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Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques

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L’Europe peut-elle faire émerger des champions du numérique ?

 

L’Europe dispose aujourd'hui de la réglementation des activités digitales la plus complète au monde. Flickr/Descrier, CC BY-SA
Par Julien Pillot, INSEEC Grande École

Règlement général sur la protection des données (RGPD), législation sur les marchés numériques (DMA), règlement européen sur les services numériques (DSA), AI Act sur l’intelligence artificielle (IA)… Ces dernières années, l’Union européenne (UE) s’est dotée d’un arsenal juridique supposé lui conférer les moyens de mieux contrôler les activités des personnes et des organisations dans la sphère numérique. Quelle peut être la portée de tels outils face aux géants américains et chinois du secteur ? Éléments de réponse avec Julien Pillot, enseignant-chercheur en Économie à l’INSEEC Grande École.


Peut-on dire que l’UE est en pointe en matière de régulation de l’économie numérique ?

Il serait bien présomptueux de penser que les autres grandes puissances sont passives au regard du développement des activités numériques, et que seule l’Europe est consciente des problèmes que celles-ci peuvent engendrer. Les autres juridictions, États-Unis et Chine en tête, font également évoluer leurs règles. En revanche, les approches comme les objectifs peuvent différer. La Chine, par exemple, a pris des décisions particulièrement drastiques pour lutter contre l’addiction des jeunes aux écrans et aux jeux vidéo. Les États-Unis ont, quant à eux, opté pour une approche régulatoire de l’IA différenciée selon les secteurs d’activité, plutôt qu’une démarche à portée générale comme en Europe.

Néanmoins, je crois qu’on peut considérer qu’avec le RGPD, le DSA, le DMA et l’IA Act, l’Europe dispose de l’arsenal le plus complet, mais surtout, a su s’imposer ces dernières années comme une véritable puissance normative en poussant nos partenaires étrangers à se mettre en conformité avec nos réglementations. C’est la grande force du marché européen auquel nulle entreprise étrangère, fût-ce un géant du numérique, ne peut se permettre de tourner le dos.

Enfin, cette réglementation vise également à renforcer la souveraineté de l’UE dans un monde certes toujours plus interconnecté, mais aussi profondément divisé. Car, loin des idéaux initiaux de liberté et de partage sans frontière, l’espace numérique s’est imposé comme un terrain de conquêtes économiques et d’influence géostratégique comme culturelle des plus convoités.

Pouvez-vous donner un exemple ?

TikTok illustre parfaitement la façon dont les services numériques « stars » peuvent devenir des instruments d’influence culturelle et politique. Les puissances occidentales pointent plusieurs problèmes. D’une part, TikTok serait un cheval de Troie qui espionnerait, à leur insu, les utilisateurs, et notamment les dirigeants politiques et économiques. C’est d’ailleurs cet argument de cybersécurité qui a poussé le gouvernement à interdire l’installation de TikTok – mais aussi d’autres applications récréatives telles que Netflix ou Instagram – des téléphones de 2,5 millions d’agents de service public.

Aux États-Unis, l’application a été interdite entre 2020 et 2021, pour être de nouveau autorisée à la condition de localiser l’ensemble des données des utilisateurs américains dans un serveur de l’entreprise Oracle localisé au Texas. En ce début d’année 2024, un projet transpartisan voté à l’écrasante majorité au Congrès, prévoit l’interdiction de TikTok aux États-Unis, à moins que la filiale locale passe sous contrôle capitalistique américain sous 18 mois. Un épisode supplémentaire de la guerre froide que se livrent Pékin et Washington.

D’autre part, l’application serait programmée pour être extrêmement addictive, et pousser du contenu culturel en Chine, et du contenu de divertissement en Occident. Sur ce point, et si ces soupçons sont avérés, on comprend comment une application aussi populaire, placée entre les mains d’un gouvernement impérialiste, peut se muer en un outil d’influence, de désinformation ou de propagande majeur, ou pire encore, une arme visant à abrutir la jeunesse des puissances étrangères. Il ne faut jamais oublier qu’il y a deux façons de remporter une « guerre des cerveaux » : former, et retenir, les meilleurs éléments sur son territoire ; ou affaiblir la capacité des adversaires à y parvenir.

Les plates-formes américaines et chinoises peuvent-elles réellement craindre une véritable limitation de leurs activités en Europe ?

Je rappelle souvent que la qualité d’un règlement ne se juge pas uniquement au texte, mais à la façon dont il sera appliqué avec un degré suffisant de sécurité juridique pour les parties. Ainsi, l’efficacité d’une règle va dépendre étroitement de la nature de la sanction encourue et de la crédibilité que les entreprises accordent tant à la capacité des autorités à détecter une pratique frauduleuse, et à la menace d’une forte sévérité dans l’échelle des sanctions prévues.

