Accéder au contenu principal

Deepfake, décryptage d’une arnaque

Par Thomas Mannierre, Directeur EMEA Sud de BeyondTrust L’IA a fait entrer les braquages dans une nouvelle dimension. Plus besoin d’une cagoule noire désormais. En améliorant les attaques d'ingénierie sociale modernes, l’IA a donné naissance à un autre type de menaces : les deepfakes. Bienvenue dans ce qui pourrait être un épisode de Black Mirror ! Le faux CFO de Hong Kong En début d’année, une entreprise à Hong Kong s’est vue escroquée de 25,6 millions de dollars par un hacker utilisant l’IA et la technologie deepfake pour usurper l’identité d’un directeur financier. Si l'on en croit les rapports d’enquête, l'attaque a simulé un environnement de vidéoconférence complet et utilisé une fausse identité d'un important directeur financier de Hong Kong et d'autres participants à la réunion. La victime ciblée du département financier s'est d'abord méfiée d'un e-mail de phishing prétendant provenir du directeur financier. Cependant, la victime a rejoint une con

L’Europe veut s’armer contre la cybercriminalité avec le Cyber Resilience Act

 

cybersecurity

Par Patricia Mouy, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Sébastien Bardin, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Assez des cyberattaques ? La loi sur la cyberrésilience, ou Cyber Resilience Act a été adoptée par les députés européens le 12 mars dernier et arrive en application dans les mois à venir, avec l’ambition de changer la donne en termes de sécurité des systèmes numériques en Europe.

Alors que les systèmes numériques sont littéralement au cœur des sociétés modernes, leurs potentielles faiblesses face aux attaques informatiques deviennent des sources de risques majeurs – vol de données privées, espionnage entre états ou encore guerre économique. Citons par exemple le cas de Mirai, attaque à grande échelle en 2016, utilisant le détournement de dispositifs grand public comme des caméras connectées pour surcharger des domaines Internet d’entreprise, attaque de type DDoS (déni de service distribué). Mirai a entrainé entre autres l’arrêt ou des difficultés majeures dans les accès à de grands sites comme GitHub, Netflix ou Reddit. Les dispositifs connectés grand public sont la cible privilégiée de ce genre d’attaque.

Pour les systèmes informatiques critiques (dispositifs de santé connectés, cartes à puce, transports autonomes) le besoin de sécurité est donc toujours plus élevé. Une régulation stricte en matière de cybersécurité a été rendue obligatoire et concerne des milliers d’entités appartenant à plus de dix-huit secteurs jugés sensibles (banques et infrastructures financières, transports, santé, infrastructures et fournisseurs de services numériques, etc.). Cependant, la cybermenace ne s’arrête pas à ces secteurs sensibles et critiques. Les attaques visent aussi de multiples secteurs et les particuliers non concernés par ces précédentes directives de cybersécurité.

Sécuriser tous les secteurs, pas seulement les plus critiques

Le Cyber Resilience Act vise désormais la totalité des secteurs sans distinction, avec l’ambition de changer la donne en termes de sécurité des systèmes numériques utilisés en Europe. Comme annoncé par Nicola Danti, député européen, « La loi sur la cyberrésilience renforcera la cybersécurité des produits connectés, en s’attaquant aux vulnérabilités matérielles et logicielles, faisant de l’UE un continent plus sûr et plus résilient ». Par « produits connectés » s’entendent bien sûr les montres connectées, les smartphones, toute domotique connectée, mais également les logiciels de gestion d’identité ou les gestionnaires de mots de passe. Concrètement, cela imposera d’avoir des configurations sécurisées avec mises à jour gratuites mais aussi une totale transparence envers le consommateur sur les vulnérabilités.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le Cyber Resilience Act (CRA). La plupart des produits matériels et logiciels ne sont actuellement couverts par aucune législation européenne traitant de leur cybersécurité et, de plus, ne fournissent qu’un faible niveau de sécurité, souvent peu ou pas documenté. Le but de cette législation est donc à la fois de créer les conditions nécessaires au développement de produits sécurisés dès la conception mais aussi de veiller à ce que les fabricants prennent la sécurité au sérieux tout au long du cycle de vie d’un produit.

