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Et si on apprenait enfin à bien utiliser son smartphone pour faire des photos ?

  L’appareil photo n’est pas mort, il a changé de forme. Longtemps compagnon de voyage ou de moments familiaux, le boîtier numérique classique s’est effacé sans bruit devant un rival inattendu : le téléphone portable. En une décennie, les usages se sont inversés et selon les dernières données de Photutorial, plus de 92 % des photographies prises en 2025 le sont avec un smartphone, contre à peine 7 % pour les appareils dédiés. Autrefois emblème de la maîtrise technique, l’appareil photo grand public n’est plus que l’ombre de lui-même et les ventes s’effondrent. Mais la photographie, elle, reste. C’est dans ce paysage transformé que s’inscrit l’ouvrage " Smart Photos " de Jo Bradford, publié aux éditions Eyrolles. Photographe de formation, militante de l’image populaire, l’autrice britannique entend répondre à un besoin clair : redonner du sens et de la méthode à ce geste devenu universel — prendre une photo avec son téléphone. La photographe entend expliquer ...

Comment les réseaux sociaux font commerce de la nostalgie

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Que réveille en vous une photographie de vos dernières vacances postée sur Facebook ? Alesia Kan/Shutterstock
Par Bruno SALGUES, Institut Mines-Télécom (IMT)


La nostalgie est étymologiquement une maladie. Ce terme vient des deux mots grecs nostos et algia, qui signifient le retour et la maladie. La nostalgie est alors l’ennui créé par le désir du retour au passé ou dans son pays. La plus ancienne description connue de cette maladie est celle du médecin Gerbois le 29 prairial, an 11.

Éradiquer la maladie

Pour combattre la nostalgie, il suffirait d’abandonner une perception de la vie qui transforme le passé en période sacrée, la perception du temps sous forme de périodes qui se suivent les unes aux autres et dont les plus anciennes seraient les plus valorisées. Le spleen baudelairien exprime un mal de vivre qui comprend l’ennui, la nostalgie, la solitude et la culpabilité. Dans les faits, nostalgie et ennui sont liés, car s’ennuyer, c’est avoir la nostalgie de quelqu’un ou de quelque chose. Les réseaux sociaux et le relais des plates-formes dans ceux-ci sont une source d’activité indéniable à travers différents ressorts : faire agir l’individu, la force de l’ennui ou encore tout simplement des formes invisibles du travail des données.
Le point de départ reste le fait que des usagers alimentent gratuitement des plates-formes et des réseaux sociaux de données personnelles, des propositions, des liens entre individus, organisation, concepts et contenus créatifs. Les plates-formes sont monnayées dans l’instant par les acteurs du web. La question se pose alors de savoir que faire des vieilles données. Pourquoi les informations d’un voyage posté il y a quatre ans sur BlaBlaCar peuvent-elles être utiles ? Que réveille dans vos souvenirs la photographie d’un jardin posté sur Facebook, Snapchat ou Twitter ? Une ancienne location à la mer louée sur Airbnb peut-elle vous inviter à revoir « la belle bleue » ? La réponse est clairement oui, réveiller la nostalgie fait agir.

Vos anciennes données ont plus de valeur que vous ne le pensez… . Everydaytextures/Shutterstock

La monétisation ne passe quasiment pas par la vente de données, mais par le ciblage de l’internaute, et ce afin de lui envoyer des informations et des publicités comme le souligne Mark Zuckerberg dans une tribune publiée en début d’année dans le journal Le Monde. Il est important alors que l’internaute réagisse et se connecte sur le site. La nostalgie est d’abord utilisée comme réveil ! Ce réveil précède un sentiment de culpabilité, celui de n’avoir rien fait sur le site.

Faire agir l’individu


Anikei/Shutterstock.

Mettre en ligne des activités du passé consiste à activer des « inversions infrastructurelles » comme le décrit Jérôme Denis, professeur à l’École des Mines de Paris. En effet, « les formes d’écriture les plus standardisées sont toujours énactées, c’est-à-dire ancrées dans des pratiques concrètes, inscrites dans des écologies socio-matérielles complexes ».
Annoncer un anniversaire permettra à une plate-forme de repérer les liens qui réagissent, pour Facebook, cela permettra de mettre en avant les posts de ces personnes et des publicités des entreprises plutôt que d’autres, et la connaissance des liens est une valeur marchande. Pour des sites comme Airbnb ou BlaBlaCar, réveiller les souvenirs d’un voyage passé est encore plus efficace. Ce réveil donne envie de refaire le voyage et donc, soit de réserver des services sur la plate-forme, soit tout au contraire de proposer des services, par exemple en offrant un covoiturage pour ce trajet. Dans les deux cas, il y a génération du business.

