Face aux ingérences étrangères et à la manipulation numérique des campagnes électorales, l’Union européenne met en œuvre, ce vendredi 10 octobre, une réglementation inédite sur la publicité politique. Le texte impose la transparence intégrale du financement, du ciblage et de la diffusion des messages électoraux.
Depuis plusieurs années, l’Europe subit un feu nourri d’ingérences étrangères sur ses élections ou sa vie politique. L’année 2025 a marqué un tournant : en Moldavie, lors des législatives du 28 septembre, les autorités ont mis au jour une opération numérique d’une ampleur inédite. L’oligarque Ilan Shor, proche du Kremlin, aurait orchestré un dispositif de désinformation utilisant de faux comptes, des contenus pro-russes générés par intelligence artificielle et la diffusion de sondages frauduleux. Objectif : affaiblir les partis pro-européens et délégitimer les résultats du scrutin.
Un an plus tôt, à la veille des élections européennes de 2024, plusieurs États membres avaient déjà signalé des attaques coordonnées : campagnes en ligne visant à décrédibiliser le vote, diffusion de rumeurs sur la validité des bulletins, propagation de messages anti-UE sur les réseaux sociaux. En Allemagne comme dans les États baltes, ces mêmes tactiques ont resurgi, souvent relayées par des canaux Telegram et des fermes de contenus liées à des intérêts russes. Ces séquences successives ont convaincu Bruxelles de la nécessité d’un encadrement renforcé de la communication politique en ligne.
Combler un vide démocratique
C’est ce vide démocratique que la nouvelle réglementation entend combler. Adopté par le Parlement européen en février 2024 et désormais pleinement applicable, le règlement sur la transparence de la publicité politique impose que toute publicité électorale ou de nature politique précise clairement qui la finance, pour quel montant et à quel public elle est destinée. L’objectif est de rétablir un climat de confiance dans le débat électoral et empêcher l’utilisation opaque des données personnelles à des fins de manipulation.
Contrairement à une censure du discours politique, le texte ne réglemente pas le contenu des opinions mais il garantit la lisibilité du financement et du ciblage.
Le 8 octobre 2025, la Commission européenne a publié des lignes directrices pour aider partis, prestataires et plateformes à appliquer ces nouvelles obligations. Ces recommandations seront examinées le 16 octobre par la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs.
Bâtir un espace public numérique sûr
Selon Sandro Gozi, rapporteur du texte, ce dispositif constitue « la réponse européenne au scandale Cambridge Analytica » : il dote l’Union d’un cadre unique, « appelé à servir de modèle mondial ». Le règlement s’inscrit dans la continuité du DSA et du DMA, autres piliers du cadre numérique européen, et vise à bâtir un espace public numérique sûr, transparent et démocratique.
L’entrée en vigueur du texte ne laisse pas les géants du numérique indifférents. Google et Meta ont déjà annoncé la suspension, dans toute l’Union, de la publicité politique, électorale et même sociétale. Une décision que Bruxelles juge « lourde de conséquences » : elle prive les acteurs politiques de canaux transparents de communication, mais traduit aussi, selon Sandro Gozi, une volonté de certaines plateformes « de privilégier la simplicité de leur modèle économique ».
Pour l’Union, la liberté d’expression ne doit jamais devenir une liberté de manipulation. Avec cette entrée en vigueur, l’Europe se dote d’un cadre global pour la publicité politique en ligne, une première mondiale. Elle entend consolider la souveraineté numérique du continent et restaurer la confiance des citoyens dans leurs processus électoraux.
