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L’IA au travail : un gain de confort qui pourrait vous coûter cher

Par  Kathleen Desveaud , Kedge Business School L’intelligence artificielle promet un soulagement face à l’ennui des tâches répétitives au travail, mais son usage excessif pourrait entraîner une déqualification progressive et une nouvelle forme de frustration professionnelle. Entre automatisation bénéfique et risque de « travail zombie », comment faire de l’IA un allié du développement des compétences plutôt qu’une source d’appauvrissement cognitif ? L’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur les métiers est un sujet majeur , qui a été traité dans de nombreuses études . Si la question de la disparition des emplois retient souvent l’attention, une autre question de fond mérite d’être considérée : comment ces technologies transforment et transformeront-elles concrètement le quotidien, les compétences et la motivation des travailleurs ? L’IA, un remède contre l’ennui au travail ? L’IA est parfois présentée comme un parfait remède a...

Quelles orientations numériques en France : un enjeu démocratique et citoyen

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Pierre-Antoine Chardel, Institut Mines-Télécom Business School

La numérisation est désormais un fait social quasiment total, même si beaucoup d’inégalités d’accès aux réseaux persistent : elle symbolise en tout cas des potentialités considérables d’un point de vue sociétal, politique et économique.

Sur ce plan, la France est un acteur important à l’échelle européenne. Le déploiement de la 5G sur son territoire devrait dans les prochaines années permettre des progrès importants. Par exemple, dans le domaine industriel, des systèmes de maintenance prédictive visent à suivre le comportement d’un équipement dans le temps et à anticiper les pannes avant qu’elles ne se produisent. En télémédecine, des applications font déjà l’objet d’expérimentations prometteuses, dans le cadre par exemple de la chaire de recherche et d’innovation sur le bloc opératoire augmenté.

Le numérique change nos vies privées et publiques

Les pratiques sociales sont elles-mêmes en métamorphose majeure : l’accès aux réseaux offre des capacités de décentrement dans la construction de soi, intervenant ainsi sur les imaginaires institués, et les expériences de socialité en ligne ont en ce sens une dimension existentielle à part entière. Les individus sont susceptibles d’être ouverts à des sources d’influence culturelles, intellectuelles, affectives ou idéologiques beaucoup plus variées qu’autrefois.

La variété des supports technologiques permet de créer des sensibilités plus ouvertes à des expressions culturelles hétérogènes, ainsi qu’à des causes transnationales.

Les pratiques politiques, par le biais des mobilisations sociales en ligne, évoluent en faveur de davantage de transparence dans l’organisation de la vie commune. Tour à tour émetteurs, récepteurs et relais d’information, les citoyens sont désormais en mesure de s’attaquer à la traditionnelle culture du secret du pouvoir étatique. De Wikileaks aux Panama Papers, l’ère numérique permet l’ouverture de brèches de contournement des ordres institués assez inédites.

Une culture de l’horizontalité

Une culture de l’horizontalité s’est imposée depuis que nous vivons en réseau et que nous sommes devenus hyperconnectés.

Lors du lancement de l’application StopCovid au printemps 2020, les multiples alertes formulées par de nombreux chercheurs et scientifiques – de toutes disciplines – ont contribué à créer d’importants débats dans la sphère publique, en sensibilisant les citoyens et les politiques aux problèmes que posaient initialement cette application en termes de vie privée et de traçabilité.

L’application fut ainsi revue dans sa conception et a intégré davantage de garanties juridiques. Un tel exemple souligne à quel point le contrôle démocratique des nouvelles technologies devient une demande sociétale de plus en plus forte. Elle s’intensifiera sûrement à l’avenir.

Contrôle des technologies numériques : enjeu démocratique, demande sociétale

Afin d’éviter des visions trop enchantées de l’innovation (à tout prix et qui serait nécessairement synonyme de « mieux »), une éducation plus transversale et appliquée à la complexité technologique apparaît comme un enjeu décisif sur le plan démocratique.

Cet enjeu s’exprime déjà par des dynamiques visant à proposer d’autres modèles économiques que ceux des GAFAM. Des initiatives comme celles de « Déclic » vont aujourd’hui dans cette direction, en vue de refaire d’Internet un bien commun, une source d’émancipation et de contribution (par la valorisation des logiciels libres ou du design éthique).

L’ambition d’allier responsabilité éthique et innovation technologique est désormais clairement identifiée comme socialement importante.

Par rapport à de telles exigences, des politiques publiques du numérique ne devraient-elles pas être conçues en assumant beaucoup plus ouvertement un certain pluralisme dans notre rapport à l’innovation ? C’est-à-dire en faisant intervenir divers réseaux d’acteurs au moment où les technologies se développent, fidèlement aux valeurs démocratiques qui ont historiquement orienté la construction de nos sociétés ?

