Accéder au contenu principal

Données personnelles : rien à cacher, mais beaucoup à perdre

Nos données personnelles sont partout sur internet, et peuvent être utilisées à très mauvais escient. Дмитрий Хрусталев-Григорьев , Unsplash , CC BY Par  Antoine Boutet , INSA Lyon – Université de Lyon Nos données personnelles circulent sur Internet : nom, adresses, coordonnées bancaires ou de sécurité sociale, localisation en temps réel… et les affaires qui y sont liées se font une place pérenne dans le débat public, du scandale Facebook-Cambridge Analytica au vol de données à la Croix-Rouge , en passant par les récents blocages d’hôpitaux par des rançongiciels (ou ransomware ) et l’ interdiction de l’application TikTok pour les fonctionnaires de plusieurs pays . Mais si l’on sait de plus en plus que nos données personnelles sont « précieuses » et offrent des possibilités sans précédent en matière de commercialisation et d’innovation, il est parfois difficile de saisir ou d’expliquer pourquoi il faudrait les protéger. Quels sont les risques

La résilience du journalisme face au pouvoir « jupitérien »

macron


Par Alexis Lévrier, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)

Quelle trace le quinquennat d’Emmanuel Macron laissera-t-il dans l’histoire de la presse et des médias ? Même s’il a été présenté comme l’homme du « nouveau monde », le président « jupitérien » est revenu dans ses rapports avec les journalistes aux origines mêmes de la Ve République. Il n’a pas hésité pour cela à utiliser les méthodes de la modernité, en diffusant par exemple ses propres images sur les réseaux sociaux tout en tenant la presse à distance. C’est le constat que je dresse dans l’ouvrage Jupiter et Mercure, le pouvoir présidentiel face à la presse (éditions Les Petits Matins).

Le projet de ce livre est né le soir même de l’élection présidentielle de 2017, au moment où Emmanuel Macron entamait sa marche solennelle dans la cour du Louvre. Je venais de publier un ouvrage, Le Contact et la distance, qui portait sur la très forte porosité qui caractérise les mondes politique et journalistique en France.

Emmanuel Macron avait annoncé très tôt sa volonté de rompre avec cette tradition, et notamment avec le goût pour les « propos d’antichambre », comme il les nommera quelques mois plus tard.

Cette rupture me semblait bienvenue, mais elle portait déjà en elle une ambiguïté : Emmanuel Macron semblait moins attaché à l’idée d’une distance entre ces deux mondes, sur le modèle anglo-saxon, qu’à la volonté de rétablir une relation ouvertement hiérarchique entre le pouvoir politique et la presse.

Deux entretiens fondateurs

En juillet 2015 et en octobre 2016, dans deux entretiens fondateurs accordés à l’hebdomadaire Le 1 et au magazine Challenges, il avait en effet revendiqué une manière de gouverner très verticale.

Il avait même exprimé dans Le 1 son admiration pour les précédents gaulliens ou bonapartiste, et regretté ouvertement la disparition de la « figure du Roi ». Or, l’attachement à un tel héritage ne pouvait être qu’annonciateur de potentielles dérives à l’égard de la presse : lorsque le pouvoir se veut « jupitérien », selon le terme employé par le candidat dans son interview à Marianne, il est presque toujours tenté de restreindre la liberté des journalistes.

Dès le mois de mai 2017, j’ai donc choisi d’observer ce quinquennat à travers le prisme des rapports entre le président et la presse, avec la volonté de confronter Emmanuel Macron à ses prédécesseurs et d’inscrire son mandat dans l’histoire des médias. L’histoire n’est pas tout à fait finie au moment où paraît cet ouvrage, et la période préélectorale qui s’ouvre changera peut-être en partie la donne.

Mais, quatre ans après la déambulation victorieuse d’Emmanuel Macron, il me semble d’ores et déjà possible d’isoler plusieurs périodes, et de tirer quelques enseignements des difficultés rencontrées par ce jeune président dans ses relations avec la presse.

Manières abruptes

Dans un premier temps au moins, la rupture voulue par Emmanuel Macron a été bien accueillie par une partie du monde des médias. Certes, dès la campagne, plusieurs rédactions ont dénoncé le vocabulaire méprisant et les pratiques rugueuses revendiqués par l’équipe du candidat d’En marche.

