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Shopping en ligne : comment Shein, Temu et les autres utilisent l’IA pour vous rendre accro

  Par  Ghassan Paul Yacoub , EDHEC Business School et Loïc Plé , IÉSEG School of Management Le succès rencontré par des applis comme Temu ou Shein (et d’autres) s’appuie sur des outils marketing très efficaces. L’intelligence artificielle est devenue un levier majeur pour fidéliser les clients… Au-delà du raisonnable ? Ces dernières années, plusieurs sites Internet à positionnement ultra low cost ont fait leur apparition sur le marché français. Shein, Temu ou encore Aliexpress, pour ne citer qu’eux, rebattent les cartes du commerce en ligne. D’après une étude menée par BPCD Digital & Payments en 2023, le nombre de cartes de paiements enregistrant au moins une transaction mensuelle sur un site discount a ainsi augmenté de 20 % entre le premier trimestre de 2022 et le premier trimestre de 2023. Rien d’étonnant si le site Temu compte 18,4 millions d’internautes français chaque mois, selon les données de la fédération du e-commerce et vente à d...

Shopping en ligne : comment Shein, Temu et les autres utilisent l’IA pour vous rendre accro

 

shein

Par Ghassan Paul Yacoub, EDHEC Business School et Loïc Plé, IÉSEG School of Management

Le succès rencontré par des applis comme Temu ou Shein (et d’autres) s’appuie sur des outils marketing très efficaces. L’intelligence artificielle est devenue un levier majeur pour fidéliser les clients… Au-delà du raisonnable ?


Ces dernières années, plusieurs sites Internet à positionnement ultra low cost ont fait leur apparition sur le marché français. Shein, Temu ou encore Aliexpress, pour ne citer qu’eux, rebattent les cartes du commerce en ligne. D’après une étude menée par BPCD Digital & Payments en 2023, le nombre de cartes de paiements enregistrant au moins une transaction mensuelle sur un site discount a ainsi augmenté de 20 % entre le premier trimestre de 2022 et le premier trimestre de 2023.

Rien d’étonnant si le site Temu compte 18,4 millions d’internautes français chaque mois, selon les données de la fédération du e-commerce et vente à distance (Fevad)). Et, désormais, les plates-formes low cost représentent 22 % des colis pris en charge par la Poste, contre 5 % il y a 5 ans. Cette hausse devrait se prolonger, puisque l’on anticipe une croissance du secteur à 6,5 % en 2025.

Bien entendu, l’inflation galopante en France ces dernières années explique pour partie cet engouement. Mais celle-ci n’est pas la seule explication de ces évolutions. L’usage de l’intelligence artificielle (IA), au cœur du business model de ces plates-formes low cost, permet de fidéliser les consommateurs.

Profilage comportemental

Ainsi, dans nos derniers articles sur Shein et Temu, nous avons analysé, notamment, la façon dont ces plates-formes œuvrent en coulisses. En analysant les données comportementales des utilisateurs, les outils d’IA utilisés par les plates-formes peuvent identifier les clients les plus susceptibles de réaliser un achat et ajuster les messages publicitaires que ceux-ci reçoivent.

Des algorithmes prédictifs analysent également le comportement des utilisateurs pour leur proposer des recommandations personnalisées. Cette approche vise à créer un besoin avant même qu’il n’apparaisse, en jouant sur le sentiment de rareté et d’urgence. C’est le fameux FOMO, l’acronyme de fear of missing out, défini comme la crainte de rater une occasion importante.

Ces algorithmes prédictifs existent depuis de nombreuses années, mais leurs nouvelles capacités « augmentées » par les outils IA ouvrent une nouvelle ère, s’adaptant encore plus finement et rapidement à chaque internaute. En bas de chaque page, figure ainsi une liste d’« articles également consultés » par les autres utilisateurs, qui ressemblent au produit recherché. Cette technique marketing classique est poussée plus loin : les algorithmes soumettent en permanence de nouveaux contenus au client pour étudier sa réaction. La moindre réaction (clic, ajout d’un article dans le panier…) est analysée en direct. L’algorithme, appuyé par l’IA, utilise ensuite ces données pour inciter l’utilisateur à acheter d’autres produits, qu’il n’était pas venu chercher en premier lieu.

Jouer pour mieux vendre

La gamification, aussi appelée ludification en français, désigne l’utilisation des mécanismes du jeu à des fins de marketing pour capter l’attention des clients.

