Accéder au contenu principal

L’IA au travail : un gain de confort qui pourrait vous coûter cher

Par  Kathleen Desveaud , Kedge Business School L’intelligence artificielle promet un soulagement face à l’ennui des tâches répétitives au travail, mais son usage excessif pourrait entraîner une déqualification progressive et une nouvelle forme de frustration professionnelle. Entre automatisation bénéfique et risque de « travail zombie », comment faire de l’IA un allié du développement des compétences plutôt qu’une source d’appauvrissement cognitif ? L’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur les métiers est un sujet majeur , qui a été traité dans de nombreuses études . Si la question de la disparition des emplois retient souvent l’attention, une autre question de fond mérite d’être considérée : comment ces technologies transforment et transformeront-elles concrètement le quotidien, les compétences et la motivation des travailleurs ? L’IA, un remède contre l’ennui au travail ? L’IA est parfois présentée comme un parfait remède a...

Vote par Internet : doit-on choisir entre confort et sécurité ?

Le vote électronique pourrait-il permettre d'augmenter le taux de participation aux élections? À quels coûts en termes de risques de fraude ? Resume Genius, Unplash, CC BY
Lucca Hirschi, Inria et Alexandre Debant, Inria

Le vote par Internet est aujourd’hui un mode de scrutin plébiscité par de nombreux organisateurs d’élections tels que les partis politiques, entreprises, et associations. Ce ne sont pas moins de 620 000 Français qui ont voté par Internet lors des différentes primaires à l’élection présidentielle en 2022 (écologiste, Les Républicains, populaire) et 270 000 Français de l’étranger lors des élections législatives… Mais aussi près d’un million de votants lors des élections professionnelles de la fonction publique d’état, la même année.

Plusieurs avantages du vote par Internet peuvent expliquer ce succès : une possible réduction des coûts et une facilité d’organisation mais aussi, et surtout, le confort et la praticité de pouvoir voter depuis chez soi. Cependant, bien que ce dernier point soit souvent présenté comme un rempart face à l’abstentionnisme croissant, il est en fait loin de faire consensus dans la littérature académique.

Plus généralement, le confort de pouvoir voter depuis son téléphone ou son ordinateur occulte bien souvent les enjeux liés à la sécurité, comme les possibilités de cyberattaques ou de fraudes électorales, et les risques induits sont rarement discutés et bien compris.

En fait, pour l’instant, le vote par Internet échoue bien souvent à atteindre les mêmes garanties que le mode de scrutin traditionnel, le vote papier à l’urne.

Quelles garanties pour un scrutin ?

Un système de vote doit assurer deux garanties fondamentales, définies par le code électoral. Tout d’abord le secret du vote garantit à tout votant que personne ne saura comment iel a voté. Ensuite, la sincérité du scrutin assure que le résultat de l’élection n’a pas été truqué, par exemple en retirant, modifiant, ou ajoutant un bulletin de vote.

Pour le vote traditionnel, le vote papier à l’urne, le secret du vote est garanti par l’utilisation d’isoloirs, d’enveloppes opaques et identiques, et d’urnes rassemblant et mélangeant tous les bulletins. La sincérité du scrutin est assurée par l’utilisation d’urnes transparentes et scellées qui sont à tout moment scrutées par un certain nombre d’assesseurs qui vérifient le bon déroulé du scrutin. Ainsi le scrutin est rendu vérifiable et il suffit d’un seul assesseur honnête pour garantir la sincérité du scrutin.

Dans le cas du vote par Internet, la question se pose alors en ces termes : lorsque je clique sur un choix de vote puis sur le bouton « Votez », que se passe-t-il réellement ? Qui vérifie que mon vote sera bien pris en compte et qui serait en mesure de connaître mon vote ? Toutes les solutions de vote par Internet promettent un haut niveau de sécurité supposément garanti par la cryptographie (chiffrement, signature numérique, preuve à divulgation nulle de connaissance, etc.). Qu’en est-il vraiment ?

Une invitation à voter en ligne de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire.

En théorie : la cryptographie garantit un vote par Internet sûr

Pour répondre à ces questions, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a émis des recommandations définissant des bonnes pratiques pour atteindre certains niveaux de sécurité.

