Accéder au contenu principal

Deepfake, décryptage d’une arnaque

Par Thomas Mannierre, Directeur EMEA Sud de BeyondTrust L’IA a fait entrer les braquages dans une nouvelle dimension. Plus besoin d’une cagoule noire désormais. En améliorant les attaques d'ingénierie sociale modernes, l’IA a donné naissance à un autre type de menaces : les deepfakes. Bienvenue dans ce qui pourrait être un épisode de Black Mirror ! Le faux CFO de Hong Kong En début d’année, une entreprise à Hong Kong s’est vue escroquée de 25,6 millions de dollars par un hacker utilisant l’IA et la technologie deepfake pour usurper l’identité d’un directeur financier. Si l'on en croit les rapports d’enquête, l'attaque a simulé un environnement de vidéoconférence complet et utilisé une fausse identité d'un important directeur financier de Hong Kong et d'autres participants à la réunion. La victime ciblée du département financier s'est d'abord méfiée d'un e-mail de phishing prétendant provenir du directeur financier. Cependant, la victime a rejoint une con

Ingérences étrangères : la prise de conscience de la France

cyber

L’affaire des tags « Mains rouges » peintes sur le Mémorial de la Shoah à Paris va-t-elle constituer un tournant : celui d’une réelle prise de conscience de l’opinion face aux ingérences étrangères qui veulent miner notre démocratie, entre opérations de déstabilisation « classiques » et cyberattaques de plus en plus sophistiquées et intenses, voire un mix des deux ?

Les mains rouges et les étoiles bleues

En tout cas l’affaire – qui a dans un premier temps légitimement choqué dans le climat de hausse des propos et actes antisémites – a échoué à diviser les Français. C’est que ces derniers avaient de quoi se méfier en se rappelant l’affaire des étoiles de David, peintes au pochoir sur des façades d’immeubles à Paris et en banlieue en octobre dernier. Dans un document confidentiel, révélé le 23 février par Le Monde, la DGSI assure que cette opération a été pilotée par le « cinquième département », un service chargé des opérations internationales au FSB, les services secrets russes. Cette campagne de désinformation en France était un volet d’une opération d’ingérence plus vaste menée dans plusieurs pays européens et commencée au printemps 2023 en Pologne. Des Moldaves, pilotés à distance par le FSB, y avaient mené des actions de désinformation, de surveillance et de sabotage.

La similarité des 35 tags représentant des mains rouges peintes dans la nuit du 13 au 14 mai – un symbole qui renvoie au massacre à mains nues de Yosef Avrahami et Vadim Norznich le 12 octobre 2000 par des Palestiniens de Ramallah – avec les étoiles de David suscite immédiatement la prudence et le doute. Les enquêteurs creusent actuellement la piste de trois suspects, arrivés de Bulgarie et repartis vers la Belgique.

Dans les deux cas : l’action d’agents sur le territoire national pour amorcer la pompe puis la tentative d’en amplifier la portée sur les réseaux sociaux, avec l’idée d’attiser les clivages dans les pays occidentaux ; une technique rodée des campagnes d’ingérence, comme l’a dénoncé lui-même le ministre des Affaires étrangères français, Stéphane Séjourné.

L’opération n’a pas fonctionné comme prévu

« C’est le même mode opératoire : des gens recrutés dans un pays européen où le FSB est connu pour opérer (la Moldavie et la Bulgarie, ndlr). Pour les étoiles, on sait qu’il y avait eu coordination entre les deux services, le FSB qui a recruté les Moldaves, et le renseignement militaire qui gère […] Döppelganger » (« Sosie » en allemand), opération de désinformation au long cours attribuée à la Russie, relève pour le chercheur David Colon, auteur de « La guerre de l’information » (La Dépêche du 1er octobre 2023).