Libérer les pratiques créatives et les imaginaires sociaux

Afin de répondre à de telles exigences éthiques, un défi sera de permettre à des formations transdisciplinaires de se déployer : afin que les technologies ne soient pas considérées que sous l’angle d’une pure rationalité qui répondrait essentiellement à des critères d’efficacité, et qu’elles puissent davantage s’adresser à la part émotionnelle des individus en proposant par exemple de se mettre dans la peau de créatures animales ou organiques, à l’instar de ce que certains artistes expérimentent aujourd’hui.

C’est, plus globalement, l’exercice du jugement critique (qui renvoie à une faculté de discernement) dans le contexte des sociétés technologiques qui devrait se voir développé.

Par exemple, si nous sommes accoutumés au fait de semer nos données par le biais des réseaux sociaux ou de nos activités en ligne, au fait donc d’être engagés dans une forme d’exposition numérique quasi permanente, les possibles effets générés par des applications intégrant des données de santé ne sont pas du même ordre.

Le recueil d’information de santé – et la production de critères de bonne santé – implique le risque d’instituer des politiques de discrimination de certaines populations, que l’on empêcherait d’aller et venir, d’accéder à tel ou tel lieu, ouvrant la voie à une gestion biopolitique des populations – une gouvernance qui reposerait avant tout sur le contrôle de la santé des corps au détriment de la qualité de la vie sociale elle-même.

Un autre risque serait sans doute de favoriser une accoutumance au fait d’être tracé sur des critères de santé – critères qui pourraient être toujours redéfinis de manière arbitraire.

Décider ensemble des évolutions technologiques de notre société

Si l’accentuation des réseaux numériques tend à créer des phénomènes majeurs dans l’évolution de nos existences individuelles et collectives, l’idéal qu’ils portent ne doit pas nous empêcher de les interroger en fonction du sens que nous souhaitons conférer à nos coexistences.

Sur ce plan, d’un point de vue éducatif, la France est en retard par rapport aux pays d’Europe du Nord, étant donné les frontières disciplinaires qui persistent encore massivement entre sciences de l’ingénieur et sciences humaines et sociales, compte tenu également de la difficulté qu’il y a à engager autour des technologies des perspectives éducatives qui soient capables d’intégrer des dimensions à la fois artistiques, scientifiques, techniques et philosophiques. Des initiatives naissent depuis ces dernières années, par exemple au sein du Master « Inventivités digitales – Designers, Ingénieurs, Managers ».

La marge de progression est loin d’être négligeable, car les environnements numériques appellent le développement de nouvelles capacités d’agir des citoyens eux-mêmes, qui sont encore trop massivement tenus à l’écart de décisions touchant au développement du numérique dans leurs vies.

Le déploiement de la 5G est à cet égard en France un bon exemple d’un déploiement technologique qui s’affirme de manière très unilatérale, en s’imposant comme une technologie totale, se répercutant dans une multitude de sphères (industrie, transport, commerce, loisir, santé, etc.), ne donnant lieu à aucune concertation ni débat, à l’opposé ce qui est par exemple en vigueur au Danemark où les dynamiques de concertation citoyenne à propos de certaines grandes orientations technologiques sont historiquement plus ancrées. Au niveau local, les communes danoises mettent en place des procédures de démocratie participative visant la consultation régulière et l’implication constante des citoyens dans certaines prises de décision.

Maturité critique sur les impacts sociétaux du numérique

Dans un tel horizon, le déploiement d’universités populaires du numérique serait sans nul doute une manière de faciliter des appropriations plus éclairées et contributives des innovations technologiques, à l’image de ce qui existe déjà sur certains territoires en France.

Le déploiement de tels projets au sein des nombreuses écoles d’ingénieurs que nous avons sur le territoire national serait une manière de créer des synergies fructueuses entre les visions du progrès portées par la culture des élèves-ingénieurs et les visions du futur désirées par les citoyens. C’est au travers de telles interactions que nos sociétés technologiques seront les plus à même de gagner en maturité critique, qui sera essentielle au niveau européen pour faire face à certains modèles d’innovation hégémoniques, qui s’incarnent notamment aujourd’hui par l’autoritarisme numérique, tel qu’il s’affirme par exemple en Chine.

Sur le plan intellectuel, la France dispose d’atouts pour faire entendre la voix d’une culture numérique éthiquement soutenable, par exemple avec les travaux menés à l’Institut de Recherche et d’Innovation ou plus amplement avec le courant des études digitales. Mais, pour les faire valoir, elle doit réaffirmer, dans les processus d’innovation eux-mêmes, les valeurs auxquelles elle est démocratiquement attachée.The Conversation

Pierre-Antoine Chardel, Professeur de sciences sociales et d'éthique, Institut Mines-Télécom Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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