Accéder au contenu principal

Aux sources de l’IA : le prix Nobel de physique attribué aux pionniers des réseaux de neurones artificiels et de l’apprentissage machine

  Portraits de John Hopfield et Geoffrey Hinton, lauréats du prix Nobel de physique 2024 pour leurs découvertes et inventions qui ont permis de développer l'apprentissage machine avec des réseaux de neurones artificiels. Niklas Elmehed © Nobel Prize Outreach Par  Thierry Viéville , Inria Le prix Nobel de physique 2024 récompense des travaux précurseurs de John Hopfield et Geoffrey Hinton sur les réseaux de neurones artificiels, à la base de l’apprentissage machine. Ces travaux ont participé au développement de l’intelligence artificielle, qui chamboule aujourd’hui de nombreux secteurs d’activité. C’est à une question simple que John Hopfield et Geoffrey Hinton ont apporté une réponse qui leur vaut aujourd’hui le prix Nobel de physique : « Quelle est la description la plus simple que nous pourrions faire de nos neurones, ces composants du cerveau, siège de notre intelligence ? » Un neurone, qu’il soit artificiel ou biologique, est u

Intelligence artificielle : prendre en compte ses risques concrets, plutôt que de potentielles menaces existentielles

 

ia

Par Nuria Oliver, Universidad de Alicante; Bernhard Schölkopf, Max Planck Institute for Intelligent Systems; Florence d'Alché-Buc, Télécom Paris – Institut Mines-Télécom; Nada Lavrač, University of Nova Gorica; Nicolò Cesa-Bianchi, University of Milan; Sepp Hochreiter, Johannes Kepler University Linz et Serge Belongie, University of Copenhagen

Ces derniers mois, l’intelligence artificielle (IA) a fait l’objet d’un débat mondial en raison de l’adoption généralisée d’outils basés sur l’IA générative, tels que les chatbots et les programmes de génération automatique d’images. D’éminents scientifiques et technologues de l’IA pointent les potentiels risques existentiels posés par ces développements – c’est-à-dire les risques qui menacent la survie de l’humanité.

Nous travaillons dans le domaine de l’IA depuis des décennies et avons été surpris par cette popularité subite et ce sensationnalisme. L’objectif de cet article n’est pas d’antagoniser, mais plutôt d’équilibrer une perception publique qui nous semble dominée par des craintes spéculatives de menaces existentielles liées au développement de systèmes d’IA.

Il ne nous appartient pas de dire que l’on n’a pas le droit, on ne devrait pas s’inquiéter de ces risques existentiels. Mais, en tant que membres du Laboratoire européen pour l’apprentissage et les systèmes intelligents (ELLIS), un organisme de recherche qui se concentre sur l’apprentissage automatique, nous pensons qu’il nous appartient de mettre ces risques en perspective, en particulier parce que des organisations gouvernementales envisagent de réguler l’IA en prenant en compte les apports des entreprises de la tech.

Qu’est-ce que l’IA ?

L’IA est une discipline de l’informatique ou de l’ingénierie informatique qui a pris forme dans les années 1950. Elle vise à construire des systèmes informatiques intelligents, en prenant pour référence l’intelligence humaine. Tout comme l’intelligence humaine est complexe et diversifiée, l’intelligence artificielle comporte de nombreux domaines qui visent à imiter certains aspects de l’intelligence humaine, de la perception au raisonnement, en passant par la planification et la prise de décision.

En fonction du niveau de compétence, les systèmes d’IA peuvent être divisés en trois niveaux :

  1. L’IA faible (narrow AI ou weak AI en anglais), qui désigne les systèmes d’IA capables d’effectuer des tâches spécifiques ou de résoudre des problèmes particuliers – souvent avec un niveau de performance supérieur à celui des humains dorénavant. Tous les systèmes d’IA actuels sont des systèmes d’IA faible, y compris les chatbots comme ChatGPT, les assistants vocaux comme Siri et Alexa, les systèmes de reconnaissance d’images et les algorithmes de recommandation.

  2. L’IA forte, ou IA générale, qui fait référence aux systèmes d’IA qui présentent un niveau d’intelligence similaire à celui des humains, y compris la capacité de comprendre, d’apprendre et d’appliquer des connaissances à un large éventail de tâches et d’incorporer des concepts tels que la conscience. L’IA générale est largement hypothétique et n’a pas été réalisée à ce jour.

  1. Les superintelligences désignent les systèmes d’IA dotés d’une intelligence supérieure à l’intelligence humaine pour toutes les tâches. Par définition, nous sommes incapables de comprendre ce type d’intelligence, de la même manière qu’une fourmi n’est pas en mesure de comprendre notre intelligence. La super IA est un concept encore plus spéculatif que l’IA générale.

L’IA peut être appliquée à tous les domaines, de l’éducation aux transports, en passant par les soins de santé, le droit ou la fabrication. Elle modifie donc profondément tous les aspects de la société. Même sous sa forme « faible », l’IA a un potentiel important pour générer une croissance économique durable et nous aider à relever les défis les plus urgents du XXIe siècle, tels que le changement climatique, les pandémies et les inégalités.

Les défis posés par les systèmes d’IA actuels

L’adoption, au cours de la dernière décennie, de systèmes décisionnels basés sur l’IA dans un large éventail de domaines, des réseaux sociaux au marché du travail, pose également des risques et des défis sociétaux importants qu’il convient de comprendre et de relever.

