Par Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...
Vous souhaitez acheter un voyage sur internet et vous vous rendez sur un site web pour consulter différentes offres. Vous prenez le temps de la réflexion, revenez plus tard sur le site et… surprise, découvrez que les prix ont sensiblement augmenté. Un de vos amis se connecte sur le même site et lui retrouve des prix plus bas. Derrière cette situation qu’ont vécue de nombreux internautes se cache la pratique de l’IP-tracking, le traçage de votre adresse internet qui a permis au cybercommerçant de vous reconnaître et d’augmenter ses tarifs pour vous inciter à acheter plus rapidement.
Enquête de la CNIL
Cette pratique de profilage de navigation des internautes qui repose sur la collecte de l’adresse IP sans qu’ils en soient informés a alerté l’eurodéputée Françoise Castex qui vient de demander à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d’enquêter sur le sujet. « L’IP-tracking doit également être appréhendée sur le fondement des pratiques commerciales déloyales », estime la CNIL, qui « travaille en collaboration étroite avec la DGCCRF afin de déterminer […] de l’opportunité de réaliser des actions conjointes auprès des principaux opérateurs concernés. » Interrogée par La Dépêche, Françoise Castex estime qu’il est urgent d’agir alors qu’un règlement européen sur la protection des données personnelles est actuellement en débat au Parlement européen.
Interview : "Il y a urgence à légiférer"
Comment vous êtes-vous intéressée à l'IP-tracking ?
J'ai une attention particulière à ces questions parce que je travaille actuellement au Parlement européen sur la directive relative à la protection des données personnelles. C'est une directive qui date de 1995 qui est en cours de révision parce que, évidemment, avec internet, la problématique des données personnelles a été modifiée. Donc j'ai eu vent de cette pratique et en janvier j'ai posé une question écrite à la Commission européenne pour savoir ce qu'elle en pensait et pour qu'elle me confirme que l'adresse IP était ou pas une donnée personnelle.
Elle m'a répondu en mars pour me dire que l'adresse IP constituait une donnée personnelle donc à ce titre qu'elle était protégée, et que sur l'usage qui en était fait à des fins commerciales, il fallait interroger les autorités nationales de contrôle de données personnelles sur internet. J'ai donc saisi la CNIL qui a répondu en me disant qu'elle allait lancer une enquête. Elle n'a pas encore commencé.
En quoi est-ce illégal ?
Cette pratique, si elle est avérée, aurait enfreint deux choses. D'une part l'usage des données personnelles et à ce titre, c'est illégal puisqu'on ne peut pas les utiliser sans votre consentement. Et d'autre part, elle mettrait au jour des pratiques commerciales sur internet qui sont déloyales sinon illégales, puisqu'elles gèrent la rareté et des fausses promotion en fonction de l'intérêt que manifeste l'internaute à un produit sans qu'il y ait son consentement et sans que ce soit du yield management (pratiqué par la SNCF par exemple qui augmente ses prix en période d'affluence ou en faisant des promotions qui doivent être clairement identifiées comme telle avec une date limite ou un nombre limité de place.)
Ce que je constate depuis que je travaille sur ce dossier, c'est que l'IP-tracking est une pratique parmi d'autres de profilage des internautes soit à des fins marketing, soit à des fins de pratiques commerciales déloyales. Il y a les cookies, la géolocalisation, etc. Il y a tout un arsenal de profilage de l’internaute. On trace vos connexions internet pour connaître vos habitudes, votre pouvoir d'achat, etc. Et en fonction de cela, soit on vous cible pour de la publicité mais on modifie aussi les prix en fonction de ce profil établi.
Si c'est avéré, quels sont les moyens d'action au niveau européen ?
L'Europe est en train de réviser cette directive sur la protection des données personnelles et le débat qui oppose la droite et la gauche est : quelle est la tolérance que l'on admet sur l'intérêt légitime à collecter des données personnelles et à la traiter à des fins commerciales ? Où va-t-on mettre le curseur pour dire que c'est interdit ou qu'il y a une autorisation de profilage ?
Certaines de ses sociétés sont extra-européennes, comment agir sur elles ?
Sur la protection du consommateur et des données personnelles en Europe, c'est toujours le droit qui s'applique en Europe, c'est d'ailleurs pourquoi la chambre de commerce et d'industrie américaine en Europe est extrêmement attentive aux débats qui ont cours actuellement au Parlement européen. Ils ont fait déposer des amendements par certains députés pour garantir une liberté d'utilisation de ces données.
Il y a une étude américaine qui a été publiée par le Financial Times qui évalue à l'heure actuelle à 315 milliards d'euros la valeur des données personnelles des européens. En 2020, cette valeur atteindrait 1000 milliards d'euros. L'intérêt économique et commercial est immense. Nos données personnelles, c'est l'âge, le sexe, les amis que l'on fréquente sur Facebook, les sites d'information, de consommation auxquels on accède le plus souvent. Tout cela permet d'établir un profil.
On sait qu'aux Etats-Unis, cela va très très loin puisqu'il y a un marché des profils. Et cela influence les polices d'assurance qu'on vous propose, les assurances-vie pour lesquelles il y a même un marché. On peut savoir si vous êtes malade, si vous avez des enfants, etc.
L'IP-traking est peut-être la face émergée d'un iceberg sur le marché des données personnelles. Et de mon point de vue, il faut que l'on ait une vigilance maximale là-dessus. IL y a un seul critère qui doit être mis en oeuvre : le consentement de la personne. Il faut que par défaut la protection maximale soit assurée sur internet. Et si vous acceptez de recevoir des offres partenaires, vous aurez à décocher une case.
Il y a des tensions entre la droite et la gauche au Parlement. Ne peut-il y avoir consensus ?
Pour le moment, il apparaît qu'il y a des positions assez tranchées et que dans la commission des affaires juridique, le vote a eue lieu . Dans la commission des affaires de libertés civiques, le vote a encore été reporté, parce qu'il y a eu des centaines et centaines d'amendements et les rapporteurs n'arrivent pas encore à trouver une rédaction de compromis. C'est un dossier extrêmement sensible. Il y a urgence à réagir, urgence à alerter les consommateurs pour qu'ils soient vigilants et il y a urgence à légiférer.