Pour ce qui concerne l’économie numérique, après une phase d’observation – voire, osons le terme, de naïveté – on voit de premières sanctions assez significatives tomber, que ce soit sur le fondement du RGPD ou de l’antitrust. Pensons que les autorités européennes ont déjà prononcé pour 4,5 milliards d’euros de sanctions pour défaut de conformité au RGPD depuis son entrée en vigueur en 2017 ! Quant aux règlements les plus récents, DSA et DMA, ils entrent progressivement en vigueur et montreront leur efficacité dans la durée.

De manière générale, les autorités européennes durcissent le ton vis-à-vis des entreprises étrangères, tant et si bien que la Commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, n’a pas hésité à brandir la menace d’un démantèlement à l’endroit d’Alphabet (Google) pour ses pratiques sur le marché de l’AdTech lors d’une conférence de presse en date du 14 juin 2023. Nous verrons si ce durcissement dans le discours se traduira dans les actes.

L’Europe est-elle condamnée à rester une puissance numérique de second rang (notamment quand on considère les écarts en termes d’investissements) ? Dans quelle mesure la réglementation européenne peut-elle se montrer efficiente pour faire émerger des champions mondiaux et réduire notre dépendance économique comme culturelle et géostratégique ?

La tech européenne est nettement plus dynamique qu’il n’y paraît. Pour s’en apercevoir, il faut accepter de ne pas focaliser sur la partie émergée de l’iceberg et analyser l’écosystème dans son ensemble. L’Europe fournit de nombreux talents aux géants étrangers, mais compte aussi de nombreuses entreprises performantes, dans des secteurs aussi divers que l’IA, le gaming, le cloud, les FinTech… En 2023, l’Europe comptait 311 licornes (entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars US), dont 19 décacornes.

Photo de Margrethe Vestager
En juin, 2023, la Commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, brandi la menace d’un démantèlement à l’endroit d’Alphabet (Google). Friends Of Europe/Flickr, CC BY-SA

En revanche, il est vrai que cette réglementation européenne ne changera pas la donne sur le plan structurel. Elle ne va pas améliorer notre déficit de compétitivité sur le capital venture, ou sur le hardware. Elle ne dit rien non plus de la vigueur des politiques industrielles ou protectionnistes, que ce soit via des investissements fléchés ou de la commande publique, qui seront menées dans les prochaines décennies.

Enfin, ces règles ne me semblent pas en mesure d’affaiblir suffisamment les leaders étrangers pour permettre à des concurrents européens d’émerger, à plus forte raison que ces règlements, plutôt que de remettre en cause les business models établis (et donc les stratégies gagnantes), a plutôt tendance à les considérer comme acquis et à les figer. Dit autrement, on ne voit pas émerger un vrai contre-modèle économique européen qui aurait pu, par exemple, mieux valoriser la sobriété numérique.

Au-delà, la souveraineté numérique européenne est-elle possible ? À quoi pourrait-elle ressembler ?

Les Vingt-Sept ont fait le choix d’actionner trois leviers : d’abord, celui de la régulation, de façon à limiter l’expression du pouvoir de marché des géants étrangers auxquels elle entend imposer des normes techniques et comportementales, qui viennent s’ajouter aux obligations fiscales introduites avec la « taxe Gafam ».

Ensuite, celui de l’autonomie stratégique en se donnant les moyens, par le jeu des investissements publics, de relocaliser la production de certains biens ou services critiques, pour ne plus se faire imposer les prix et la disponibilité par l’étranger. La volonté de se doter de capacités extractives de métaux critiques, ou de giga factories dédiées à la production de microprocesseurs, participe de cet objectif.

Enfin, celui du leadership technologique pousse l’Europe à investir massivement dans les technologies qui sont porteuses de croissance, d’emploi, et surtout de domination technique sur le long terme. C’est en ce sens que l’Europe entend développer l’informatique quantique ou l’IA générale. Impossible de ne pas penser aux 27 milliards d’euros d’investissements sur 5 ans suggérés par le rapport de la Commission Intelligence artificielle (remis au Président de la République le 14 mars 2024), montant requis pour pouvoir jouer un rôle dans le développement de ce secteur.

Il faut bien comprendre que la nature des enjeux, les forces en présence et les investissements nécessaires sont des éléments qui placent d’emblée la question de la souveraineté numérique à l’échelon européen. Et même si l’Europe ne gagnera probablement pas tous les combats qu’elle a engagés, elle démontre chaque jour qu’elle prend la question de la souveraineté numérique très au sérieux.


Cette contribution est publiée en partenariat avec le Printemps de l’Économie, cycle de conférences-débats qui se tiendront du mardi 2 au vendredi 5 avril au Conseil économique social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le programme complet de l’édition 2024, intitulée « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? »The Conversation

Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande École

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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