La loi européenne sur la cyberrésilience va donc beaucoup plus loin que les directives précédentes, en s’attaquant à tout système numérique connecté directement ou indirectement. Dans le rapport associé, la Commission européenne indique que cette loi provient du constat de vulnérabilités généralisées et d’un manque d’informations auprès des utilisateurs pour choisir des produits dont le niveau de sécurité est satisfaisant. Les cyberattaques sont ainsi de plus en plus fructueuses pour les criminels, avec un coût estimé à 5 500 milliards de dollars dans le monde en 2021.

Garantir la cybersécurité tout au long de la production

En s’adressant à tous les systèmes numériques, les exigences de cybersécurité poussées par le CRA concernent tous les fabricants et développeurs de produits contenant des éléments numériques matériels ou logiciels. Ces exigences s’appliquent dès la conception des produits mais aussi tout au long de leur cycle de vie, dont leur mise à jour. L’enjeu est énorme mais les défis à surmonter sont notables :

  1. être capable d’évaluer tout type de systèmes numériques, afin d’améliorer la qualité générale des écosystèmes numériques ;

  2. s’adapter à la complexité croissante des systèmes numériques et à l’évolution de leurs modes de production ;

  3. s’adapter à la complexité toujours plus croissante des attaques.

Le but étant d’encourager et d’étendre la mise en place des meilleures pratiques en matière de cybersécurité et d’inciter les fabricants à jouer la carte de la prévention, par exemple en affichant les exigences de sécurité sur les produits. On pourrait imaginer que par la suite, d’autres acteurs (marché, assurance…) donnent eux aussi des incitations en ce sens, permettant au final de monter le niveau général de cybersécurité, et ceci aux deux extrémités du spectre, des systèmes très simples aux systèmes sécurisés.

Des défis encore à relever

Cependant, ces avancées souhaitables vont exercer une pression forte à la fois sur les développeurs et sur le besoin en évaluateurs de ces systèmes, des experts en cybersécurité qui représentent une denrée rare. Une partie de la solution peut passer par outiller au maximum les experts et les développeurs, pour rendre les procédures de développement sécurisé et d’évaluation sécuritaire plus efficaces.

D’une part, il est possible d’envisager des analyses de la sécurité des produits quasiment automatiques pour assurer un audit basique de sécurité. D’autre part, la conception d’outils d’analyses avancés et interactifs permettrait à l’expert d’effectuer en un temps raisonnable des analyses de sécurité en profondeur. Ces outils devront être dotés d’une modélisation fine des attaquants afin de permettre de considérer des menaces toujours plus sophistiquées.

La France dispose historiquement d’experts de premier plan en évaluation sécuritaire. Mais face à l’augmentation du nombre de systèmes à évaluer et de leur diversité, ainsi que l’augmentation drastique de la complexité des attaques et des systèmes à évaluer, il est aujourd’hui indispensable de les épauler avec de nouvelles avancées scientifiques et techniques.

Développer de nouvelles techniques pour évaluer la sécurité des produits

Le projet SecurEval a justement pour objectif l’avancement des connaissances et la production d’outils dans le domaine de l’évaluation de la sécurité des systèmes numériques. Il se focalise en particulier sur la sécurisation de systèmes et de composants existants, a contrario d’approches de type « security by design », qui vont intégrer des contraintes de développement sécurisé dès la conception. Le but à terme est de proposer comme preuve de concept une chaîne d’outils provenant des laboratoires de recherche français à la pointe sur ces sujets pour proposer une solution complète pour l’évaluation de différentes propriétés de sécurité, allant de la recherche de vulnérabilités à la preuve formelle du respect de propriétés de sécurité.

Afin de répondre à cet objectif, des travaux de recherche sont menés au sein du projet SecurEval pour refondre les techniques d’analyse de code. L’objectif est de se fonder sur** des modélisations mathématiques fines et non sur des méthodes empiriques et incertaines et de développer des outils pour appliquer automatiquement ces techniques. Il faut ensuite adapter ces outils aux objectifs de l’évaluation de sécurité et au passage à l’échelle de systèmes de plus en plus complexes.

