Accéder au contenu principal

Deepfake, décryptage d’une arnaque

Par Thomas Mannierre, Directeur EMEA Sud de BeyondTrust L’IA a fait entrer les braquages dans une nouvelle dimension. Plus besoin d’une cagoule noire désormais. En améliorant les attaques d'ingénierie sociale modernes, l’IA a donné naissance à un autre type de menaces : les deepfakes. Bienvenue dans ce qui pourrait être un épisode de Black Mirror ! Le faux CFO de Hong Kong En début d’année, une entreprise à Hong Kong s’est vue escroquée de 25,6 millions de dollars par un hacker utilisant l’IA et la technologie deepfake pour usurper l’identité d’un directeur financier. Si l'on en croit les rapports d’enquête, l'attaque a simulé un environnement de vidéoconférence complet et utilisé une fausse identité d'un important directeur financier de Hong Kong et d'autres participants à la réunion. La victime ciblée du département financier s'est d'abord méfiée d'un e-mail de phishing prétendant provenir du directeur financier. Cependant, la victime a rejoint une con

Plaidoyer pour enseigner Wikipédia


Réunion de wikipédiens en Finlande pour mettre à jour des fiches. Teemu Perhiö/Flickr, CC BY-SA
Par Alexandre Hocquet, Université de Lorraine


Wikipédia est (ou devrait être) un objet extraordinaire à enseigner : tout le monde connaît Wikipédia, et presque tout le monde le connaît mal. Cela devrait être la situation idéale pour un enseignant : intéresser les étudiants avec quelque chose qu’ils connaissent, les surprendre en leur montrant qu’ils peuvent y découvrir beaucoup de choses.
Je propose un cours à toutes les formations et tous les niveaux : la découverte de Wikipédia touche à des compétences transversales et peut être fructueuse de la première année de licence jusqu'au doctorat. Malheureusement, mes propositions restent souvent lettre morte auprès des collègues qui font les maquettes pédagogiques.


Apprendre, analyser, tester… Sean MacEntee / Flickr, CC BY

Un des principaux malentendus est que « enseigner Wikipédia » est vu par les collègues comme une formation courte : au mieux « apprendre à l’utiliser », au pire « apprendre à s’en méfier ». Pourtant, il y a dans Wikipédia de quoi apprendre pendant tout un semestre.
Tout d’abord, plonger dans Wikipédia demande de s’y faire petit à petit. Surtout, Wikipédia est un objet d’étude pertinent pour de nombreux aspects, pour moi qui voudrait enseigner mon domaine de recherche : les STS, ou, dit autrement, les relations entre sciences et sociétés.

Laboratoire d'analyse critique

L’enseignement de l’analyse critique est à la mode en ce moment, particulièrement dans l’injonction ministérielle à se méfier « des théories du complot », à peine différente de l’injonction ministérielle à se méfier « d’Internet ». Pour l’école, pour l’université et pour la presse, ce qui vient d’Internet est suspect a priori et Wikipédia est le « usual suspect » dans les entreprises de décrédibilisation de la part de ces trois institutions. Pourtant Wikipédia est un laboratoire très intéressant pour tester une « analyse critique des médias ».
Plonger dans Wikipédia permet de se mettre à l’épreuve d’une communauté de pairs plutôt que d’une voix magistrale. Intervenir dans Wikipédia, c’est soumettre sa production (ou tout simplement son avis) aux mécanismes de recherche de consensus, de la vérifiabilité, de la neutralité de point de vue (des notions wikipédiennes qui elles-mêmes demandent à être déconstruites mais cela s'apprend en plongeant dedans).

Ces notions épistémologiques ne sont pas seulement celles d’un mode de production de connaissance bien particulier, elles sont aussi liées (et se façonnent mutuellement) avec l’infrastructure technique et logicielle de Wikipédia (qu’est ce que le wiki et d’où vient-il ? Que sont les bots et comment travaillent-ils ?), l’infrastructure juridique et politique (quel est le rôle de la Wikimedia Foundation, en quoi la production est elle liée aux licences ?).

