir ») et la forme (le recours au de-aging) des films.
Pour un historien du cinéma comme Richard Dyer, ce type de contradiction est à la base de ce qui caractérise la star. Celle-ci mène à la fois une existence réelle, soumise comme tout un chacun aux affres du temps, et artificielle, liée au monde de l’image, de la fiction. Qu’il soit assumé ou non, l’âge de la star serait donc en partie illusoire notamment parce que sa représentation est presque nécessairement standardisée.
Cette ambiguïté résulte également d’une mise en tension entre l’image « actuelle » de la star et celle de ses rôles passés. Ainsi, plutôt que d’opérer un changement radical dans la manière de représenter la star vieillissante, le de-aging permet en fait de réactualiser des enjeux thématiques anciens, similaires à ceux de certains films des années 1950, au sein desquels l’ancienne et la nouvelle stars s’opposent. Le rajeunissement numérique ne fait finalement que pousser ces enjeux au bout de leur logique (via, entre autres, une forme nouvelle de capitalisation de la nostalgie).
Mais au-delà de cela, n’y a-t-il pas également dans les films étudiés ici une volonté de faire coïncider cette technique avec le modèle narratif, et économique, des franchises, si présentes aujourd’hui, et auxquelles ces films sont rattachés ? Les logiques de variation (par l’utilisation de l’imagerie numérique en tant que telle) et de répétition (par l’utilisation de l’imagerie numérique afin de reproduire quelque chose du passé) du de-aging semblent en effet, à ce titre, bien proches de celles propres aux franchises cinématographiques.
Jules Lasbleiz, Doctorant en études cinématographiques, Université Rennes 2
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.