Mais en dépit des propos parfois insultants tenus à leur égard par Sylvain Fort ou Sibeth Ndiaye, les journalistes ont été nombreux à accepter ces manières abruptes : malgré sa brutalité, ce bouleversement avait le mérite de mettre un terme à la confusion généralisée entre presse et pouvoir qui avait caractérisé le quinquennat précédent.

Même dans le domaine de la mise en scène de l’intime, les protestations devant la mainmise de « Mimi » Marchand sur l’image du couple présidentiel ont d’abord été limitées. La « reine de la presse people », comme elle est souvent surnommée, a pourtant eu un accès privilégié à Emmanuel et Brigitte Macron dès l’année 2016, au détriment de toutes les autres agences.

« Mimi », personnage romanesque dont la vie est liée au banditisme et au monde de la nuit, a ainsi d’emblée joué un rôle clé dans la célébration de la vie privée des deux époux.

Une photographie datée de juin 2017 la montre même debout derrière le bureau présidentiel à l’Élysée : un sourire extatique aux lèvres, et ses deux mains dessinant le V de la victoire, elle semble fêter le triomphe d’Emmanuel Macron comme s’il était aussi le sien.

Le déclic : l’affaire Benalla

Un tel déséquilibre dans les rapports entre presse et pouvoir ne pouvait cependant durer indéfiniment. Le basculement a eu lieu avec l’affaire Benalla qui, au cours de l’été 2018, a montré les limites propres à la communication « jupitérienne ».

Pendant six jours, entre le 18 et le 24 juillet, un bras de fer spectaculaire oppose en effet un président obstinément silencieux et le journal Le Monde, à l’origine de cette révélation, qui consacre toutes ses Unes à l’enquête et à ses répercussions politiques. L’affaire provoque ainsi un renversement du rapport de force et une libération de la parole des journalistes, puisqu’elle révèle les zones d’ombre de la communication du président. L’un des rôles d’Alexandre Benalla était en effet d’empêcher les journalistes indésirables d’accéder au couple présidentiel. Le collaborateur d’Emmanuel Macron n’avait d’ailleurs pas hésité, dès la campagne, puis durant la première année du quinquennat, à s’en prendre physiquement à certains d’entre eux.

Le conseiller Alexandre Benalla semblait être de toutes les occasions ?

Cette première crise, aggravée ensuite par l’épreuve des « gilets jaunes », a obligé le président à transformer ses relations avec la presse. Interviews plus nombreuses, recours à la pratique du « off », signes d’apaisement envoyés aux rédactions nationales ou régionales : à partir de la fin de l’année 2018 et du début de l’année 2019, Emmanuel Macron a multiplié les efforts pour « normaliser » en apparence sa communication.

Mais j’ai voulu montrer dans ce livre qu’il n’a jamais renoncé pour autant à être un président « jupitérien », au sens où l’entendait le conseiller de François Mitterrand, Jacques Pilhan. En témoignent par exemple les nombreuses convocations à la DGSI qui ont jalonné l’année 2019.

En témoigne aussi l’article 24 de la loi « sécurité globale » qui, dans sa première version, limitait la possibilité pour les journalistes de filmer les forces de l’ordre lors des manifestations. En témoigne surtout la volonté du président d’instrumentaliser les médias et, dans le secret, de les utiliser pour « trianguler » avec l’extrême droite dans l’optique de la présidentielle de 2022. Je reviens par exemple dans le livre sur les liens du président avec la rédaction de Valeurs actuelles ou avec certaines des figures les plus clivantes de la chaîne CNews.

Une mise en cause des droits de la presse

Du début jusqu’à la fin, ce quinquennat aura donc été marqué par une mise en cause, et à certains égards, par un recul des droits de la presse. Les journalistes ont même été menacés dans leur intégrité physique lorsqu’ils ont cherché à couvrir les mouvements sociaux : durant les six premiers mois du mouvement des Gilets jaunes, 54 d’entre eux ont par exemple été blessés par les forces de l’ordre, selon un décompte de Reporters sans frontières (RSF).

Dans le même temps, beaucoup de journalistes ont vu leur situation professionnelle se dégrader dans des proportions considérables, en raison notamment de la crise sanitaire et des mouvements de concentration en cours dans le monde des médias.