L’émergence récente de grands modèles de « transformateurs génératifs pré-entraînés », plus connus sous leur acronyme anglais GPT, très performants, exacerbe bon nombre des défis existants tout en en créant de nouveaux qui méritent une attention particulière.

De plus, l’ampleur et la rapidité sans précédent avec lesquelles ces outils ont été adoptés par des centaines de millions de personnes dans le monde entier exercent une pression supplémentaire sur nos systèmes sociétaux et réglementaires.

Certains défis d’une importance cruciale devraient être notre priorité :

L’IA représente-t-elle vraiment un risque existentiel pour l’humanité ?

Malheureusement, au lieu de se concentrer sur ces risques tangibles, le débat public – et notamment les récentes lettres ouvertes – s’est surtout concentré sur les risques existentiels hypothétiques de l’IA.

Un risque existentiel désigne un événement ou un scénario potentiel qui représente une menace pour la pérennité de l’humanité, avec des conséquences qui pourraient endommager ou détruire la civilisation humaine de manière irréversible, et donc conduire à l’extinction de notre espèce. Un événement catastrophique mondial (comme l’impact d’un astéroïde ou une pandémie), la destruction d’une planète vivable (en raison du changement climatique, de la déforestation ou de l’épuisement de ressources essentielles comme l’eau et l’air pur) ou une guerre nucléaire mondiale sont des exemples de risques existentiels.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Notre monde est certainement confronté à un certain nombre de risques, et les développements futurs sont difficiles à prévoir. Face à cette incertitude, nous devons hiérarchiser nos efforts. L’éventualité lointaine d’une superintelligence incontrôlée doit donc être replacée dans son contexte, notamment celui des 3,6 milliards de personnes dans le monde qui sont très vulnérables en raison du changement climatique, du milliard de personnes qui vivent avec moins d’un dollar américain par jour ou des 2 milliards de personnes qui sont touchées par un conflit. Il s’agit de véritables êtres humains dont la vie est gravement menacée aujourd’hui, un danger qui n’est certainement pas causé par la super IA.

En se concentrant sur un hypothétique risque existentiel, on détourne notre attention des graves défis documentés que l’IA pose aujourd’hui, on n’englobe pas les différentes perspectives de la communauté des chercheurs au sens large, et on contribue à affoler inutilement la population.

Ces questions doivent être traitées dans toutes leurs diversités, complexités et nuances, pour le bien de la société humaine dans son ensemble. La société bénéficierait aussi de solutions concrètes et coordonnées pour relever les défis actuels de l’IA, y compris en termes de réglementation. Pour relever ces défis, il faut la collaboration et l’implication des secteurs les plus touchés de la société, ainsi que l’expertise technique et l’expertise de gouvernance nécessaire. Il est temps d’agir maintenant, avec ambition et sagesse, et en coopération.


Les auteurs de cet article sont membres du conseil d’administration du European Lab for Learning & Intelligent Systems (ELLIS).The Conversation

Nuria Oliver, Directora de la Fundación ELLIS Alicante y profesora honoraria de la Universidad de Alicante, Universidad de Alicante; Bernhard Schölkopf, , Max Planck Institute for Intelligent Systems; Florence d'Alché-Buc, Professor, Télécom Paris – Institut Mines-Télécom; Nada Lavrač, PhD, Research Councillor at Department of Knowledge Technologies, Jožef Stefan Institute and Professor, University of Nova Gorica; Nicolò Cesa-Bianchi, Professor, University of Milan; Sepp Hochreiter, , Johannes Kepler University Linz et Serge Belongie, Professor, University of Copenhagen

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra

Comment les machines succombent à la chaleur, des voitures aux ordinateurs

  La chaleur extrême peut affecter le fonctionnement des machines, et le fait que de nombreuses machines dégagent de la chaleur n’arrange pas les choses. Afif Ramdhasuma/Unsplash , CC BY-SA Par  Srinivas Garimella , Georgia Institute of Technology et Matthew T. Hughes , Massachusetts Institute of Technology (MIT) Les humains ne sont pas les seuls à devoir rester au frais, en cette fin d’été marquée par les records de chaleur . De nombreuses machines, allant des téléphones portables aux voitures et avions, en passant par les serveurs et ordinateurs des data center , perdent ainsi en efficacité et se dégradent plus rapidement en cas de chaleur extrême . Les machines génèrent de plus leur propre chaleur, ce qui augmente encore la température ambiante autour d’elles. Nous sommes chercheurs en ingénierie et nous étudions comment les dispositifs mécaniques, électriques et électroniques sont affectés par la chaleur, et s’il est possible de r

De quoi l’inclusion numérique est-elle le nom ?

Les professionnels de l'inclusion numérique ont pour leitmotiv la transmission de savoirs, de savoir-faire et de compétences en lien avec la culture numérique. Pexels , CC BY-NC Par  Matthieu Demory , Aix-Marseille Université (AMU) Dans le cadre du Conseil National de la Refondation , le gouvernement français a proposé au printemps 2023 une feuille de route pour l’inclusion numérique intitulée « France Numérique Ensemble » . Ce programme, structuré autour de 15 engagements se veut opérationnel jusqu’en 2027. Il conduit les acteurs de terrain de l’inclusion numérique, notamment les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (les structures intermédiaires ayant pour objectif la mise en relation de l’État avec les structures locales), à se rapprocher des préfectures, des conseils départementaux et régionaux, afin de mettre en place des feuilles de route territoriales. Ces documents permettront d’organiser une gouvernance locale et dé

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean Phillips. En