Par Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...
La parole «décomplexée», violente, insultante, raciste, homophobe ou antisémite qui semble s’être libérée dans la rue et plus généralement dans l’espace public - notamment depuis les débats sur le mariage pour tous - l’a d’abord été, et continue de l’être, sur internet et les réseaux sociaux au sein de ce que l’on appelle la «fachosphère». Dans cette nébuleuse de sites web ou de pages Facebook aux contours flous s’exprime une haine quotidienne. Au centre de cette constellation, des sites ou des blogs d’extrême droite très actifs - comme Français de souche ou Novapresse - et dont certains sont clairement racistes et xénophobes. S’ils relaient souvent les thèses du Front national, ils savent aussi s’en éloigner pour exprimer des opinions bien plus radicales. Tous explorent souvent, sur fond conspirationniste, les mêmes thèmes jusqu’à la caricature, relayant rumeurs et fausses informations : l’immigré responsable du chômage, les francs-maçons et l’establishment qui cachent des choses, l’islam qui veut imposer la charia, etc.
Cette nébuleuse numérique se développe d’autant plus facilement qu’elle profite à plein de deux éléments au fondement du web. Le premier, ce sont les liens hypertextes qui permettent de relier entre eux tous ces sites vecteurs de haine. De clics en clics, on navigue ainsi sur les sites identitaires, traditionalistes, réactionnaires, fondamentalistes, etc. En 2011, les étudiants de l’École supérieure de journalisme de Lille avaient répertorié, dans le cadre du projet Trans Europe Extrême, pas moins de 377 blogs et sites liés à la fachosphère. Un nombre qui n’est pas allé en diminuant.
L'anonymat désinhibe la parole
Le second élément qui pousse à la multiplication de ces sites est bien sûr l’anonymat des auteurs des commentaires qui rédigent leurs textes sous pseudonyme. Un anonymat certes illusoire puisque la justice a les moyens de retrouver l’auteur de textes tombant sous le coup de la loi, mais un anonymat qui désinhibe la parole extrême comme le constate Christophe Alcantara, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Toulouse I-Capitole. «Il y a deux composantes : le fait de se cacher participe à désinhiber les gens, mais ce qui désinhibe aussi c’est la mise à distance. Il est beaucoup plus facile d’insulter quand on n’a pas la personne en face», explique le chercheur. «Quand on prend de la hauteur sur la fachosphère, comme d’ailleurs sur l’islamosphère djihadiste, on voit des mouvements identitaires, des sentiments communautaires dont la dynamique est développée par les réseaux sociaux. On a des gens qui pensent les mêmes choses, se rassurent entre eux et créent un phénomène qui s’auto-entretient par des itérations successives. Il y a alors un vrai sentiment de toute-puissance.» Et trop souvent d’impunité...