Accéder au contenu principal

Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques

Par  Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...

Pour contrer infox et propagande, le fact-checking ne suffit pas

 infox

L'expansion du storytelling nourrit une méfiance généralisée.
Par Laurent Petit, Sorbonne Université

La rencontre avec des individus tenant des discours complotistes ou relayant des « infox » est toujours chose étonnante. De même que les Parisiens de Montesquieu, rencontrant pour la première fois des personnes venues d’ailleurs, s’exclamaient « Comment peut-on être persan ? », la tentation est grande de réagir par la stupéfaction et de se demander « Comment est-ce possible ? »

Lorsqu’il s’agit de personnes relativement proches et que l’on estime capables d’esprit critique, une autre question fuse : « Comment en sont-ils arrivés là ? » Quels sont les biais cognitifs – ou les ratés de l’insertion dans une société qui reste, quoi qu’on en dise, démocratique – susceptibles d’apporter un début d’explication ? À moins qu’il ne s’agisse, dans un temps prompt à accuser l’école de tous les maux, d’une défaillance du système scolaire, incapable de s’adapter au régime nouveau de la « post-vérité » ?

Quoi qu’il en soit, nous avons tous fait le constat que, lorsque nous subissons pareille confrontation, il est bien tard pour opposer à notre interlocuteur des arguments rationnels ou des faits que nous estimons établis. Le dialogue semble alors dresser l’un contre l’autre deux récits et, à ce jeu, il n’est pas sûr que les critères pour choisir le « meilleur » aient forcément à voir avec la vérité. Le récit plausible, le discours le plus en rapport avec les angoisses des intervenants sont ceux qui risquent le plus souvent d’emporter l’adhésion.

Une injonction à « faire récit »

Il serait dommage cependant de s’en tenir à des explications psychologisantes. Le souci est qu’il y a derrière ces informations fausses, intentionnellement ou pas, une « part de vérité » comme on dit. De la part de vérité à la vérité « à dévoiler », il n’y a qu’un pas, que la méfiance (envers les institutions, les médias alors qualifiés d’« officiels », etc.) aide à franchir.

Il faut y voir ici une raison profonde : tout est désormais mis en récit, qu’il s’agisse du marketing, du jeu, de la politique, voire de la science elle-même. Christian Salmon invite « à se méfier d’une pensée narrative de plus en plus instrumentalisée par les spin doctors de la communication politique, les stratèges du marketing ou de l’art de la guerre. »

Il est vrai qu’aucune activité sociale ne semble aujourd’hui épargnée et il serait fâcheux de confondre le phénomène et le thermomètre. Les racines d’une méfiance aujourd’hui largement distribuée ne sont pas à rechercher dans une expression ou une mise en scène de soi plus faciles via le « numérique » ou les réseaux sociaux mais davantage dans une injonction généralisée à faire récit qui clôture l’expression publique. L’interprétation des faits semble en effet de plus en plus bornée par des récits qui se présentent comme des commentaires autorisés. Sans vouloir les excuser, les réactions épidermiques (trop souvent de bas niveau) que l’on constate sur les réseaux sociaux (accentuées il est vrai par un anonymat déresponsabilisant) découlent certainement en partie de ce verrouillage.

Ajoutons que ces récits ne s’embarrassent pas toujours de vérité, voire la manipulent. Il n’y a qu’à souligner ici la puissance de récits alternatifs véhiculés, avec une ampleur de moyens souvent insoupçonnée, par des groupes de pression ou des États illibéraux, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en fournissant des exemples quotidiens, le plus énorme étant certainement la prétendue russophobie des Ukrainiens, « un premier pas vers un génocide » selon Poutine.

Russie – Ukraine : la désinformation comme arme de guerre • FRANCE 24 (février 2022).

D’autres récits, sans vouloir induire sciemment en erreur, ont davantage, dans le cas du marketing par exemple, la vraisemblance comme horizon. Ils s’apparentent alors à des discours fictionnels auxquels il est possible d’adhérer. Citons ici les discours promotionnels sur l’intelligence artificielle, censée faire advenir un monde meilleur. Cet état généralisé laisse penser que les discours les plus relayés, car portés par des institutions, y compris démocratiques, ou par des médias à forte audience, ou bien encore correspondant à une opinion majoritaire, sont nécessairement suspects.

Face à ces récits « mainstream », il est plus payant de s’afficher comme un récit alternatif qui cherche, en bravant les obstacles, à faire émerger la vérité face à un récit plus puissant. Les relais de la propagande russe dans les pays occidentaux se présentent souvent ainsi.

Cultiver le doute constructif

On prend la mesure, jour après jour, des ravages d’une méfiance généralisée. Il faut reconnaître qu’elle peut être parfois fondée lorsqu’il y a collusion d’intérêts entre les multinationales et les scientifiques, lorsque les scientifiques sortent dans les médias de leur domaine de compétences, lorsque les médias et les politiques affichent une proximité suspecte, etc.