Dans ces conditions, comment ne pas dresser un constat très sombre sur la fonction laissée à la presse durant ces quatre années, et sur les perspectives qui s’offrent à elle pour la décennie qui vient ?

Quelques motifs d’espoir

Ce livre voudrait cependant montrer qu’il existe d’authentiques raisons d’espérer. On peut se réjouir en particulier, à plus d’un titre, du rôle joué par une partie de la presse depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Malgré les convocations à la DGSI ou la perquisition ratée à Mediapart en février 2019, les médias concernés ont continué leurs investigations sur l’affaire Benalla et refusé de livrer leurs sources.

On peut rappeler aussi l’attitude très digne de Georges Malbrunot en février 2020 : à l’issue d’une conférence de presse à Beyrouth, le président a violemment pris à partie ce journaliste, lui reprochant plusieurs articles consacrés à la situation au Liban.

Malgré cette humiliation publique peu respectueuse de la liberté de la presse, le reporter du Figaro n’a rien renié du contenu de ses articles et il a même jugé « inacceptable » le comportement du président.

Ariane Chemin a montré elle aussi quelle pouvait être l’attitude à adopter face à un pouvoir aussi impérieux. Son nom apparaît en effet tout au long du quinquennat, lors d’affaires ou d’événements qui supposaient une capacité du journalisme à jouer le rôle critique qui doit être le sien dans une démocratie.

Elle a bien sûr publié le 18 juillet 2018 l’article qui a déclenché l’affaire Benalla. Mais elle est aussi l’une des premières, en interrogeant Agnès Buzyn le 17 mars 2020, à avoir mis en évidence les manques, les ambiguïtés et même les mensonges dont le pouvoir a fait preuve dans sa gestion initiale de la crise sanitaire. Avec d’autres, elle a également largement contribué à révéler la stratégie utilisée désormais par Emmanuel Macron et l’un de ses principaux conseillers, Bruno Roger-Petit, pour nouer des liens avec l’extrême droite par médias interposés.

Capture d’écran de l’article d’Ariane Chemin et de Franck Joannès (Le Monde) sur la rencontre entre Bruno Roger-Petit et Marion Maréchal (27 décembre 2020). Le Monde
Article d’Ariane Chemin et François Krug (Le Monde) sur les coulisses des liens entre le président et l’hebdomadaire Valeurs Actuelles (2019). Le Monde

La force de ces enquêtes tient à la manière dont Ariane Chemin a privilégié l’attention aux faits, à la traque inlassable de la vérité, en maîtrisant autant que possible sa propre subjectivité.

Sa démarche est ainsi allée à contre-courant d’une tendance de plus en plus perceptible dans la presse écrite, et plus encore dans les médias audiovisuels : l’abandon de l’information au bénéfice de cette « société du commentaire » dont parlait récemment Nicolas Truong dans une longue enquête pour Le Monde.

De tels articles constituent ainsi une leçon et peut-être même un modèle pour l’ensemble de la presse. Ils montrent que, face à l’hubris de Jupiter, la meilleure réponse ne réside ni dans la flagornerie ni dans le déchaînement de critiques ad hominem, mais dans le choix d’un journalisme attentif aux faits – et à eux seuls.


L’auteur vient de publier Jupiter et Mercure, le pouvoir présidentiel face à la presse (éditions Les Petits Matins).The Conversation Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences, chercheur associé au GRIPIC, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Univers parallèles et mondes virtuels : la guerre des métavers est commencée

  Une partie de poker dans le métavers (capture d'écran de la vidéo “Le métavers et comment nous allons le construire ensemble” sur YouTube) Par  Oihab Allal-Chérif , Neoma Business School Le 17 octobre 2021, Mark Zuckerberg a lancé les hostilités de manière assez théâtrale, comme s’il défiait ses concurrents d’en faire autant. Afin de concrétiser son rêve d’enfant, le métavers, il a décidé de mettre en œuvre des moyens colossaux : 10 000 ingénieurs hautement qualifiés seront recrutés en Europe dans les 5 prochaines années. Cette annonce a été faite quelques jours avant celle du changement de nom du groupe Facebook en Meta , le 28 octobre, démontrant ainsi l’engagement total du fournisseur de réseaux sociaux dans la transition vers le métavers. Le 22 juillet 2021, dans une interview à The Verge , le créateur de Facebook racontait : « Je pense à certains de ces trucs depuis le collège quand je commençais tout juste à coder. […] J’écrivais du code