Dans le cas des mains rouges, comme l’a souligné sur X le collectif @antibot4navalny, qui traque les ingérences possiblement liées au Kremlin, des comptes liés à Döppelganger ont exploité l’incident, relayant des commentaires accusant Emmanuel Macron d’inaction face à l’antisémitisme. La sous-traitance de la phase physique est d’autant plus nécessaire que « la capacité d’action des Russes en France a été dégradée par les expulsions (massives de diplomates depuis l’invasion de l’Ukraine, ndlr). Il est probable qu’ils ont conservé des réseaux clandestins, mais qu’ils ne veulent pas les griller pour ce genre d’opération » à bas coûts, explique une source sécuritaire française sous couvert d’anonymat.

L’opération « Mains rouge » n’a toutefois « pas vraiment fonctionné parce que les gens ont été beaucoup plus prudents dans leurs commentaires, instruits justement par l’exemple des étoiles ». David Colon y voit aussi un effet de la stratégie française incarnée par Viginum, la jeune agence anti-ingérence qui permet une politique de « dévoilement rapide » des opérations, un changement de pied bienvenue de la stratégie française.

La France, cible de choix

Car la France, qui accueille cette année les Jeux olympiques et dont le président a musclé son discours contre Vladimir Poutine, est devenue une cible pour les opérations de déstabilisation et des cyberattaques, on se rappelle du piratage de la campagne d’Emmanuel Macron (les MacronLeaks) en 2017, de l’activité des médias d’État russes RT France et Sputnik, des opérations d’influence de la Russie en Afrique contre la France ou plus récemment de l’Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie ; sans oublier les cyberattaques d’organismes ou d’hôpitaux.

« Dans un contexte géopolitique tendu, l’ANSSI a constaté de nouvelles opérations de déstabilisation visant principalement à promouvoir un discours politique, à entraver l’accès à des contenus en ligne ou à porter atteinte à l’image d’une organisation », indique l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information dans son Panorama 2023 de la cybermenace. « L’année 2023 a montré des évolutions notables dans la structure et les méthodes des attaquants. Ces derniers perfectionnent leurs techniques afin d’éviter d’être détectés et suivis, voire identifiés. Il apparaît notamment que des modes opératoires cybercriminels pourraient être instrumentalisés par des acteurs étatiques pour conduire des opérations d’espionnage », notait le rapport.

« L’un des grands enseignements de ce Panorama de la cybermenace 2023 est qu’il n’est désormais plus possible de prendre du retard en matière de cybersécurité, face à des attaquants de plus en plus persévérants », estimait Vincent Strubel, le patron de l’ANSSI.

L’UE sécurise les élections européennes

Dans le contexte de guerre informationnelle menée en parallèle à la guerre en Ukraine, l’Union européenne a pris plusieurs mesures pour sécuriser les scrutins et la campagne électorale. Début mars, le Parlement européen a adopté de nouvelles règles de transparence pour la publicité politique. « Afin de limiter l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques européens, le parrainage de publicités provenant de pays extérieurs à l’UE sera interdit pendant la période de trois mois précédant une élection ou un référendum », expliquait le Parlement, qui indiquait qu’ « afin de protéger les électeurs contre la manipulation, les techniques de ciblage et d’amplification ne seront possibles pour la publicité politique en ligne basée sur les données personnelles collectées auprès du sujet qu’une fois que leur consentement explicite et séparé aura été donné. ».

C’est que l’Europe et les démocraties qui la composent sont devenues des cibles de la part des régimes autoritaires agissant souvent par l’entremise de groupes de hackers qu’ils paient.

« Les députés estiment que l’ingérence étrangère, la désinformation et les attaques contre la démocratie sont susceptibles de s’aggraver et de devenir de plus en plus sophistiquées à l’approche des élections européennes en juin 2024 », avertissait déjà en novembre dernier un rapport de la commission spéciale sur l’ingérence étrangère (ING2n), présidée par le Français Raphaël Glucksmann – aujourd’hui tête de la liste PS-Place publique en France – qui a publié « La grande confrontation, comment Poutine fait la guerre à nos démocraties » (Allary Éditions).

Afin de favoriser les échanges opérationnels entre les autorités nationales et les institutions et agences de l’UE, les députés de l’ING2n ont appelé à la création d’un « centre de connaissances » européen spécialisé dans le renseignement sur les menaces, un financement adéquat et l’exclusion des équipements et logiciels provenant de fabricants de pays à haut risque.