Comment y remédier ? Les outils de « fact-checking » ne manquent pas. Tous les grands journaux et les agences de presse ont désormais un service dédié : en France, citons celui du journal Le Monde, de Libération ou de l’AFP. De nombreux sites spécialisés dans la lutte contre la désinformation ont été créés. À l’École, l’éducation aux médias et à l’information (EMI), quoiqu’on en dise et quelles que soient ses insuffisances, existe et dans les établissements scolaires les professeurs-documentalistes font un travail remarquable : en témoigne la 33e édition de la « semaine de la presse et des médias dans l’École » organisée par le CLEMI.

La semaine de la presse dans les écoles en 2015, reportage en collège (France 3 Nouvelle-Aquitaine).

Il faut évidemment accentuer l’effort mais je ne m’intéresse pas principalement dans cet article aux personnes qui sauront utiliser toutes les ressources mises à disposition lorsqu’un doute sur une information surgit. Il y a une réflexion à mener sur les gestes à inculquer en amont d’une éducation spécifique mobilisant une riche panoplie d’outils.

La piste mise en avant ici pourra paraître paradoxale et susceptible d’aggraver le mal : il s’agirait d’apprendre à douter ! Mais pas n’importe comment. Il ne s’agit pas d’introduire le doute nihiliste qui s’applique à tout, sans discernement, et qui essaie de faire passer l’ignorance des faits et des mécanismes de la communication pour la manifestation la plus aboutie de l’esprit critique. Mais le doute constructif, celui qui amène à une suspension provisoire du jugement, dans l’attente d’investigations plus poussées menées de manière méthodique.

L’esprit de la démarche scientifique

Ce doute-là, qui pousse dans une démarche rationnelle à poser les « bonnes » questions pour trouver ensuite des éléments de réponse plausibles, n’est autre que celui qui est pratique dans la recherche. Ces réponses sont certainement provisoires, dans tous les cas discutables, mais dans le respect des règles collectives de la discussion.

Une objection peut alors être faite : pourquoi vouloir introduire les méthodes de la recherche dans un plus large public alors que la science s’établit dans un dialogue pointu et spécialisé entre pairs ? Parce que nous partons d’un fait établi : la science, ses résultats comme ses méthodes, sont présents dans le domaine public, par la figure de l’expert, aujourd’hui omnipotente. La pandémie de Covid-19 n’a rien inventé mais a exacerbé cette tendance lourde.

Or, il serait tout à fait irresponsable de contribuer à cette exposition médiatique sans donner les moyens aux publics d’accueillir ces informations. Il s’agit de leur permettre de les soumettre à un questionnement fécond, pas à une remise en question indifférenciée et systématique, la nuance est d’importance.

Vouloir être à la hauteur de cette ambition suppose une autre approche du rôle de la recherche dans l’enseignement et donc en amont dans la formation des enseignants. La recherche y est encore trop souvent convoquée pour présenter les dernières avancées scientifiques dans une discipline, plus rarement pour faire comprendre les méthodes. Lorsque l’apprentissage de celles-ci est mis en avant dans l’enseignement scolaire, c’est encore trop exclusivement dans le spectre limité des disciplines expérimentales.

Il faudrait y mettre sur le même plan les sciences humaines et sociales et leurs méthodes, parfois jugées « molles », mais infiniment mieux armées pour rendre compte de l’humain en société dont les ressorts comportementaux ne sont pas que biologiques ni psychologiques. En bref, c’est à un art du questionnement que nous appelons, fondé sur les méthodes de la recherche et à inculquer dès le plus jeune âge.The Conversation

Laurent Petit, Professeur en sciences de l'information et de la communication, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

D’IBM à OpenAI : 50 ans de stratégies gagnantes (et ratées) chez Microsoft

  Paul Allen et Bill Gates en 1970 à Lakeside School (Seattle). Microsoft naîtra cinq ans plus tard. Auteur inconnu/Wikimedia Par  Frédéric Fréry , ESCP Business School Insubmersible. Même la vague des Gafa n’a pas vraiment atteint Microsoft. Cinquante ans après sa création, soit une éternité dans le monde de la tech, la firme de Bill Gates et Paul Allen est toujours là et bien là. Retour sur ce qu’on appelle outre-Atlantique, une success-story avec quelques échecs. Cette semaine, Microsoft fête ses 50 ans. Cet article a été écrit sur Microsoft Word, à partir d’un ordinateur équipé de Microsoft Windows, et il sera vraisemblablement publié sur des plateformes hébergées par Microsoft Azure, notamment LinkedIn, une filiale de Microsoft qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est dire l’influence de cette entreprise qui, en 2024, a dégagé un bénéfice net de 88 milliards de dollars po...