Par exemple, les bulletins doivent être cryptographiquement chiffrés et la clé permettant le déchiffrement doit être distribuée entre plusieurs autorités possédant chacune un fragment de clé. Ainsi, en présence de toutes les autorités et leur fragment de clé, et uniquement dans ce cas, les bulletins peuvent être collectivement déchiffrés, révélant ainsi le résultat de l’élection (cela imite partiellement le rôle des assesseurs).

De même, pour s’approcher de la transparence d’une urne physique, un votant qui soumet un bulletin doit recevoir en retour un reçu cryptographique confirmant la prise en compte de son bulletin. Ce reçu lui permet également de vérifier, à postériori, que son bulletin n’a pas été retiré de l’urne avant le décompte final.

Quelques étapes du vote électronique. Lucca Hirschi et Alexandre Debant, Fourni par l'auteur

Pour les scrutins à fort enjeu (niveau 3 des recommandations de la CNIL), cette vérification grâce au reçu cryptographique doit même être rendue possible via un tiers de confiance, distinct de l’organisateur du scrutin… ce dernier n’étant pas considéré de confiance (tout comme son serveur web, qui héberge le site web de l’élection).

En théorie, ces bonnes pratiques permettent d’assurer le secret du vote et la sincérité du scrutin, même lorsque les organisateurs ou leurs systèmes informatiques sont compromis, s’approchant des garanties du vote papier.

En pratique : la sécurité défaillante des solutions de vote

Malheureusement, de nombreux exemples démontrent les faiblesses des recommandations CNIL et des solutions de vote existantes qui n’assurent pas les garanties escomptées.

Il est ici important de rappeler qu’avec le vote par Internet, l’impact d’une éventuelle attaque ou erreur prend une envergure inédite : dans le cas du vote physique, si on peut imaginer une « fraude » dans un seul ou un petit nombre de bureaux de vote, il semble compliqué de truquer tous les bureaux de vote d’un pays simultanément. En revanche, pour le vote par Internet, toutes les urnes dématérialisées sont généralement centralisées : stockées et gérées par une seule entité, et une seule corruption compromet l’ensemble des bulletins et résultats.

Commençons par le secret du vote : est-il réellement suffisant de chiffrer les votes ?

Pour répondre à cette question, il faut en fait savoir comment est générée, distribuée, et stockée la clé (ou les clés) de déchiffrement. Il est arrivé que certains systèmes rendent publique la clé de déchiffrement une fois l’élection terminée. Un attaquant sachant faire le lien entre les votants et leur bulletin (par exemple en ayant observé le réseau entre le votant et le serveur de vote) pouvait alors violer le secret du vote de chacun de ces votants en déchiffrant simplement leur bulletin associé avec la clé une fois divulguée.

D’autres vulnérabilités, plus subtiles, permettent également de violer le secret du vote, malgré l’utilisation de chiffrement et une bonne gestion des clés. De telles vulnérabilités ont récemment été découvertes sur le système de vote utilisé lors des élections législatives de 2022 par les Français résidants hors de France (1,2 million d’électeurs éligibles) ou encore les systèmes de vote utilisés en Estonie ou en Suisse.

Enfin, l’utilisation de reçus cryptographiques est-elle suffisante pour assurer l’intégrité du scrutin ?

Ici aussi, le diable est dans les détails. Il est en effet crucial que la solution de vote assure que le reçu fourni au votant correspond bien au bulletin de vote qu’il a transmis. Lors des élections législatives 2022, il a été démontré qu’un attaquant pouvait modifier le bulletin de vote soumis par un votant et adapter le reçu avant de le transmettre au votant, qui croit alors à tort pouvoir vérifier son bulletin.

Vers un vote par Internet plus sûr

Devant de tels constats, les agences gouvernementales compétentes – ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et CNIL, la communauté scientifique et les vendeurs de solutions s’activent et collaborent pour améliorer la sécurité du vote par Internet.

