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Ukraine : la bataille des opinions publiques dans la guerre de l’information

 

ukraine

Par Carole Grimaud, Aix-Marseille Université (AMU)

Si l’information, devenue un terrain de confrontation amplifié et magnifié par sa diffusion digitale, a désormais atteint la conscience d’une grande partie des publics occidentaux, la bataille pour l’opinion desdits publics demeure insuffisamment étudiée. Or c’est à partir de la perception et de l’interprétation des informations que se forme l’opinion. Le rôle des opinions publiques dans l’issue de nombreux conflits n’est pas à tant il a contribué à faire basculer des situations complexes, parfois de façon inattendue.

La guerre russo-ukrainienne et sa dimension numérique placent les opinions publiques littéralement au cœur des combats, les usagers des réseaux sociaux devenant souvent les relais d’un camp ou de l’autre. Les stratégies informationnelles ukrainiennes et russes s’inscrivent dans cette adversité cognitive.

L’information, un terrain de bataille

La Russie, en isolant son espace informationnel interne, a pris en otage son opinion publique, dépossédée de ses capacités de réaction, tout en poursuivant une stratégie à destination des publics étrangers et européens dont les gouvernements commencent à comprendre les objectifs et les effets.

L’Ukraine, quant à elle, a lancé sa contre-offensive informationnelle dès 2014, avant d’y adjoindre depuis l’invasion russe, un vecteur multidirectionnel – à savoir le maintien de la mobilisation nationale et la conquête des opinions publiques des pays alliés. Aujourd’hui, 21 mois après le début du conflit, cette stratégie montre des signes d’essoufflement.

Le tableau ne serait pas complet si l’on n’ajoutait pas à ces stratégies informationnelles concurrentes l’analyse du travail collectif d’interprétation du conflit effectué par les médias français et européens. En 2018, le ministère français des Armées reconnaissait le champ informationnel comme un espace d’affrontement. Puis la menace que représente la manipulation de l’information a pris une nouvelle dimension avec la décision de l’Union européenne de bannir les deux médias russes RT France et Sputnik dès le début du conflit.

Les médias européens développèrent de nouveaux outils (en particulier par le fact checking, version moderne de la vérification des sources, inscrite dans le code de déontologie du journalisme) pour contrer les opérations d’influence mises en œuvre par des pays extérieurs.

C’est dans ce contexte particulier que ces médias, notamment français, eurent à interpréter le phénomène d’une nouvelle guerre conventionnelle, sur le sol européen, après le choc et la surprise du 24 février 2022 et face à l’inquiétude des populations.

Comment interpréter l’inconnu et le rendre familier et compréhensible ? Et quels peuvent en être les effets sur l’opinion publique ?

L’invocation de références historiques

Serge Moscovici, l’un des fondateurs de la psychologie sociale en France, définissait l’ancrage comme un phénomène de pensée par lequel l’interprétation de phénomènes nouveaux s’opère en enracinant ces phénomènes dans des modes de pensée existants.

En effet, pour rendre un événement compréhensible, à partir d’une mise en commun des informations, des représentations partagées vont se former et ainsi rendre familier ce qui est inconnu (Yzerbyt et Klein, Psychologie sociale, 2019). Ainsi, les médias français vont, dès le début du conflit, mobiliser les éléments consensuels au sein de la communauté française au sens large et, en premier lieu, les représentations sociales de l’Histoire.

Ce sont les références aux deux guerres mondiales, qui restent des repères majeurs pour les Français comme pour les autres Européens, qui vont servir de toile de fond à l’interprétation de la guerre d’Ukraine. Ces représentations partagées, destinées à rendre familier l’inconnu, ont également pour résultat de renforcer l’essence identitaire du groupe européen face aux représentations et aux narratifs de la Russie.

Depuis le 24 février 2022, la presse française s’est fait l’écho du rappel d’une mémoire collective « européenne » plus que nationale, en lien avec les deux guerres mondiales : l’attitude d’Emmanuel Macron, jugée conciliante envers Poutine lui a valu d’être taxé de « nouveau Chamberlain », les appels à abandonner l’Ukraine aux appétits russes ont été assimilés à un « syndrome de Munich », les soldats ukrainiens comparés aux « Poilus » dans leurs tranchées et aux « gueules cassées » quand leurs blessures les ont défigurés, les pays soutenant Kiev ont été surnommés « les Alliés », les forces russes appelées « Armée rouge », certaines batailles ou bombardements ont donné lieu à l’invocation de Stalingrad ou de Dresde, etc.

