Accéder au contenu principal

Aux sources de l’IA : le prix Nobel de physique attribué aux pionniers des réseaux de neurones artificiels et de l’apprentissage machine

  Portraits de John Hopfield et Geoffrey Hinton, lauréats du prix Nobel de physique 2024 pour leurs découvertes et inventions qui ont permis de développer l'apprentissage machine avec des réseaux de neurones artificiels. Niklas Elmehed © Nobel Prize Outreach Par  Thierry Viéville , Inria Le prix Nobel de physique 2024 récompense des travaux précurseurs de John Hopfield et Geoffrey Hinton sur les réseaux de neurones artificiels, à la base de l’apprentissage machine. Ces travaux ont participé au développement de l’intelligence artificielle, qui chamboule aujourd’hui de nombreux secteurs d’activité. C’est à une question simple que John Hopfield et Geoffrey Hinton ont apporté une réponse qui leur vaut aujourd’hui le prix Nobel de physique : « Quelle est la description la plus simple que nous pourrions faire de nos neurones, ces composants du cerveau, siège de notre intelligence ? » Un neurone, qu’il soit artificiel ou biologique, est u

Internet sera-t-il quantique ?

 internet

Grâce à l'« intrication », on peut aujourd'hui crypter les communications quantiques sur une centaine de kilomètres. Fabio Ballasina, Unsplash, CC BY
Par Christophe Couteau, Université de Technologie de Troyes (UTT)

« Téléportation Scotty ! », ces mots célèbres sont ceux du Capitaine Kirk de la fameuse série Star Trek à la fin des années 60 à son ingénieur de vaisseau pour qu’il puisse le téléporter du vaisseau spatial Enterprise à une planète à explorer à proximité.

Si la téléportation de Kirk n’est pas pour demain, la physique quantique a montré que la téléportation est possible dans des conditions très particulières : pour de tout petits systèmes, comme la lumière, et s’ils sont bien « protégés ». La téléportation quantique est connue théoriquement depuis le début du XXe siècle, a été démontrée expérimentalement dans sa seconde moitié, et aujourd’hui, ce phénomène est utilisé pour des applications bien concrètes… et notamment pour développer ce que l’on appelle l’« Internet quantique ».

Nos télécommunications actuelles, dont Internet, reposent sur des échanges d’informations codées, qui transitent, souvent sur de la lumière, via des fibres optiques ou à l’air libre entre les antennes relais et les téléphones et jusqu’aux satellites en orbite autour de la Terre. Un Internet quantique utiliserait les propriétés quantiques de la lumière, et en particulier le fait de l’on peut « intriquer » les particules de lumière, ce qui permet de « téléporter » l’information que portent ces particules. Ces propriétés permettraient d’échanger des informations de manière cryptée et infalsifiable, ce qui a des applications en cryptographie et donc pour la cybersécurité.

Des communications quantiques cryptées peuvent à l’heure actuelle être maintenues sur une distance maximale d’une centaine de kilomètres – ce qui reste un peu court pour les télécoms mondiales… mais des solutions techniques sont en développement.

Crypter ses communications

Il existe de nos jours différents protocoles de cryptographie quantique et plusieurs entreprises et start-up sont sur ce marché de niche mais en pleine expansion.

Le but ultime de la cryptographie est de crypter ou cacher un message qui ne doit être lu que par la personne que nous avons en tête, appelons cette personne Bob. Pour cela, l’expéditrice, que l’on appelle Alice, doit générer une clé cryptée qu’elle pourra combiner à son message pour le cacher du reste du monde. Bob, de son côté, doit être le seul à avoir cette même clé pour pouvoir décrypter le message (il fera en fait l’opération inverse du cryptage d’Alice pour décrypter le message).

