La 6e édition du Baromètre de la Formation et de l’Emploi de Centre Inffo, réalisée avec l’institut CSA, consacre l’irruption de l’intelligence artificielle (IA) dans le quotidien des actifs français. Un basculement est en cours, mais si les bénéfices sont reconnus, les interrogations sur les conséquences humaines et professionnelles n’en sont pas moins vives.
Un outil désormais quotidien… mais ambivalent
Avec 68 % des actifs déclarant recourir à l’IA, la question de son intégration dans le monde professionnel n’est plus prospective : elle est factuelle. L’usage, d’abord fonctionnel, se concentre sur la recherche d’informations (46 %) et la rédaction de documents (43 %). L’IA agit ici comme un facilitateur, simplifiant des tâches jusqu’alors chronophages. Le ressenti est net : 76 % des actifs identifient un gain de temps, 65 % une hausse de productivité, et 60 % une ouverture à de nouvelles opportunités d’apprentissage.
Pour autant, cette efficacité perçue ne masque pas une série de préoccupations, bien ancrées dans les esprits. Une large majorité des actifs (77 %) redoute une dépendance excessive aux outils d’IA. Ils sont 71 % à craindre une réduction des interactions humaines, et 69 % à soulever des risques éthiques ou de qualité du travail. Le diagnostic est nuancé, parfois paradoxal : 43 % considèrent l’IA comme une opportunité, quand 27 % la perçoivent comme une menace. L’enthousiasme technologique ne suffit plus à faire écran à une lucidité croissante sur les effets systémiques de cette transition.
Une transformation structurelle du travail
Si les usages évoluent, les métiers aussi. La moitié des actifs (50 %) estiment que l’IA transforme leur activité professionnelle, et ce chiffre atteint 69 % chez les cadres, premières cibles d’une automatisation des tâches intellectuelles. Ce n’est plus seulement la nature des tâches qui est en jeu, mais leur contenu, leur rythme, leur finalité même. Le rapport à la compétence et à la valeur ajoutée humaine se redéfinit à l’aune de l’automatisation.
Face à cette mutation, un sentiment d’impréparation s’installe. 41 % des actifs déclarent se sentir mal informés sur les évolutions liées à l’IA. L’ampleur du phénomène dépasse visiblement les dispositifs d’accompagnement en place, trop partiels, trop inégaux, ou trop flous. Un déficit d’acculturation qui freine l’appropriation, et qui risque d’accroître les fractures existantes.
Former pour ne pas subir : l’enjeu de l’adaptation
Car l’enjeu n’est pas seulement technologique. Il est aussi, et surtout, éducatif. Si 53 % des actifs se disent bien informés sur la formation professionnelle, l’analyse détaillée du baromètre montre d’importantes disparités. Les jeunes actifs (18-34 ans) et les indépendants apparaissent mieux armés pour appréhender ces bouleversements. À l’inverse, les demandeurs d’emploi et les fonctionnaires témoignent d’un manque d’information sur les dispositifs d’accompagnement.
Cette inégalité d’accès à la formation face à l’IA dessine une ligne de fracture nouvelle : celle entre les travailleurs capables de tirer parti des outils et ceux qui les subissent. Comme le souligne Pascale Romenteau, directrice générale de Centre Inffo, « notre mission est d’accompagner les professionnels dans cette transition, en leur fournissant les informations et les formations nécessaires pour naviguer avec confiance dans cette nouvelle ère ». Encore faut-il que cette mission devienne réalité pour l’ensemble des catégories professionnelles.