La mémoire collective européenne, nourrie de mythes et de symboles, est ainsi mobilisée à travers l’ensemble des représentations partagées du passé se basant sur une identité commune aux membres d’un groupe, selon la définition donnée par le précurseur de la psychologie sociale en France, Maurice Halbwachs. La mémoire collective, en façonnant cette représentation partagée du passé du groupe, en préserve aussi l’image positive.

Les événements moins flatteurs et potentiellement plus menaçants pour l’identité du groupe sont donc écartés ou mis en retrait. Ainsi, certains aspects controversés de l’histoire de l’Ukraine – comme la conduite durant la Seconde Guerre mondiale de Stepan Bandera, personnage célébré par certains pans de la classe politique ukrainienne – n’ont pas fait l’objet d’une large couverture médiatique côté français ; en revanche, ils ont été largement mis en avant côté russe pour justifier les actions actuelles de Moscou.

L’imaginaire social, vecteur de la mémoire collective, puise dans les images les éléments contribuant à une construction de la réalité. Les émotions liées aux images y jouent un rôle prépondérant car ce sont elles qui vont réveiller la mémoire collective (les références à l’histoire, à d’autres images de la Première et de la Seconde Guerre mondiale dans les méthodes de combat, l’exode des réfugiés, les destructions… ) et enraciner les nouvelles représentations de l’Ukraine, comme faisant partie intégrante de notre passé mais aussi de notre futur européen. Les médias contribuent à la construction d’une réalité dont découle la formation d’un consensus, particulièrement en situation d’incertitude.

L’intériorisation des influences inconscientes

Au-delà du rôle sociologique tenu par les médias, les influences inconscientes sur les opinions ne peuvent être écartées de l’analyse. Les influences inconscientes (influence psychologique conduisant à un jugement ou à un comportement à l’insu des personnes qui en ont été la cible selon Jean-Léon Beauvois) peuvent découler du façonnage d’un univers idéologique (opinion dominante) dans lequel certains thèmes de discussion sont jugés plus ou moins légitimes, tandis que des comportements ou des opinions sont valorisés ou stigmatisés, comme le souligne Grégory Derville (2017).

Le processus sociocognitif du modelage des idées et des jugements peut agir sur les représentations, valeurs et systèmes de croyance, en présentant des modèles et des anti-modèles, comme les associations verbales très souvent utilisées au début du conflit, les Ukrainiens étant par exemple perçus comme « héroïques », « courageux », et « travailleurs ». Une fois qu’ils ont acquis le statut de structures cognitives ou de noyaux informationnels stables et actifs, les stéréotypes dirigent le traitement de l’information et les jugements, sans que les personnes ne s’en rendent compte.

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Parallèlement, ces processus cognitifs sont également sollicités pour fixer des stéréotypes opposés, mobilisés à travers le narratif des médias russes puis repris par certains médias « alternatifs » occidentaux : les Ukrainiens « nazis », l’instrumentalisation occidentale de l’Ukraine destinée à détruire la Russie et ses valeurs traditionnelles, etc. Ces noyaux informationnels sont d’autant plus aisément fixés chez les personnes dont le sentiment de défiance envers les médias traditionnels, renforcé durant la crise du Covid, prédomine. Le questionnement des médias, en situation d’incertitude, pourrait être l’instant T du point de rupture et du basculement vers une attitude « anti-consensus » et « anti-système » qui favoriserait l’acceptation du narratif contraire.

Il est intéressant de noter que le traitement de l’information par les médias au sujet du conflit Israël-Hamas n’a pas formé un consensus partagé, tel que nous avons pu le voir avec la guerre en Ukraine : les mémoires collectives plurielles, les représentations concurrentes, représentent autant de difficultés à la formation d’un consensus et au renforcement d’une identité collective.The Conversation

Carole Grimaud, Chercheure Sciences de l'Information IMSIC, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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