On commence par coder le message « Passe prendre le pain s’il te plaît » par une série de 1 et de 0, c’est le codage binaire. Puis on crypte le message en générant en parallèle de celui-ci, une clé cryptée faite également de 1 et de 0, et qui sera combinée au message. Mais ce système de cryptage possède plusieurs défauts si l’on veut qu’il soit sécurisé. Tout d’abord, il faut générer une clé qui soit aussi longue que le message (en termes de 1 et de 0), de façon le plus aléatoire possible – pour qu’on ne puisse pas la prédire – ce qui est possible mais à un coût économique et énergétique très grand.

Dans les faits, ces clés que l’on utilise ne sont pas complètement aléatoires. Et surtout, elles sont réutilisées en tout ou partie, ce qui pose de sérieuses questions de sécurité. Le deuxième souci technique de cette méthode est qu’elle suppose que la clé est partagée de façon sécurisée entre Alice et Bob à un moment donné. A minima, cela sous-entend qu’ils doivent se rencontrer de temps en temps pour se donner une série de clés cryptées pour leurs futurs échanges. Il existe plusieurs façons de crypter les messages mais en général, tous les systèmes classiques actuels de cryptage/décryptage vont souffrir de ces inconvénients.

C’est là que la cryptographie quantique peut apporter des solutions.

De l’intrication quantique à la distribution de clés cryptées

L’intrication quantique une forme de « super-corrélation » entre deux systèmes quantiques.

Prenons des pièces truquées de telle façon que si on lance ces deux pièces en même temps, le résultat sera toujours face/face. Il s’agit ici d’une corrélation.

Supposons à présent que les pièces ne sont pas truquées. Alice et Bob en possèdent chacun une. Lorsqu’ils vont lancer ces pièces, ils vont chacun d’entre eux trouver, de façon aléatoire, pile ou face. Les lancers des deux pièces ne sont plus corrélés. Il y a une probabilité de 25 % de tomber sur face/face, ainsi que de tomber sur pile/pile, pile/face, face/pile : les quatre résultats sont équiprobables, contrairement à l’expérience de corrélations où la probabilité de trouver face/face est de 100 % et de 0 % pour les autres options.

En revanche, si les deux pièces sont intriquées l’une avec l’autre, elles ne sont pas truquées pour tomber toujours sur face, mais pour tomber toujours du même côté que l’autre pièce. Alice a une probabilité de 50 % de trouver pile et 50 % de trouver face ; de même pour Bob. Mais lorsque Alice et Bob vont comparer leurs résultats sur un grand nombre de lancers de pièce, ils réaliseront que les résultats sont parfaitement corrélés : si la pièce d’Alice est tombée sur pile, celle de Bob aussi, et vice versa (en pratique, on peut préparer les systèmes quantiques pour qu’ils soient corrélés – face/face – ou anticorrélés – pile/face – mais l’idée est la même).

Ce qui est le plus impressionnant (et contre-intuitif), c’est que cette propriété est vraie quelle que soit la distance qui sépare Alice et Bob – et c’est ce phénomène « non-local » qui est à l’origine de la « téléportation » de l’information.’)

L’intrication quantique peut être utilisée pour servir de clé de cryptage. En partageant un système quantique intriqué, seuls Alice et Bob possèdent des corrélations parfaites entre leurs pièces : ils sont surs que cette clé, combinée à un message, ne pourra être décryptée que par eux.

C’est donc la nature quantique de la lumière, qui garantit gratuitement et naturellement la sécurité du système d’échange.

Le photon comme bit d’information

On peut créer des états quantiques sur un photon, ce grain de lumière qui constitue la lumière et qui est intrinsèquement quantique – dans le domaine de l’informatique quantique on parle de « coder des bits quantiques » (ou qubit) d’information. En effet, les photons peuvent être dans deux états de polarisation, qui jouent le rôle des « pile » et « face » des pièces d’Alice et Bob.

C’est précisément ce que John Clauser, dans les années 70, et Alain Aspect, dans les années 80, ont étudié avec leurs équipes : l’intrication « en polarisation » de paires de photons émis par des atomes qui se trouvaient dans une chambre à vide, en utilisant ce que l’on appelle la cascade atomique d’atomes de calcium. Cependant, cette méthode de produire des paires de photons n’est pas simple (d’où le prix Nobel).