Sur l’application Temu, les interfaces s’inspirent des jeux d’argent, connus pour être particulièrement addictifs : roue de la fortune, comptes à rebours mettant en avant des offres limitées dans le temps, cadeaux et codes promotionnels à débloquer… Ces stimulations constantes génèrent chez l’utilisateur un sentiment d’urgence, tout en perturbant le mécanisme biochimique du circuit de la récompense.

Les leviers psychologiques exploités par les plates-formes low cost sont redoutables. Elles agissent sur :

  • le besoin : grâce à des prix très bas qui incitent à acheter toujours plus de produits ;

  • le sentiment d’urgence, avec des comptes à rebours qui laissent croire que l’article ne sera bientôt plus disponible ;

  • la transformation de l’expérience shopping en un jeu.

Tarification dynamique

Toujours sur Temu, des mini-jeux intégrés à l’application mobile (Farmland, Fishland) promettent de gagner des objets gratuits et des coupons de réduction. Par ailleurs, des systèmes de points et de bons d’achat sont utilisés pour pousser les utilisateurs à retourner sur le site le plus souvent possible. Des notifications personnalisées sont également envoyées selon le moment propice, en fonction des données recueillies sur l’utilisateur (jour, heure, humeur supposée).

Par ailleurs, des algorithmes de tarification dynamique (qui ajustent les prix en fonction des variations de la demande) affichent des réductions dont la réalité est parfois loin d’être patente. Elles n’en sont pas moins psychologiquement puissantes sur les consommateurs.

Une hyperpersonnalisation en temps réel

Autre levier utilisé : l’hyperpersonnalisation de la plate-forme. Grâce à l’intelligence artificielle, qui collecte d’abondantes données relatives aux profils des utilisateurs, chaque client dispose d’une boutique en ligne différente, personnalisée selon son historique, ses goûts, ses préférences et ses aversions. De quoi augmenter la probabilité d’un ou de plusieurs achats impulsifs.

Mais la contribution la plus importante de l’IA au succès de Shein va bien plus loin, et précède l’arrivée des clients sur la plate-forme. En effet, Shein a développé ses propres outils d’IA et ses propres algorithmes pour collecter et analyser des données. Les utilisant pour suivre le comportement de ses clients sur Internet (sur et au-delà de son site), Shein s’appuie aussi sur ces outils pour analyser les résultats des recherches faites en ligne, les posts des réseaux sociaux, les sites de ses concurrents, etc.

Ces outils sont donc au cœur du succès de Shein, qui peut identifier les tendances (couleurs, prix, designs, etc.) en temps réel ou presque, et ajuster très rapidement la conception et la production de ses produits car l’ensemble de ces données est partagé avec ses fournisseurs, qui produisent l’intégralité des pièces vendues sur son site. Ceci est facilité par une stratégie privilégiant une production de petits volumes (100 pièces ou moins) pour tout nouveau produit.

France 24 2025.

D’importants enjeux éthiques

L’ensemble de ces éléments soulève évidemment des problèmes éthiques, eu égard à l’opacité des algorithmes utilisés et du manque de transparence quant à l’utilisation qui est faite des données recueillies.

Shein a d’ailleurs été condamnée en 2022 par la justice new-yorkaise pour ne pas avoir informé près de 40 millions d’utilisateurs d’un vol de données sur les utilisateurs intervenu en 2018. Comme nous l’avons évoqué plus haut, l’entreprise est aussi dans le viseur de la Commission européenne, qui lui reproche au moins six pratiques trompeuses ou abusives envers les consommateurs (faux rabais, informations mensongères, pression à l’achat, opacité de certaines informations, etc.).

Alors, jusqu’à quel point faut-il réguler l’intelligence artificielle dans la vente et le marketing en ligne ? Quelles limites doit-on poser ? Jusqu’où, enfin, doit aller la protection du consommateur ? Selon un rapport Statista de 2024, les systèmes de recommandation basés sur l’intelligence artificielle influencent près de 35 % des achats en ligne, ce qui démontre leur impact considérable. Ceci interroge sur la portée effective du Digital Services Act et de l’EU AI Act, pourtant supposés œuvrer pour une meilleure protection des consommateurs.The Conversation

Ghassan Paul Yacoub, Associate Professor of Innovation and Strategy, EDHEC Business School et Loïc Plé, DIrecteur de la Pédagogie - Full Professor, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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