Tout d’abord, une plus grande transparence des systèmes de vote et de leurs exigences de sécurité est nécessaire. Par la publication de spécifications décrivant précisément le fonctionnement des composants critiques mais aussi du code source des programmes correspondants, différents experts pourront étudier la sécurité de ces systèmes et ainsi collectivement contribuer à leur amélioration. De même, la publication claire et précise des objectifs de sécurité prétendument atteints par les systèmes permettra à chaque votant de comprendre les hypothèses de confiance sous-jacentes et ainsi d’accepter librement et de manière éclairée d’utiliser ou non le système avec ses risques résiduels. Cette approche a fait ses preuves pour la standardisation des primitives cryptographiques et permet le développement de systèmes toujours plus sûrs.

Il faut ensuite élever les exigences de sécurité du vote par Internet. Tout d’abord via des recommandations et standards plus ambitieux et précis quant aux objectifs de sécurité et transparence à atteindre. Mais aussi au travers d’un cadre législatif mieux adapté aux spécificités du vote électronique. En effet, il n’est pas suffisant d’exiger le secret du vote et la sincérité du scrutin via la vérifiabilité (reçu).

Par exemple, en comparaison avec le vote papier, d’autres propriétés sont attendues : assurer la résistance à l’achat de vote ou la coercition. En effet, si l’isoloir assure que l’on peut voter sans subir de pression extérieure, qui nous dit que le votant est seul et libre de voter comme iel l’entend derrière son ordinateur ?

De même, il serait intéressant de discuter de la pertinence des solutions mises en place pour authentifier les votants. La solution la plus répandue aujourd’hui est l’authentification à deux facteurs, également largement utilisée pour d’autres usages tels que les applications bancaires. Toutefois, elle présente une limite claire : les identifiant et mot de passe peuvent être volés, devinés, ou abusés. Serait-il possible d’améliorer cela en se reposant par exemple sur un e-identité (comme la carte nationale d’identité numérique, telle que déployée depuis de nombreuses années en Estonie) ?

Enfin, si l’ensemble des bulletins de vote papier sont détruits physiquement à la fin d’une élection, la question du stockage (volontaire ou non) sur Internet des bulletins pose évidemment la question du maintien du secret du vote dans 5, 10, 20 ans, quand les cryptographes auront certainement trouvé des failles dans le mécanisme de chiffrement utilisé. Cette résistance du secret du vote à de futures faiblesses de la cryptographie utilisée aujourd’hui est communément appelée everlasting-privacy.

Toutes ces questions sont malheureusement encore ouvertes, et, oui, il semble qu’aujourd’hui encore, le choix du confort se fait au détriment de la sécurité. Heureusement, ces questions sont autant de pistes de recherche qui nous occupent, nous autres chercheurs, et auront certainement demain de nouvelles réponses. En attendant, elles constituent peut-être autant de raisons de limiter l’utilisation du vote par Internet lors de scrutins à très fort enjeu : notamment pour les élections présidentielles et primaires de partis politiques.


Le PEPR Cybersécurité et son projet Security Verification Protocol (SVP) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.The Conversation

Lucca Hirschi, Chercheur en informatique, spécialisé en cybersécurité, Inria et Alexandre Debant, Chercheur en informatique, spécialisé en cyber sécurité, Inria

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

D’IBM à OpenAI : 50 ans de stratégies gagnantes (et ratées) chez Microsoft

  Paul Allen et Bill Gates en 1970 à Lakeside School (Seattle). Microsoft naîtra cinq ans plus tard. Auteur inconnu/Wikimedia Par  Frédéric Fréry , ESCP Business School Insubmersible. Même la vague des Gafa n’a pas vraiment atteint Microsoft. Cinquante ans après sa création, soit une éternité dans le monde de la tech, la firme de Bill Gates et Paul Allen est toujours là et bien là. Retour sur ce qu’on appelle outre-Atlantique, une success-story avec quelques échecs. Cette semaine, Microsoft fête ses 50 ans. Cet article a été écrit sur Microsoft Word, à partir d’un ordinateur équipé de Microsoft Windows, et il sera vraisemblablement publié sur des plateformes hébergées par Microsoft Azure, notamment LinkedIn, une filiale de Microsoft qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est dire l’influence de cette entreprise qui, en 2024, a dégagé un bénéfice net de 88 milliards de dollars po...