Aveline Cloitre, TBS Education; Christina Theodoraki, TBS Education et Victor Dos Santos Paulino, TBS Education
ClearSpace, Loft Orbital, ShareMySpace… Ces noms ne vous disent peut-être rien : ils font pourtant partie d’une constellation de start-up liées aux technologies spatiales dont le nombre a presque quintuplé sur une période de 10 ans. Le chiffre d’affaires du secteur, en 2019, pèse pour près de 300 milliards de dollars en 2019.
Elle dessine ce qu’est le « New Space », qui lui-même complète un « Old Space » dans lequel les activités spatiales étaient essentiellement gouvernées par des acteurs publics tels que les États. Le lancement du satellite soviétique Sputnik l’avait incarné dès 1957.
Depuis le début des années 2000, c’est ainsi à un fort développement de l’entrepreneuriat que l’on assiste dans le secteur. L’évolution s’est produite sous l’influence conjointe de facteurs culturels, économiques, politiques et technologiques, qui ont permis une facilité d’accès à l’espace extra-atmosphérique pour les entrepreneurs. De nouveaux entrants dans cet écosystème ont bouleversé le fonctionnement traditionnel du secteur à plusieurs niveaux. Cela appelle de nouvelles régulations auxquelles les jeunes pousses ne sont pas toujours bien préparées.
Le spatial, un secteur chamboulé au tournant des années 2000
Les dynamiques entrepreneuriales récentes sont fortement corrélées à un changement culturel et économique promu par les entrepreneurs de la Silicon Valley dans le domaine des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Ces derniers ont exercé une pression toute particulière sur le secteur spatial, de plus en plus demandeurs de services reposant sur ses technologies, ce qui a ouvert de nouvelles opportunités en matière de modèles commerciaux. La start-up franco-américaine Loft Orbital propose aujourd’hui, par exemple, de louer des satellites afin que les entreprises ne soient plus contraintes de posséder et d’exploiter le leur.
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Qui dit nouveaux entrepreneurs dit aussi nouveaux besoins de financement. Le développement d’investisseurs privés tels que Seraphim Space IT est alors venu en réponse à des problèmes de légitimité politique sur le développement des activités spatiales à la fin des années 1990, alors que la guerre froide et les rivalités spatiales liées touchaient à leur fin. Les fonds provenaient alors surtout des États, autrement dit des contribuables. Le contexte devient alors propice pour voir apparaître les premiers partenariats public-privé opérés par la National Aeronautics and Space Administration (NASA), avec SpaceX notamment.
Outre ces facteurs économiques et politiques, l’accessibilité croissante et la baisse des coûts des technologies et des infrastructures spatiales ont également joué un rôle important dans l’essor du New Space. On peut citer des avancées telles que l’impression 3D, les fusées réutilisables et les nanosatellites ou « cubesats », plus petits et moins coûteux. Elles ont permis aux entreprises privées d’entrer dans le secteur grâce à des coûts de production qui ont facilité l’accès à l’espace.
L’ensemble a fait basculer les acteurs du spatial vers des logiques nouvelles. Ils ont notamment dû repenser leurs activités en fonction des besoins des utilisateurs finaux, et moins selon des impératifs de défense ou des objectifs scientifiques. Les principales agences spatiales du monde, telles que la NASA, l’Agence spatiale européenne (ESA) ou le CNES, ont mis en place d’importantes mesures d’incitation à l’entrepreneuriat. Challenges, hackathons, incubateurs et financements en capital-risque ont ainsi vu le jour.
Les récents plans d’investissement public, à l’image du plan national d’investissement France 2030, indiquent qu’une « attention particulière sera accordée aux projets portés par les acteurs émergents (start-up et PME-ETI innovantes) » dans l’appel à projets opéré la BPI sur le développement et l’industrialisation de constellations de satellites et les technologies associées.
Quelle place pour la soutenabilité ?
Ce développement doit aussi répondre de ses conséquences. Un défi majeur réside ainsi dans la gestion des déchets spatiaux, provoqués par le nombre croissant d’objets lancés en orbite autour de la Terre et dont la fin de vie demeure problématique. Plus de débris, c’est potentiellement plus de collisions avec des objets fonctionnels, donc plus de débris avec des effets en chaîne : c’est ce que l’on appelle le syndrome de Kessler.
Pour pallier un manque de régulation, la communauté spatiale internationale se concerte ainsi dans le cadre de diverses initiatives telles que l’Inter-Agency Space Debris Coordination Committee et le Moon Village Association qui proposent des directives de bonne conduite. Plusieurs start-up proposent aussi de répondre à la problématique des débris spatiaux, telle que Clearspace, qui ambitionne de devenir le prochain « éboueur du spatial ».
