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Téléphone, mail, notifications… : comment le cerveau réagit-il aux distractions numériques ?

  Par  Sibylle Turo , Université de Montpellier et Anne-Sophie Cases , Université de Montpellier Aujourd’hui, les écrans et les notifications dominent notre quotidien. Nous sommes tous familiers de ces distractions numériques qui nous tirent hors de nos pensées ou de notre activité. Entre le mail important d’un supérieur et l’appel de l’école qui oblige à partir du travail, remettant à plus tard la tâche en cours, les interruptions font partie intégrante de nos vies – et semblent destinées à s’imposer encore davantage avec la multiplication des objets connectés dans les futures « maisons intelligentes ». Cependant, elles ne sont pas sans conséquences sur notre capacité à mener à bien des tâches, sur notre confiance en nous, ou sur notre santé. Par exemple, les interruptions engendreraient une augmentation de 27 % du temps d’exécution de l’activité en cours. En tant que chercheuse en psychologie cognitive, j’étudie les coûts cognitifs de ces interruptions numériques : au

Pour contrer infox et propagande, le fact-checking ne suffit pas

 infox

L'expansion du storytelling nourrit une méfiance généralisée.
Par Laurent Petit, Sorbonne Université

La rencontre avec des individus tenant des discours complotistes ou relayant des « infox » est toujours chose étonnante. De même que les Parisiens de Montesquieu, rencontrant pour la première fois des personnes venues d’ailleurs, s’exclamaient « Comment peut-on être persan ? », la tentation est grande de réagir par la stupéfaction et de se demander « Comment est-ce possible ? »

Lorsqu’il s’agit de personnes relativement proches et que l’on estime capables d’esprit critique, une autre question fuse : « Comment en sont-ils arrivés là ? » Quels sont les biais cognitifs – ou les ratés de l’insertion dans une société qui reste, quoi qu’on en dise, démocratique – susceptibles d’apporter un début d’explication ? À moins qu’il ne s’agisse, dans un temps prompt à accuser l’école de tous les maux, d’une défaillance du système scolaire, incapable de s’adapter au régime nouveau de la « post-vérité » ?

Quoi qu’il en soit, nous avons tous fait le constat que, lorsque nous subissons pareille confrontation, il est bien tard pour opposer à notre interlocuteur des arguments rationnels ou des faits que nous estimons établis. Le dialogue semble alors dresser l’un contre l’autre deux récits et, à ce jeu, il n’est pas sûr que les critères pour choisir le « meilleur » aient forcément à voir avec la vérité. Le récit plausible, le discours le plus en rapport avec les angoisses des intervenants sont ceux qui risquent le plus souvent d’emporter l’adhésion.

Une injonction à « faire récit »

Il serait dommage cependant de s’en tenir à des explications psychologisantes. Le souci est qu’il y a derrière ces informations fausses, intentionnellement ou pas, une « part de vérité » comme on dit. De la part de vérité à la vérité « à dévoiler », il n’y a qu’un pas, que la méfiance (envers les institutions, les médias alors qualifiés d’« officiels », etc.) aide à franchir.

Il faut y voir ici une raison profonde : tout est désormais mis en récit, qu’il s’agisse du marketing, du jeu, de la politique, voire de la science elle-même. Christian Salmon invite « à se méfier d’une pensée narrative de plus en plus instrumentalisée par les spin doctors de la communication politique, les stratèges du marketing ou de l’art de la guerre. »

Il est vrai qu’aucune activité sociale ne semble aujourd’hui épargnée et il serait fâcheux de confondre le phénomène et le thermomètre. Les racines d’une méfiance aujourd’hui largement distribuée ne sont pas à rechercher dans une expression ou une mise en scène de soi plus faciles via le « numérique » ou les réseaux sociaux mais davantage dans une injonction généralisée à faire récit qui clôture l’expression publique. L’interprétation des faits semble en effet de plus en plus bornée par des récits qui se présentent comme des commentaires autorisés. Sans vouloir les excuser, les réactions épidermiques (trop souvent de bas niveau) que l’on constate sur les réseaux sociaux (accentuées il est vrai par un anonymat déresponsabilisant) découlent certainement en partie de ce verrouillage.

Ajoutons que ces récits ne s’embarrassent pas toujours de vérité, voire la manipulent. Il n’y a qu’à souligner ici la puissance de récits alternatifs véhiculés, avec une ampleur de moyens souvent insoupçonnée, par des groupes de pression ou des États illibéraux, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en fournissant des exemples quotidiens, le plus énorme étant certainement la prétendue russophobie des Ukrainiens, « un premier pas vers un génocide » selon Poutine.

Russie – Ukraine : la désinformation comme arme de guerre • FRANCE 24 (février 2022).