Sans Sauvegarde, pas de cyber-résilience

Par Alexandra Lemarigny, directrice commercial Europe du Sud Opentext Security Solutions Les études diverses sur les habitudes de sauvegarde des entreprises et leurs collaborateurs sont sans équivoque : très majoritairement, elles ne s’attardent vraiment sur ces questions de sauvegarde ou de récupération qu’en cas d’incidents. Pourtant la sauvegarde est l’élément majeur des dispositifs de cyber-résilience, à savoir la capacité à rester opérationnel, même face aux cyberattaques et à la perte de données. La sauvegarde n’est pas suffisamment considérée Dans les faits, force est de constater que la sauvegarde n’est pas envisagée dans son entièreté par les entreprises qui n’ont pas eu à subir d’accidents et il est fréquent qu’elles ne sauvegardent pas les éléments les plus pertinents. A titre d’exemples une entreprise peut ne sauvegarder qu’un ou deux serveurs, ou un élément qu’elle a identifié comme critique quelques années auparavant. Certaines ne tiennent pas compte de l’évolution de leu

Implants cérébraux : la délicate question de la responsabilité juridique des interfaces homme-machine

Dans le film Transcendance , de Wally Pfister, sorti en 2014, le héros mourant transfère son esprit dans un ordinateur quantique. Wally Pfister, 2014 Par  Elise Roumeau , Université Clermont Auvergne (UCA) Depuis quelques années, Elon Musk ne cesse de faire des annonces relatives à des avancées technologiques. Voitures autonomes , voyages interplanétaires , interface homme-machine , achat du réseau social Twitter… rien ne semble arrêter l’homme d’affaires. Aucun obstacle technique, géographique, physiologique ne lui semble infranchissable. Pourtant, ses projets pourraient, à court terme, poser de véritables difficultés du point de vue juridique. La recherche d’une fusion entre le cerveau et l’intelligence artificielle Avec Neuralink, l’un des objectifs visés par Elon Musk est de créer une interface entre l’humain et la machine . À plus ou moins court terme, le projet porte sur le développement d’implants cérébraux pour pallier des troubles neur

ChatGPT et cybersécurité : quels risques pour les entreprises ?

Analyse de Proofpoint Les plateformes de génération de texte tel que ChatGPT permettent de créer du contenu de qualité, instantanément, gratuitement, et sur n’importe quel sujet. Comme le confirme le lancement de Bard par Google, nous sommes désormais entrés dans une course à l’IA, ou chaque géant du web cherche à posséder la meilleure solution possible. Si l’avancée technologique est majeure, le risque notamment pour la cybersécurité des entreprises est indéniable. Comment lutter contre des campagnes de phishing de plus en plus ciblées et sophistiquées, maintenant alimentées par des technologies capables de parfaire encore plus la forme et la teneur d’un email malveillant ? En quelques mots, ChatGPT offre une ingénierie sociale très performante, mais une automatisation encore limitée. Concernant la détection de la menace par rançongiciels, comme l’explique Loïc Guézo, Directeur de la stratégie Cybersécurité chez Proofpoint, « Bien que les chatbots puissent générer du texte pour le cor

Sondage : quatre Français sur dix craignent le vol d'identité

Selon un sondage représentatif commandé par le fournisseur de messagerie GMX , de nombreux internautes français sont préoccupés (31%), voire très inquiets (9%), d'être victimes d'un vol d'identité. La majorité craint que des inconnus puissent faire des achats (52%) avec leur argent. Dans le cas d'une usurpation d'identité, les criminels accèdent aux comptes en ligne et agissent au nom de leurs victimes. De nombreuses personnes interrogées craignent que des inconnus signent des contrats en leur nom (37 %), que des escrocs utilisent l'identité volée pour ouvrir de nouveaux comptes (36 %) et que des informations les plus privées tombent entre des mains étrangères ou soient rendues publiques (28 %). Besoin de rattrapage en matière de sécurité des mots de passe Il est urgent de rattraper le retard en matière d'utilisation de mots de passe sûrs selon GMX : 34 % des utilisateurs d'Internet en France utilisent dans leurs mots de passe des informations personnell