Anton Zeilinger et son équipe ont ensuite réussi à créer des paires de photons intriqués en polarisation, mais en utilisant les propriétés de l’optique non-linéaire. Cette expérience n’est pas simple non plus, mais elle est plus facile à mettre en place et a donc permis le développement d’applications beaucoup plus rapidement, notamment dans les communications quantiques (d’où le prix Nobel aussi).

Ces sources de photons intriqués sont indispensables à Alice et Bob pour s’envoyer des messages.

Encore du chemin avant l’Internet quantique

Mais clairement, même s’il existe des entreprises qui vendent des systèmes de cryptographie quantique, même si tout s’accélère rapidement, le rêve d’un Internet quantique n’est pas encore pour demain. Bon nombre d’obstacles restent sur le chemin.

Par exemple, aujourd’hui, les sources les plus sophistiquées permettent au mieux de générer plusieurs millions de paires de photons par seconde, ce qui est encore mille fois moins que ce qu’il faudrait pour vraiment pouvoir déployer ce dispositif quantique.

De plus, l’intrication quantique est un phénomène fragile, ce qui limite toujours la distance sur laquelle on peut la maintenir et donc crypter les communications (avec une distance maximale d’une centaine de kilomètres).

Un peu comme nous avons besoin d’antenne-relai pour transmettre nos messages sur de grandes distances, Alice et Bob vont utiliser des « répéteurs quantiques » pour s’assurer que le signal ne perd pas en intensité et stocker l’information dans des « mémoires quantiques » – qui sont elles aussi des objets très difficiles à fabriquer et contrôler.

Tout cela ne fait que renforcer l’idée que les technologies quantiques restent fascinantes et qu’elles se développeront dans les prochaines décennies à venir, tout comme l’Internet et les fibres optiques se sont déployés dans les quarante dernières années.The Conversation

Christophe Couteau, Enseignant-chercheur en physique quantique, Université de Technologie de Troyes (UTT)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra

Comment les machines succombent à la chaleur, des voitures aux ordinateurs

  La chaleur extrême peut affecter le fonctionnement des machines, et le fait que de nombreuses machines dégagent de la chaleur n’arrange pas les choses. Afif Ramdhasuma/Unsplash , CC BY-SA Par  Srinivas Garimella , Georgia Institute of Technology et Matthew T. Hughes , Massachusetts Institute of Technology (MIT) Les humains ne sont pas les seuls à devoir rester au frais, en cette fin d’été marquée par les records de chaleur . De nombreuses machines, allant des téléphones portables aux voitures et avions, en passant par les serveurs et ordinateurs des data center , perdent ainsi en efficacité et se dégradent plus rapidement en cas de chaleur extrême . Les machines génèrent de plus leur propre chaleur, ce qui augmente encore la température ambiante autour d’elles. Nous sommes chercheurs en ingénierie et nous étudions comment les dispositifs mécaniques, électriques et électroniques sont affectés par la chaleur, et s’il est possible de r

De quoi l’inclusion numérique est-elle le nom ?

Les professionnels de l'inclusion numérique ont pour leitmotiv la transmission de savoirs, de savoir-faire et de compétences en lien avec la culture numérique. Pexels , CC BY-NC Par  Matthieu Demory , Aix-Marseille Université (AMU) Dans le cadre du Conseil National de la Refondation , le gouvernement français a proposé au printemps 2023 une feuille de route pour l’inclusion numérique intitulée « France Numérique Ensemble » . Ce programme, structuré autour de 15 engagements se veut opérationnel jusqu’en 2027. Il conduit les acteurs de terrain de l’inclusion numérique, notamment les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (les structures intermédiaires ayant pour objectif la mise en relation de l’État avec les structures locales), à se rapprocher des préfectures, des conseils départementaux et régionaux, afin de mettre en place des feuilles de route territoriales. Ces documents permettront d’organiser une gouvernance locale et dé

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean Phillips. En