Réveiller le désir

Pascal s’est intéressé très tôt à l’ennui. Dans « Les Pensées », il écrivait :
« Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein de repos, sans passion, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent, il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. »
L’ennui est vraiment seulement possible parce que chaque chose, comme on dit, a son temps. Selon Alfred de Vigny, le remède contre l’ennui était l’action. Les philosophes comme Heidegger font la distinction entre s’ennuyer à propos de quelque chose et s’ennuyer soi-même en faisant quelque chose.
Réveiller la nostalgie, c’est également montrer que le réseau social a changé, c’est donc empêcher que l’ennui se mette en œuvre. Dans le cas où l’internaute agirait, « le client » du site pourrait quitter le site ou l’application, ce qui n’est pas souhaitable pour ces plates-formes dont la valeur boursière, mais aussi sociale, dépend du nombre d’abonnés ou d’inscrits. Cette notion est nommée « churn ») ou attrition. Elle a été mise en avant dans le développement de la téléphonie mobile dans les années 1990.
Schopenhauer a pensé que la vie oscille entre la douleur et l’ennui. Quand on subit un manque, que l’on désire des choses, on est malheureux. Quand on comble un manque, on est malheureux du fait que l’on n’a plus de désir. Mettre en œuvre des aspects « nostalgiques » consiste alors à réveiller le désir, et par conséquent les besoins, les attentes et créer la demande.

Rompre avec la société de la routine

Une grande part de l’ennui est due à la répétition. C’est pour cela que dans les moments d’ennui, les acteurs du web cherchent à gérer des petites innovations. Celles-ci permettent tout d’abord de fidéliser le « client ». La société actuelle dans laquelle nous vivons se caractérise par une recherche de l’efficacité. Comme je le souligne dans mon dernier ouvrage, « société 5.0 », cette société est à la fois digitale, désire respecter l’environnement, et avoir un fort niveau de productivité. L’ennui est donc insupportable, et, réveiller les souvenirs, faire appel à la nostalgie est un moyen d’occuper cet espace pour le rendre « productif ». La distraction générée ainsi est une des formes de lutte contre l’ennui et donc la nostalgie. C’est alors une source d’activité de la société 5.0. Historiquement, ce processus date des amuseurs du roi au XVIIe siècle, dont les châteaux où ils exerçaient le pouvoir étaient éloignés de leur lieu d’origine.
Les réseaux sociaux doivent également éviter que l’on se sente aliéné. L’ennui comporte toujours la conscience d’être emprisonné dans une situation donnée, ou tout simplement dans la globalité d’un monde. On pourrait qualifier cet enfermement d’aliénation. L’aliénation ne peut être un idéal, car cela pose la question de savoir vis-à-vis de quoi, l’homme est aliéné. L’aliénation impose que l’on explicite un autre élément, objet de l’aliénation. Il s’agira de l’élément qui a été perdu ou qui reste attaché à l’homme. L’ennui a, selon le philosophe norvégien Lars Svendsen, un effet déshumanisant, qui est une forme d’aliénation.

Les réseaux sociaux sont-ils avant tout un remède contre l’ennui ? Jirapong Manustrong/Shutterstock

Pour Bertrand Vergely, l’aliénation caractérise le fait de devenir étranger à soi. L’aliénation, surtout celle qui concerne les technologies, est toujours mise en avant par ceux qui s’opposent à la société 5.0, cette société qui est digitale. C’est pour cela qu’il faut l’éviter en réveillant les souvenirs. Autrement dit, la maladie nostalgie cache la maladie aliénation.

Travail gratuit

Les données associées à la nostalgie mise en avant ne sont pas désincarnées et n’existent pas à l’état pur ; elles ne sont par ailleurs pas autonomes. Elles sont toujours affaire de mélanges, de bricolages, d’accommodements, d’agencements hybrides, de couleurs ou de sons. Il est intéressant pour la plate-forme d’approfondir le pourquoi de l’existence passée de l’information.

Sociétés 5.0.

Là aussi, il y a construction de forme de sens. La nostalgie d’une visite présentée sans détail par une image peut amener quelque temps après des commentaires exploitables sur la beauté des lieux, sur le niveau des prix du service, sur la qualité de l’accueil, sans être obligée de passer par un questionnaire. Parfois, c’est aussi l’occasion de générer un questionnaire comme le fait Tripadvisor ou Maps de Google, et ainsi d’obtenir plus de données. En fait, ces données du passé sont l’objet d’une réaction. Elles ont pour résultat un travail bien souvent gratuit de l’internaute.
Pour les réseaux sociaux ainsi que les acteurs du web en général, la nostalgie est donc à la fois un moyen et un outil pour faire agir l’individu et en retirer, soit des bénéfices, soit l’adhésion de l’individu à sa plate-forme, soit son travail volontaire.The Conversation

Bruno SALGUES, Ingénierie pour la santé et technologies de communication, Institut Mines-Télécom (IMT)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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