Par Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...
La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) appelle à la tenue d'un débat démocratique sur les nouveaux usages des caméras de vidéosurveillance. Combinées notamment à de puissants algorithmes de reconnaissance faciale, elles posent le problème des libertés publiques et d'un fichage généralisé.
Caméras-piétons équipant certaines forces de l'ordre, utilisation de terminaux mobiles de particuliers comme à Nice avec une application pour smartphone, systèmes de vidéo «intelligente» capables de détecter des situations anormales sur la voie publique, dispositifs de suivi et de reconnaissance d'individus à l'aide de données biométriques, reconnaissance faciale, etc. : la vidéosurveillance a connu ces dernières années non seulement un développement grandissant dans les villes et parfois dans des villages mais elle a aussi connu un bond technologique très important.
À telle enseigne que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) vient de tirer la sonnette d'alarme en réclamant «la tenue d'un débat démocratique sur les nouveaux usages des caméras vidéo.»
«Ces technologies, sur lesquelles la CNIL est de plus en plus sollicitée, s'inscrivent dans une optique de prévention ou de répression des troubles à l'ordre public. La légitimité de cet objectif ne peut en tant que telle être contestée», assure l'autorité indépendante. «Mais ces dispositifs, qui s'articulent parfois avec des technologies de big data, soulèvent des enjeux importants pour les droits et libertés individuelles des citoyens. Le sentiment de surveillance renforcée, l'exploitation accrue et potentiellement à grande échelle de données personnelles, pour certaines sensibles (données biométriques), la restriction de la liberté d'aller et de venir anonymement, sont autant de problématiques essentielles pour le bon fonctionnement de notre société démocratique.»
Nouveau cadre juridique nécessaire
La CNIL constate combien le cadre juridique est dépassé face à cette nouvelle donne de la vidéosurveillance. «Le cadre juridique actuel (est) précis sur certaines technologies (caméras fixes, certains usages de caméras-piétons) et certaines finalités (visionnage «simple» d'images) (mais) n'apporte en revanche pas nécessairement de réponse appropriée à l'ensemble des techniques et usages nouveaux», explique l'autorité.Avant même l'établissement de nouveaux garde-fous, le travail de contrôle est d'ores et déjà très important et les manquements nombreux. «Dans ses rapports d'activité annuels, la CNIL pointe chaque année les contrôles qu'elle a faits et les manquements au droit qu'elle a constatés. Elle pointe dans des proportions non négligeables des manquements au droit, que ce soit la formation des agents, la configuration précise des logiciels pour que les caméras ne filment pas les parties privées, la présence de panneaux indiquant qu'on est filmé, etc.», explique Laurent Mucchielli, sociologue directeur de recherches au CNRS.
«Il est aujourd'hui impératif que des garde-fous soient prévus afin d'encadrer les finalités pour lesquelles (les nouveaux dispositifs) peuvent être déployés et prévenir tout mésusage des données traitées par leur biais», estime ainsi la CNIL, qui appelle «à ce que le législateur puis le pouvoir réglementaire se saisissent de ces questions.»
Laurent Mucchielli, sociologue : «Un décalage important entre les promesses et les résultats»
La CNIL a-t-elle raison d'appeler à la tenue d'un débat démocratique sur les nouveaux usages des caméras vidéo ?
Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS. Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (LAMES) - Oui. La CNIL est parfaitement dans son rôle. L'emploi de ces nouvelles technologies de surveillance se fait dans un enthousiasme et une crédulité quant à l'efficacité de ces technologies, qui mélangent également de la politique politicienne. Et il y a aussi des enjeux commerciaux et un coût très élevé et généralement pas expliqué voire dissimulé aux citoyens qui sont aussi des électeurs.
Dans vitre livre vous parlez de «bluff technologique».
Oui, je montre que dans la vidéosurveillance classique (enregistrement d'une part et détection en direct supposée d'autre part), il existe un décalage extrêmement important entre la promesse d'amélioration de notre sécurité quotidienne à tous et les résultats qui sont réels mais extrêmement faibles. Ils sont réels donc cela suffit à faire des communiqués de presse, de raconter des histoires. Mais quand on a une approche globale d'évaluation, et qu'on regarde les taux d'élucidations par les policiers ou les gendarmes, on s'aperçoit que c'est en fait très faible.
L'efficacité de la vidéosurveillance est souvent en débat. A-t-elle un effet dissuasif sur les délinquants ? Réduit-elle la délinquance sans la déplacer ?
La réponse est non. Avec mon livre, c'est la première fois qu'il y a une évaluation de la vidéosurveillance, indépendante des institutions, des marchands de caméras et des collectivités. Des villes m'ont confié des expertises, j'ai pu entrer dans les systèmes et obtenir des données jamais rendues publiques. Je l'ai fait dans une petite ville, une ville moyenne, une grande ville, en zone police et gendarmerie, dans des villes à gauche, au centre, à droite et le résultat est partout le même. La vidéosurveillance est utile dans un cas très limité de cas. Quant à la détection en direct elle est encore plus faible et en réalité l'observation en direct est détournée de la lutte contre la délinquance pour faire de la vidéoverbalisation de toutes les petites infractions routières du quotidien. Il ne m'appartient pas de dire si c'est légitime ou pas mais ce n'est pas pour cela que la vidéosurveillance a été vendue. Je montre enfin que la mode actuelle pour les industriels est de revenir dans les villes déjà équipées pour leur vendre la vidéosurveillance intelligente. La technologie n'est pas nouvelle – elle a été expérimentée aux États-Unis dès après les attentats de 2001 – mais les résultats sont tout aussi faibles. Et cela parce qu'elle ne fonctionne qu'avec les gens naïfs, des gens qui ne savent pas qu'ils sont observés, le menu fretin des petits délinquants pas très malins. En réalité, cette technologie ne marche jamais avec les délinquants organisés, ceux qui sont dangereux. Ces technologies sont pour eux un risque dont ils tiennent compte.
Si les élus sont trop fascinés par ces technologies, comment des garde-fous pourront être mis en place ?
On voit bien que les élus ne sont pas capables par eux-mêmes car ils font avant tout de la politique avec la vidéosurveilllance. Ils se désintéressent d'autres politiques de prévention de la délinquance et misent sur des caméras concrètes et faciles à installer. En faisant ça, ils se mettent eux-mêmes dans un cercle vicieux. Car avec les technologies de surveillance, on en fait toujours plus et on crée même la demande dans la population… Les garde-fous doivent être au niveau juridique avec des législations nationales et supranationales et avec les moyens de contrôle de leur application.
Auteur de Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance, E. Armand Collin. 232 p. 17,90 €