En regardant la Terre depuis l’espace, nous pouvons mieux comprendre comment elle fonctionne dans son ensemble. Ainsi, le satellite SWOT, lancé en 2022, recueille et transmet de précieuses informations sur les eaux de surface – les océans, mais aussi les lacs et les rivières. Il permet ainsi de retracer le lien entre océans et climat, mais offre aussi de nombreuses applications pour la gestion de l’eau en dehors du champ scientifique.
Les satellites d’observation de la Terre sont des outils irremplaçables pour ausculter notre Planète et comprendre son fonctionnement. Ils permettent aux scientifiques de nombreuses disciplines de mesurer, d’évaluer et de modéliser son évolution, notamment dans le contexte du réchauffement climatique. Ainsi, 36 des 54 variables climatiques essentielles définies par les scientifiques pour observer le changement climatique sont mesurables depuis l’espace.
En décembre 2022, le CNES et la NASA, avec des contributions des agences spatiales britanniques et canadiennes, ont lancé le satellite SWOT qui révolutionne notre connaissance des océans et des surfaces d’eau douce de la planète. Cette mission apporte ainsi des informations précieuses sur l’évolution du climat et les océans.
Les océans, réservoirs de chaleur
Parmi ces variables climatiques essentielles figure le niveau des océans. Les océans sont en effet des réservoirs de chaleur, en absorbant 93 % du surplus d’énergie engendré par le réchauffement climatique. Cela provoque un réchauffement des eaux marines qui se dilatent (l’eau plus chaude prend plus de place que l’eau froide), entraînant une hausse du niveau des océans. La fonte des glaces continentales (glaciers, Groenland et Antarctique) contribue également à hauteur de 56 % à cette hausse depuis 2005.
La hausse du niveau des océans est donc un indicateur clé des conséquences du réchauffement climatique et est suivie depuis 1992 par des satellites d’altimétrie (comme TOPEX/Poseidon puis Jason) qui mesurent au centimètre près la hauteur des mers. Le satellite SWOT est venu compléter cette série historique et présente une caractéristique innovante par rapport à ces prédécesseurs : la large fauchée. Grâce à sa grande antenne, SWOT est ainsi capable de faire la cartographie 3D des océans là où les satellites « classiques » se contentent d’une mesure 2D sur une ligne correspondant à la trace du satellite au sol.
Cet instrument innovant permet notamment de mesurer la topographie des océans avec une résolution horizontale à l’échelle du kilomètre (contre 100 km auparavant). Cette échelle concentre justement une grande partie de la dynamique océanique : l’étudier plus précisément améliore ainsi grandement la compréhension de la dynamique océanique ainsi que sa capacité à stocker la chaleur.
L’eau, une ressource précieuse
Mais SWOT a plus d’une corde à son arc. La large fauchée permet également de mesurer le niveau des eaux douces continentales (lacs, fleuves et rivières), ce qui est quasi impossible avec l’altimétrie conventionnelle, car le signal se dégrade avec la présence de terres émergées. Les rivières et les lacs sont également un traceur du changement climatique. La ressource en eau douce est de plus indispensable à la vie sur Terre et aux activités humaines.
Grâce à SWOT, il est ainsi possible de mesurer le niveau de plus de 90 % des eaux sur les continents, ouvrant ainsi un nouveau champ scientifique, l’hydrologie spatiale. SWOT est en effet capable de mesurer la hauteur des lacs d’une certaine taille (100 m x 100 m) ainsi que la hauteur, la largeur, la pente et le débit des rivières de plus de 50 m de large. Il permet ainsi un suivi temporel, au cours des saisons ou lors d’évènements extrêmes (sécheresses ou inondations).
Une mission ultra-performante avec des applications inattendues
Environ 60 % de la population mondiale vit près des côtes. C’est un lieu qui subit de fortes pressions causées ou en lien avec le changement climatique : élévation du niveau des mers, changement de trait de côtes, érosion… La large fauchée présente l’avantage par rapport aux altimètres classiques de fournir des mesures au plus près des côtes. Les estuaires présentent également un grand intérêt et la communauté scientifique travaillant sur SWOT a initié de nombreux projets au Canada (embouchure du fleuve Saint-Laurent), au Sénégal, sur la Seine, la Gironde ou la baie du Mont-Saint-Michel…
Au-delà de ces applications déjà nombreuses et anticipées, d’autres résultats sont plus inattendus et sont rendus possibles grâce à la haute performance de la mission. Ainsi, SWOT est capable de détecter des signaux fins comme la houle ou la signature en surface du relief sous-marin, qui permet de déduire la hauteur des monts et fosses océaniques. Des dizaines de ces monts sous-marins ont déjà pu être répertoriés en une année et l’on s’attend à ce que SWOT permette d’en cartographier 100 000 dans les années à venir.
Sur les zones polaires, SWOT est capable de détecter la glace présente sur la mer : la comparaison avec des images radar de Sentinel-1 est tout à fait étonnante. Sa précision est telle qu’il peut même détecter les mini-tsunamis polaires, ces ondes circulaires générées par la chute de morceaux d’iceberg ou le basculement de ceux-ci. Les caractéristiques de ces ondes permettent d’en déduire des propriétés uniques sur les fragmentations et autres bascules très rarement observées in situ en plein océan austral.
Vers une utilisation hors de la recherche et des services de gestion de l’eau
La mission SWOT a été proposée par les communautés scientifiques française et américaine comme une mission de recherche. Mais dès le départ, cette mission a également été pensée pour développer des applications et des services basés sur les données de SWOT. Le CNES s’est donc attaché à travailler avec ses partenaires en Europe (ESA et Commission européenne) afin de garantir une continuité de la mission dans le cadre de Copernicus, le programme européen de surveillance de l’environnement. Cela permet d’inscrire les observations et les services associés dans le temps long, ce qui est fondamental notamment dans le contexte de changement climatique et de diminution de la ressource en eau douce de surface.
C’est ce qui est désormais prévu pour la mission Sentinel-3 Next Generation Topography (NG-Topo), la nouvelle génération de satellites qui succèdera à Sentinel-3 et SWOT pour la mesure du niveau des océans et des eaux continentales. Deux satellites sont prévus afin de diminuer encore la durée entre chaque mesure. Le lancement de la première Sentinel-3 NG-Topo est prévu après 2032.
À terme, des constellations de petits satellites moins performants mais assurant une revisite quotidienne, combinés avec la mission SWOT puis Sentinel-3 NG-Topo, permettraient un suivi avec une précision et une revisite inégalées des stocks d’eau. Ces diverses missions offriraient un regard à des échelles à la fois globales et locales, et le développement de services comme le suivi des inondations et des sécheresses, des barrages, des zones humides… L’aventure de l’hydrologie spatiale ne fait que commencer !
Merci à Yannice Faugère et Gérald Dibarboure pour leur relecture.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Pascale Ultré-Guérard, Directrice adjointe de la Stratégie, Centre national d’études spatiales (CNES)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.