(Article publié dans La Dépêche du Dimanche du 26 mai 2024)

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Comment les machines succombent à la chaleur, des voitures aux ordinateurs

  La chaleur extrême peut affecter le fonctionnement des machines, et le fait que de nombreuses machines dégagent de la chaleur n’arrange pas les choses. Afif Ramdhasuma/Unsplash , CC BY-SA Par  Srinivas Garimella , Georgia Institute of Technology et Matthew T. Hughes , Massachusetts Institute of Technology (MIT) Les humains ne sont pas les seuls à devoir rester au frais, en cette fin d’été marquée par les records de chaleur . De nombreuses machines, allant des téléphones portables aux voitures et avions, en passant par les serveurs et ordinateurs des data center , perdent ainsi en efficacité et se dégradent plus rapidement en cas de chaleur extrême . Les machines génèrent de plus leur propre chaleur, ce qui augmente encore la température ambiante autour d’elles. Nous sommes chercheurs en ingénierie et nous étudions comment les dispositifs mécaniques, électriques et électroniques sont affectés par la chaleur, et s’il est possible de r

De quoi l’inclusion numérique est-elle le nom ?

Les professionnels de l'inclusion numérique ont pour leitmotiv la transmission de savoirs, de savoir-faire et de compétences en lien avec la culture numérique. Pexels , CC BY-NC Par  Matthieu Demory , Aix-Marseille Université (AMU) Dans le cadre du Conseil National de la Refondation , le gouvernement français a proposé au printemps 2023 une feuille de route pour l’inclusion numérique intitulée « France Numérique Ensemble » . Ce programme, structuré autour de 15 engagements se veut opérationnel jusqu’en 2027. Il conduit les acteurs de terrain de l’inclusion numérique, notamment les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (les structures intermédiaires ayant pour objectif la mise en relation de l’État avec les structures locales), à se rapprocher des préfectures, des conseils départementaux et régionaux, afin de mettre en place des feuilles de route territoriales. Ces documents permettront d’organiser une gouvernance locale et dé

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl

Des conseils d'administration inquiets et mal préparés face à la menace cyber

Alors que les Assises de la Sécurité ouvrent leurs portes ce mercredi 11 octobre, pour trois jours de réflexion sur l’état de la cybersécurité en France, la société de cybersécurité Proofpoint f ait le point sur le niveau de préparation des organisations face à l’avancée de la menace.  Cette année encore, les résultats montrent que la menace cyber reste omniprésente en France et de plus en plus sophistiquée. Si les organisations en ont bien conscience,  augmentant leur budget et leurs compétences en interne pour y faire face, la grande majorité d’entre elles ne se sont pour autant, pas suffisamment préparées pour l’affronter réellement, estime Proofpoint. En France, 80 % des membres de conseils d’administration interrogés estiment que leur organisation court un risque de cyberattaque d’envergure, contre 78 % en 2022 – 36 % d’entre eux jugent même ce risque très probable. Et si 92 % d’entre eux pensent que leur budget lié à la cybersécurité augmentera au cours des 12 prochains mois, ces

L’Europe veut s’armer contre la cybercriminalité avec le Cyber Resilience Act

  Par  Patricia Mouy , Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Sébastien Bardin , Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) Assez des cyberattaques  ? La loi sur la cyberrésilience, ou Cyber Resilience Act a été adoptée par les députés européens le 12 mars dernier et arrive en application dans les mois à venir, avec l’ambition de changer la donne en termes de sécurité des systèmes numériques en Europe. Alors que les systèmes numériques sont littéralement au cœur des sociétés modernes, leurs potentielles faiblesses face aux attaques informatiques deviennent des sources de risques majeurs – vol de données privées, espionnage entre états ou encore guerre économique. Citons par exemple le cas de Mirai , attaque à grande échelle en 2016, utilisant le détournement de dispositifs grand public comme des caméras connectées pour surcharger des domaines Internet d’entreprise, attaque de type DDoS (déni de service distribué)