DSA, DMA, lutte contre la désinformation et les pratiques anticoncurrentielles : les géants du numérique à l’épreuve du cadre réglementaire européen
Par Constantin Pavléas, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, fondateur et dirigeant du cabinet Constantin Pavléas Avocats
En vertu du Digital Services Act (DSA), applicable aux très grandes plateformes depuis août 2023 et à l’ensemble des plateformes en ligne depuis février 2024, l’Union Européenne lance une action visant à lutter contre la désinformation avec, en point de mire, les élections européennes de juin prochain. La notion de désinformation - à distinguer de la mésinformation - s’applique aux informations manifestement fausses ou trompeuses, créées, présentées et diffusées dans un but lucratif ou pour tromper intentionnellement le public. En tant que telles, elles présentent une menace pour les démocraties européennes et mettent en danger la santé, la sécurité et l’environnement des citoyens de l’UE. Parmi les mesures prises par l’UE pour lutter contre la désinformation sur les réseaux, certaines sont de nature incitative, d’autres de nature plus contraignante, voire répressive.
Les mesures incitatives prennent la forme de lignes directrices émises par la Commission européenne à l’intention des plateformes hébergeant les réseaux sociaux, les incitant à se conformer aux règles instituées par le DSA. Par exemple: identifier certains contenus générés par de l'intelligence artificielle (à noter que cette identification deviendra obligatoire pour les « deep fakes » conformément au nouveau règlement sur l’intelligence artificielle, dont la publication est attendue dans les prochains mois) ; permettre aux utilisateurs de signaler des contenus truqués; ou encore accorder au régulateur un accès à leurs algorithmes (à noter que selon le DSA, cet accès est obligatoire sur demande justifiée notifiée par la Commission européenne aux Très Grandes Plateformes, soit les fournisseurs de services en ligne qui atteignent 45 millions d’utilisateurs mensuels ou 10% de la population européenne).
D’autres mesures sont plus contraignantes et visent à établir et sanctionner des manquements aux règles européennes en matière de modération des contenus et de transparence des données. Des enquêtes préliminaires avaient déjà été ouvertes contre les grands opérateurs de réseaux sociaux, tous américains à l’exception de TikTok, en vue de déterminer si le respect d'une série d’obligations - comme celle d'agir "promptement" pour retirer tout contenu illicite ou d'en rendre l'accès impossible dès que la plateforme en a connaissance - avaient bien été respectées.
Aujourd’hui, une nouvelle étape est franchie avec l’ouverture d’une enquête « formelle » à l’encontre de X (anciennement Twitter) visant à établir si la plateforme a effectivement contribué à diffuser des contenus illégaux et de désinformation au sein de l’UE. Dès septembre 2023, la Commission européenne s'était émue du taux de désinformation présent sur X, épinglant les résultats particulièrement mauvais obtenus lors de tests effectués sur plusieurs plateformes.
A deux mois des élections européennes, on peut comprendre que Bruxelles s'inquiète de l'impact sur la campagne électorale des sons, photos et vidéos, notamment ceux créés avec l’assistance de l'intelligence artificielle générative, qui pourraient s’apparenter à une manipulation d’une opinion publique exposée à l’influence d’Etats ou d’organisations malveillants. Liberté d’expression vs lutte contre la désinformation. Le cadre légal européen est en place et les grandes plateformes numériques le connaissent. Va-t-on vers un bras de fer ou la tendance sera-t-elle à la conciliation ? La période à venir, sensible sur le plan politique, présentera une opportunité intéressante de tester l’efficacité des outils mis au service du droit…
D’autant que ce cadre européen de régulation des plateformes numériques va bien au-delà du DSA. Le Digital Market Act (DMA), entré en vigueur en mars 2024, vise pour sa part à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’Internet. La Commission européenne préparerait des procédures d’infraction contre Apple, Google et Meta, malgré les efforts que ces groupes prétendent avoir entrepris pour respecter les nouvelles règles. Selon Thierry Breton, Commissaire européen, «Apple a fait plus de changements en dix jours grâce au DMA qu’en dix ans de politique antitrust ». De quoi encourager Bruxelles à maintenir le cap et mettre les géants du numérique au pied du mur. Tout en attendant l’entrée en vigueur de l’IA Act, première réglementation mondiale de l’intelligence artificielle.