Par exemple, les partenaires du consortium de SecurEval spécialisés en évaluation formelle, sécuritaire et en analyse de programmes travaillent main dans la main pour adapter leurs outils de certification de systèmes critiques au cadre cybersécuritaire plus large imposé par le CRA. Ils proposent des techniques d’analyse automatisées couvrant au maximum les différentes étapes du processus de certification, de la vérification de conformité avec la politique de sécurité choisie jusqu’à l’analyse des vulnérabilités. Il s’agit aussi de prendre en compte les particularités du domaine et du cyberattaquant considéré : quels sont ses objectifs (par exemple, fuite d’informations ou de prise de contrôle du système) ou quels sont ses moyens (types de cyberattaques).

Le Cyber Resilience Act a été voté par le Parlement en mars 2024, pour une entrée en vigueur attendue dans le courant de l’année. Les acteurs concernés (fabricants, importateurs et distributeurs de matériel et de logiciels) auront alors trois ans pour s’adapter à ces nouvelles exigences, ce qui amènera des modifications notables dans leurs pratiques ainsi qu’une cybersécurité accrue dans l’écosystème numérique européen.


Le PEPR Cybersécurité et son projet SecurEval (ANR-22-PECY-0005) sont soutenus par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.The Conversation

Patricia Mouy, Responsable de laboratoire sur la sûreté et sécurité des logiciels et reponsable de l'axe tranverse Cybersécurité du CEA-List, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Sébastien Bardin, Chercheur Senior au CEA List, Fellow, Responsable du groupe "Analyse de code binaire pour la sécurité", PhD, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Comment les machines succombent à la chaleur, des voitures aux ordinateurs

  La chaleur extrême peut affecter le fonctionnement des machines, et le fait que de nombreuses machines dégagent de la chaleur n’arrange pas les choses. Afif Ramdhasuma/Unsplash , CC BY-SA Par  Srinivas Garimella , Georgia Institute of Technology et Matthew T. Hughes , Massachusetts Institute of Technology (MIT) Les humains ne sont pas les seuls à devoir rester au frais, en cette fin d’été marquée par les records de chaleur . De nombreuses machines, allant des téléphones portables aux voitures et avions, en passant par les serveurs et ordinateurs des data center , perdent ainsi en efficacité et se dégradent plus rapidement en cas de chaleur extrême . Les machines génèrent de plus leur propre chaleur, ce qui augmente encore la température ambiante autour d’elles. Nous sommes chercheurs en ingénierie et nous étudions comment les dispositifs mécaniques, électriques et électroniques sont affectés par la chaleur, et s’il est possible de r

De quoi l’inclusion numérique est-elle le nom ?

Les professionnels de l'inclusion numérique ont pour leitmotiv la transmission de savoirs, de savoir-faire et de compétences en lien avec la culture numérique. Pexels , CC BY-NC Par  Matthieu Demory , Aix-Marseille Université (AMU) Dans le cadre du Conseil National de la Refondation , le gouvernement français a proposé au printemps 2023 une feuille de route pour l’inclusion numérique intitulée « France Numérique Ensemble » . Ce programme, structuré autour de 15 engagements se veut opérationnel jusqu’en 2027. Il conduit les acteurs de terrain de l’inclusion numérique, notamment les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (les structures intermédiaires ayant pour objectif la mise en relation de l’État avec les structures locales), à se rapprocher des préfectures, des conseils départementaux et régionaux, afin de mettre en place des feuilles de route territoriales. Ces documents permettront d’organiser une gouvernance locale et dé

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl

Des conseils d'administration inquiets et mal préparés face à la menace cyber

Alors que les Assises de la Sécurité ouvrent leurs portes ce mercredi 11 octobre, pour trois jours de réflexion sur l’état de la cybersécurité en France, la société de cybersécurité Proofpoint f ait le point sur le niveau de préparation des organisations face à l’avancée de la menace.  Cette année encore, les résultats montrent que la menace cyber reste omniprésente en France et de plus en plus sophistiquée. Si les organisations en ont bien conscience,  augmentant leur budget et leurs compétences en interne pour y faire face, la grande majorité d’entre elles ne se sont pour autant, pas suffisamment préparées pour l’affronter réellement, estime Proofpoint. En France, 80 % des membres de conseils d’administration interrogés estiment que leur organisation court un risque de cyberattaque d’envergure, contre 78 % en 2022 – 36 % d’entre eux jugent même ce risque très probable. Et si 92 % d’entre eux pensent que leur budget lié à la cybersécurité augmentera au cours des 12 prochains mois, ces