L’ADN n’a pas fini de nous surprendre. Découvert pour la première en 1869 par le biologiste suisse Friedrich Miescher, puis expliqué en 1953 par les biochimistes américain James Watson et britannique Francis Crick avec la double hélice, l’acide désoxyribonucléique, qui contient le génome de tout être vivant, a permis des avancées majeures dans le génie génétique, la police scientifique, la médecine légale, l’histoire, l’anthropologie ou les biotechnologies.
Aujourd’hui, l’ADN révolutionne un nouveau domaine : celui du stockage de nos données. Et c’est aux Archives nationales que cette révolution s’est concrétisée cette semaine avec l’expérimentation de DNA Drive, une technologie de stockage d’information numérique sur ADN développée et brevetée par Stéphane Lemaire et Pierre Crozet, respectivement directeur de recherche CNRS et maître de conférences à Sorbonne Université. Et pour cette première mondiale, deux textes très symboliques ont été choisis : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée par Olympe de Gouges en 1791.
Répondre à l’explosion des données dans le monde
Mais revenons à la genèse de cette technologie de stockage dans l’ADN qui mobilise des chercheurs du monde entier depuis une dizaine d’années. Le stockage, la conservation et donc la transmission de nos données aux générations futures constituent des enjeux capitaux pour l’humanité. Mais ils se heurtent aujourd’hui à facteurs de limitation majeurs. D’abord, la faible durée de vie des supports de stockage : un CDROM, une clé USB ne sont physiquement pas éternels. Ensuite, l’expansion vertigineuse des données induit une demande de stockage largement supérieure à nos capacités. Selon les dernières estimations, le volume de données numériques créées ou répliquées à l’échelle mondiale a été multiplié par plus de trente au cours de la dernière décennie et les experts tablent sur une croissance de 40 % dans les 5 prochaines années. Enfin, troisième limitation : la quantité d’énergie gigantesque requise pour ce stockage dans des fermes de serveurs gigantesques, ce qui représente un coût économique et un impact environnemental considérables.
Le stockage sur l’ADN présente au contraire de formidables qualités. Il est durable (la stabilité de l’ADN se compte en dizaines, voire en centaines de milliers d’années), n’est pas énergivore (l’ADN est stable à température ambiante sans aucun apport d’énergie s’il est conservé dans des conditions adéquates) et il est compact. Un gramme d’ADN peut contenir 450 To ; l’intégralité des données mondiales pourrait tenir dans 100 g d’ADN !
Dans l'Armoire de fer des Archives nationales
Pour stocker sur ADN, il faut transformer les données binaires 0 et 1 numériques en données quaternaire (les fameux A, T, C, G) pour obtenir une séquence sur des petits fragments d’ADN appelés oligonucléotides. Mais cette « écriture » était jusqu’à présent coûteuse. DNA Drive met en œuvre au contraire une piste biologique jusqu’ici jamais exploitée. L’information est stockée, comme dans le vivant, sur de longs fragments d’ADN en double hélice. Ces fragments sont ensuite stockés dans des capsules métalliques DNAshell conçues par Imagene. La lecture des données qui sont agencées comme dans un de nos disques durs actuels, se fait par un séquenceur ADN, un lecteur qui sera de plus en plus compact l’avenir.
Chaque capsule peut contenir une quantité d'ADN correspondant à 5000 To de données numériques © Philippe Tran |
Pour établir la faisabilité du projet « La Révolution de l’ADN » avec la technologie DNA Drive, une équipe pluridisciplinaire a été montée avec des biologistes, informaticiens, historiens, philosophes et archivistes. Les deux capsules contenant les deux textes symboliques sont désormais conservées dans l’Armoire de Fer qui contient les plus précieux documents des Archives nationales.