Les États tentent également de répondre à ces enjeux de soutenabilité, en fixant des normes contraignantes. On peut citer notamment la loi française de 2008 relative aux opérations spatiales (loi LOS), actuellement en cours d’actualisation. Elle a la particularité en droit spatial d’obliger les opérateurs de satellites français à libérer les orbites utilisées dans les 25 ans qui suivent la fin de leur mission par désintégration dans l’atmosphère terrestre ou placement sur une orbite cimetière. Elle fixe en outre des critères d’impacts socio-environnementaux dans les appels à projets publics.
Les questions d’impacts sociaux méritent tout autant d’être pris en compte dans le développement des activités entrepreneuriales spatiales. Un travail pour les identifier est à poursuivre mais le bureau des affaires spatiales des Nations unies a déjà défini un certain nombre de thématiques s’inspirant des 17 objectifs de développement durable de l’ONU. On peut notamment citer l’accès aux données spatiales pour tous auquel la start-up française ShareMySpace s’attelle.
Légiférer sans entraver la compétitivité ?
Néanmoins, qui dit régulation dit aussi enjeu de compétitivité lorsque l’on touche à un secteur mondialisé. Les critères posés semblent aujourd’hui trop différer d’un pays à l’autre, ce qui peut conduire à un phénomène dit de « forum shopping » : les entreprises vont tenter de profiter de la juridiction la plus susceptible de donner raison à leurs propres intérêts.
La Chine, les Émirats arabes unis, les États-Unis, l’Inde et le Luxembourg contribuent ainsi à un marché spatial international hautement compétitif avec des cadres légaux flexibles, en plus d’offrir parfois des solutions techniques et commerciales souvent moins chères qu’en France. C’est ce qu’a souligné Stanislas Maximin, PDG de la start-up Latitude lors des Assises du New Space à Paris, le 7 juillet 2022 à propos de la loi LOS :
« Le problème c’est qu’on est un tout petit pays. Il y a aussi les États-Unis, la Chine, l’Allemagne… Que toute l’Europe légifère ? Pourquoi pas : ça ferait plus ou moins entre 20 et 30 % de l’économie spatiale mondiale. La France seule ? Je le vois surtout comme un risque ».
Dans le contexte international hautement concurrentiel du New Space, les résultats de nos travaux de recherche indiquent que multiplier des critères socio-environnementaux sans accompagnement dédié spécialisé sur le sujet semble aller à l’encontre du développement de l’entrepreneuriat spatial. Cela peut réduire la compétitivité des nouveaux entrants, et plus particulièrement des start-up.
Cela n’implique pas que ces critères de soutenabilité doivent être absents du cahier des charges des appels à projets ou des normes juridiques en vigueur. Néanmoins, nous pensons qu’il est plus pertinent de les introduire de les adapter à la maturité des entreprises qui ne sont pas toutes en mesure de répondre aux mêmes contraintes. Plusieurs start-up ont pu nous l’indiquer, comme ce dirigeant :
« Aujourd’hui, on ne va pas se mentir, on essaie d’abord de développer un produit. Quand on en fera 5 000 par an, on lancera plus sérieusement la réflexion sur ces sujets qui sont intéressants, mais il faudra que cela intervienne au bon moment ».
Nous avons également remarqué dans nos recherches qu’il existe un fossé entre les attentes institutionnelles envers les start-up et les moyens à disposition pour accompagner ces jeunes pousses vers un développement soutenable. L’accompagnement entrepreneurial des nouveaux entrants en matière de soutenabilité demeure marginal et ne prépare pas suffisamment ces derniers à répondre aux contrats et appels à projets en matière d’impacts socio-environnementaux ainsi qu’à leur ouverture à de nouveaux marchés. Renforcer cet accompagnement permettrait de développer des activités spatiales plus compétitives et plus soutenables, sans pour autant réduire l’attractivité des territoires et des organisations orchestrant ces activités.
La Chaire academico-industrielle Sirius, portée par Airbus Defence and Space, le Centre national d’études spatiales (CNES), Thales Alenia Space ainsi que par TBS Education et l’Université Toulouse 1 Capitole s’attache dans ses travaux à analyser les aspects légaux et managériaux du « New Space »
Aveline Cloitre, PhD student, space entrepreneurship, TBS Education; Christina Theodoraki, Professeur Associé en Entrepreneuriat et Stratégie, TBS Education et Victor Dos Santos Paulino, Professeur associé en management de l'innovation et stratégie, Chaire Sirius, TBS Education
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.