Enseigner le bien commun

Les licences utilisées dans Wikipédia, et Wikipédia elle-même, sont aussi un projet politique lié au monde du libre, aux « creative commons », et plus généralement aux « biens communs ». Enseigner Wikipédia c’est aussi enseigner un projet politique particulier et nouveau : c’est le seul « bien commun » à avoir réussi à exister à grande échelle. Les politiques du libre ne sont pas seulement un projet, ce sont aussi une mise en oeuvre, dans lesquelles la notion de forking est primordiale (le forking, en tant qu’action politique, est l’équivalent d’un schisme en religion; à la fois une garantie de démocratie et une menace de division).


Wikipedia, un bien à partager. cea+ / Flickr, CC BY

De manière plus générale, Wikipédia est un des rares exemples à grande échelle d’un projet qui se veut « Open » et qui est obligé chaque jour par la pratique de définir ce qui est « Open » et ce qui ne l’est pas, parfois avec violence. L'Open est un concept flou. Au delà d’un washing politique ou d’une vision militante, définir ce qu'est l'Open en pratique est malaisé. Wikipédia est donc une étude de cas essentielle pour comprendre les « politiques de l’Open ».
Enfin, Wikipédia est aussi une communauté et ce projet politique est aussi un projet d’organisation communautaire par les principes, les règles, les protocoles et la technique. L’organisation des débats, les règles de recherche de consensus, les procédures de vote s’y inventent. Wikipédia est une excellente étude de cas pour enseigner la « culture numérique » par l’exemple.
Wikipédia permet de comprendre des projets techniques, des projets politiques, des projets épistémologiques liés au monde du libre, au monde du software, au monde des « algorithmes » et transpose ces notions dans un monde accessible au grand public. En ce sens, j’ai la conviction que, pour comprendre ce monde, pour acquérir une « littératie numérique », il est plus utile de plonger dans les entrailles de Wikipédia que « d’apprendre à coder ».

Politique, technique et sociologie

Mon but est de parvenir à faire partager ma vision distanciée mais pas complètement de Wikipédia, faire toucher du doigt comment Wikipédia est un monde avec des aspects techniques, des aspects politiques, des aspects sociologiques, démocratiques, juridiques, épistémologiques uniques et surtout complètement entremêlés les uns aux autres. Je le fais en racontant des anecdotes.


Wikipédia, tout un monde. Esther Vargas / Flickr, CC BY-SA

Ces anecdotes ont pour but de révéler ces enchevêtrements en racontant une histoire. Elles sont censées surprendre sur un sujet que tout le monde connaît mais que personne ne connaît ET révéler les tensions et interpénétrations de tous ces thèmes. Elles servent aussi à provoquer des questions-réponses, particulièrement si l’anecdote a, ou a eu, un succès médiatique ou si elle a été relatée dans la presse.

Par exemple, quand est abordée la question de l’ajout de photos, les principes de wikimedia commons, et/ou les règles du copyvio, l’anecdote du selfie du macaque met en lumière ces sujets, leur enchevêtrement, et leurs implications à la fois juridiques, techniques, procédurales, et de choix de licence, tout en traitant du militantisme du copyleft. L’anecdote est donc tout sauf futile : elle met en lumière cette complexité.
En dehors de la structure universitaire, une équipe de wikipédiens a créé un Massive Online Open Course qui a pour but de faire découvrir Wikipédia et d'apprendre à y contribuer. Il est pédagogiquement très réussi, beaucoup mieux que de nombreux MOOCs réalisés par des professionnels. Le but de ce MOOC, évidemment sous licence libre, est d'être réutilisable, modulable, modifiable pour pouvoir être enseigné dans différents cursus universitaires.
Il reste beaucoup de choses à faire pour rendre l’Université et l’enseignement de Wikipédia compatibles, mais de plus en plus de gens s’y mettent… et en débattent.The Conversation


Apprendre à contribuer sur Wikipédia.

Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en Histoire des Sciences, Visiting fellow at the Science History Institute, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Comment les machines succombent à la chaleur, des voitures aux ordinateurs

  La chaleur extrême peut affecter le fonctionnement des machines, et le fait que de nombreuses machines dégagent de la chaleur n’arrange pas les choses. Afif Ramdhasuma/Unsplash , CC BY-SA Par  Srinivas Garimella , Georgia Institute of Technology et Matthew T. Hughes , Massachusetts Institute of Technology (MIT) Les humains ne sont pas les seuls à devoir rester au frais, en cette fin d’été marquée par les records de chaleur . De nombreuses machines, allant des téléphones portables aux voitures et avions, en passant par les serveurs et ordinateurs des data center , perdent ainsi en efficacité et se dégradent plus rapidement en cas de chaleur extrême . Les machines génèrent de plus leur propre chaleur, ce qui augmente encore la température ambiante autour d’elles. Nous sommes chercheurs en ingénierie et nous étudions comment les dispositifs mécaniques, électriques et électroniques sont affectés par la chaleur, et s’il est possible de r

De quoi l’inclusion numérique est-elle le nom ?

Les professionnels de l'inclusion numérique ont pour leitmotiv la transmission de savoirs, de savoir-faire et de compétences en lien avec la culture numérique. Pexels , CC BY-NC Par  Matthieu Demory , Aix-Marseille Université (AMU) Dans le cadre du Conseil National de la Refondation , le gouvernement français a proposé au printemps 2023 une feuille de route pour l’inclusion numérique intitulée « France Numérique Ensemble » . Ce programme, structuré autour de 15 engagements se veut opérationnel jusqu’en 2027. Il conduit les acteurs de terrain de l’inclusion numérique, notamment les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (les structures intermédiaires ayant pour objectif la mise en relation de l’État avec les structures locales), à se rapprocher des préfectures, des conseils départementaux et régionaux, afin de mettre en place des feuilles de route territoriales. Ces documents permettront d’organiser une gouvernance locale et dé

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl

Des conseils d'administration inquiets et mal préparés face à la menace cyber

Alors que les Assises de la Sécurité ouvrent leurs portes ce mercredi 11 octobre, pour trois jours de réflexion sur l’état de la cybersécurité en France, la société de cybersécurité Proofpoint f ait le point sur le niveau de préparation des organisations face à l’avancée de la menace.  Cette année encore, les résultats montrent que la menace cyber reste omniprésente en France et de plus en plus sophistiquée. Si les organisations en ont bien conscience,  augmentant leur budget et leurs compétences en interne pour y faire face, la grande majorité d’entre elles ne se sont pour autant, pas suffisamment préparées pour l’affronter réellement, estime Proofpoint. En France, 80 % des membres de conseils d’administration interrogés estiment que leur organisation court un risque de cyberattaque d’envergure, contre 78 % en 2022 – 36 % d’entre eux jugent même ce risque très probable. Et si 92 % d’entre eux pensent que leur budget lié à la cybersécurité augmentera au cours des 12 prochains mois, ces

L’Europe veut s’armer contre la cybercriminalité avec le Cyber Resilience Act

  Par  Patricia Mouy , Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Sébastien Bardin , Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) Assez des cyberattaques  ? La loi sur la cyberrésilience, ou Cyber Resilience Act a été adoptée par les députés européens le 12 mars dernier et arrive en application dans les mois à venir, avec l’ambition de changer la donne en termes de sécurité des systèmes numériques en Europe. Alors que les systèmes numériques sont littéralement au cœur des sociétés modernes, leurs potentielles faiblesses face aux attaques informatiques deviennent des sources de risques majeurs – vol de données privées, espionnage entre états ou encore guerre économique. Citons par exemple le cas de Mirai , attaque à grande échelle en 2016, utilisant le détournement de dispositifs grand public comme des caméras connectées pour surcharger des domaines Internet d’entreprise, attaque de type DDoS (déni de service distribué)