D’autres récits, sans vouloir induire sciemment en erreur, ont davantage, dans le cas du marketing par exemple, la vraisemblance comme horizon. Ils s’apparentent alors à des discours fictionnels auxquels il est possible d’adhérer. Citons ici les discours promotionnels sur l’intelligence artificielle, censée faire advenir un monde meilleur. Cet état généralisé laisse penser que les discours les plus relayés, car portés par des institutions, y compris démocratiques, ou par des médias à forte audience, ou bien encore correspondant à une opinion majoritaire, sont nécessairement suspects.

Face à ces récits « mainstream », il est plus payant de s’afficher comme un récit alternatif qui cherche, en bravant les obstacles, à faire émerger la vérité face à un récit plus puissant. Les relais de la propagande russe dans les pays occidentaux se présentent souvent ainsi.

Cultiver le doute constructif

On prend la mesure, jour après jour, des ravages d’une méfiance généralisée. Il faut reconnaître qu’elle peut être parfois fondée lorsqu’il y a collusion d’intérêts entre les multinationales et les scientifiques, lorsque les scientifiques sortent dans les médias de leur domaine de compétences, lorsque les médias et les politiques affichent une proximité suspecte, etc.

Comment y remédier ? Les outils de « fact-checking » ne manquent pas. Tous les grands journaux et les agences de presse ont désormais un service dédié : en France, citons celui du journal Le Monde, de Libération ou de l’AFP. De nombreux sites spécialisés dans la lutte contre la désinformation ont été créés. À l’École, l’éducation aux médias et à l’information (EMI), quoiqu’on en dise et quelles que soient ses insuffisances, existe et dans les établissements scolaires les professeurs-documentalistes font un travail remarquable : en témoigne la 33e édition de la « semaine de la presse et des médias dans l’École » organisée par le CLEMI.

La semaine de la presse dans les écoles en 2015, reportage en collège (France 3 Nouvelle-Aquitaine).

Il faut évidemment accentuer l’effort mais je ne m’intéresse pas principalement dans cet article aux personnes qui sauront utiliser toutes les ressources mises à disposition lorsqu’un doute sur une information surgit. Il y a une réflexion à mener sur les gestes à inculquer en amont d’une éducation spécifique mobilisant une riche panoplie d’outils.

La piste mise en avant ici pourra paraître paradoxale et susceptible d’aggraver le mal : il s’agirait d’apprendre à douter ! Mais pas n’importe comment. Il ne s’agit pas d’introduire le doute nihiliste qui s’applique à tout, sans discernement, et qui essaie de faire passer l’ignorance des faits et des mécanismes de la communication pour la manifestation la plus aboutie de l’esprit critique. Mais le doute constructif, celui qui amène à une suspension provisoire du jugement, dans l’attente d’investigations plus poussées menées de manière méthodique.

L’esprit de la démarche scientifique

Ce doute-là, qui pousse dans une démarche rationnelle à poser les « bonnes » questions pour trouver ensuite des éléments de réponse plausibles, n’est autre que celui qui est pratique dans la recherche. Ces réponses sont certainement provisoires, dans tous les cas discutables, mais dans le respect des règles collectives de la discussion.

Une objection peut alors être faite : pourquoi vouloir introduire les méthodes de la recherche dans un plus large public alors que la science s’établit dans un dialogue pointu et spécialisé entre pairs ? Parce que nous partons d’un fait établi : la science, ses résultats comme ses méthodes, sont présents dans le domaine public, par la figure de l’expert, aujourd’hui omnipotente. La pandémie de Covid-19 n’a rien inventé mais a exacerbé cette tendance lourde.

Or, il serait tout à fait irresponsable de contribuer à cette exposition médiatique sans donner les moyens aux publics d’accueillir ces informations. Il s’agit de leur permettre de les soumettre à un questionnement fécond, pas à une remise en question indifférenciée et systématique, la nuance est d’importance.

Vouloir être à la hauteur de cette ambition suppose une autre approche du rôle de la recherche dans l’enseignement et donc en amont dans la formation des enseignants. La recherche y est encore trop souvent convoquée pour présenter les dernières avancées scientifiques dans une discipline, plus rarement pour faire comprendre les méthodes. Lorsque l’apprentissage de celles-ci est mis en avant dans l’enseignement scolaire, c’est encore trop exclusivement dans le spectre limité des disciplines expérimentales.

Il faudrait y mettre sur le même plan les sciences humaines et sociales et leurs méthodes, parfois jugées « molles », mais infiniment mieux armées pour rendre compte de l’humain en société dont les ressorts comportementaux ne sont pas que biologiques ni psychologiques. En bref, c’est à un art du questionnement que nous appelons, fondé sur les méthodes de la recherche et à inculquer dès le plus jeune âge.The Conversation

Laurent Petit, Professeur en sciences de l'information et de la communication, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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