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Téléphone, mail, notifications… : comment le cerveau réagit-il aux distractions numériques ?

  Par  Sibylle Turo , Université de Montpellier et Anne-Sophie Cases , Université de Montpellier Aujourd’hui, les écrans et les notifications dominent notre quotidien. Nous sommes tous familiers de ces distractions numériques qui nous tirent hors de nos pensées ou de notre activité. Entre le mail important d’un supérieur et l’appel de l’école qui oblige à partir du travail, remettant à plus tard la tâche en cours, les interruptions font partie intégrante de nos vies – et semblent destinées à s’imposer encore davantage avec la multiplication des objets connectés dans les futures « maisons intelligentes ». Cependant, elles ne sont pas sans conséquences sur notre capacité à mener à bien des tâches, sur notre confiance en nous, ou sur notre santé. Par exemple, les interruptions engendreraient une augmentation de 27 % du temps d’exécution de l’activité en cours. En tant que chercheuse en psychologie cognitive, j’étudie les coûts cognitifs de ces interruptions numériques : au

Internet et la mémoire du futur



« A bientot : le Musee de l'avenir », Baker, Nevada. Leighton Walter Kille/TCF, CC BY-ND
Par Francis Eustache, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)


Internet nous ferait-il perdre la tête ? Notre fonctionnement neurocognitif et, partant, nos comportements et nos pratiques sociales, est grandement impacté par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Un exemple parmi de nombreux autres : La perte de concentration résultant des sollicitations incessantes de nos téléphones portables et connectés, à grand renfort d’alertes, sonneries, émoticons, images animées… Quant aux conséquences sur la structure et le fonctionnement du cerveau, les travaux publiés sont moins consensuels. Pourtant, une réduction de l’épaisseur corticale dans les régions frontales a été montrée chez des enfants de 10/12 ans qui passaient 8 à 10 heures par jour devant des écrans.
Je souhaite ici traiter des conséquences que peut avoir l’usage de ces nouvelles technologies sur la mémoire en m’appuyant sur des publications récentes : The « online brain » : how the Internet may be changing our cognition un article de synthèse paru dans Word Psychiatry ; ainsi que deux ouvrages dont j’ai coordonné la publication. Avec mes collègues, nous insistons sur une composante de la mémoire, appelée « mémoire du futur », ou pensée épisodique future, qui nous permet de nous projeter dans le futur et contribue à notre créativité et à nos prises de décisions.
Pour commencer, soulignons qu’il est difficile d’étudier les effets des technologies numériques sur les cerveaux car les études qui en mesurent l’impact sur le fonctionnement neurocognitif et mnésique sont encore peu nombreuses. Il est en particulier compliqué d’examiner les choses à grande échelle en faisant des comparaisons de populations, puisque les groupes qui échappent à l’emprise d’Internet sont extrêmement peu nombreux dans le monde.
Et pourtant, l’état de nos cerveaux au regard de l’utilisation effrénée de ces nouvelles technologies peut être discuté à travers ce que l’on connaît des contraintes du fonctionnement cognitif. On sait bien, par exemple, qu’une attention soutenue est nécessaire pour de nombreux apprentissages ; et que les situations de tâches multiples ont un effet délétère sur la qualité de l’encodage en mémoire.

Internet et les écrans

Sur un plan psychophysique, l’usage intempestif des écrans peut nuire à la rétine chez les enfants, plus particulièrement chez les tous petits. L’exposition à leur lumière bleue provoque une chaîne de réactions biochimiques qui conduisent à la création de molécules toxiques dans les cellules photo-réceptrices de la rétine. De plus, l’utilisation des écrans en soirée, via la lumière bleue, réduit la quantité de sommeil mais aussi sa qualité et, in fine, perturbe la consolidation en mémoire, dépendante de l’activité des différents cycles du sommeil. Un écran n’est pas, en soi, un dispositif dangereux mais son temps d’utilisation doit être adapté en tenant compte de l’âge de l’utilisateur, tout particulièrement chez les plus petits.
Il s’agit aussi d’atteintes des fonctions cognitives et des capacités à interagir avec autrui. Ainsi, la Société canadienne de pédiatrie recommande d’éviter tout écran avant deux ans et de ne pas dépasser une heure par jour entre deux et cinq ans, temps d’utilisation qui sont pourtant largement dépassés dans ce pays. En France, l’Académie des sciences estime que, chez les enfants âgés de 6 à 12 ans, l’école élémentaire est le meilleur lieu pour engager l’éducation systématique aux écrans. Une éducation précoce de l’enfant à l’autorégulation est essentielle.

Kelly Sikkema /Unsplash. Photo by Kelly Sikkema on Unsplash

Au-delà de 12 ans, chez l’adolescent, les outils numériques possèdent une puissance inédite pour mettre le cerveau en mode hypothético-déductif, ce qui est positif pour l’exploration de solutions. En revanche, une consultation excessive d’Internet peut créer une pensée « zapping », rapide et superficielle, appauvrissant la mémoire et les capacités de synthèse personnelle. Or, chez les pré-adolescents et les adolescents, le temps réellement passé devant les écrans est difficile à évaluer.
Ces usages disproportionnés pourraient faciliter la survenue de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant, tout particulièrement de type attentionnel, dont la prévalence est en forte augmentation. Mais il y a aussi des effets indirects. La mauvaise alimentation, le surpoids, l’obésité en constituent quelques exemples. On parle d’« effet de déplacement » pour signifier que le temps occupé devant les écrans se substitue à d’autres activités : lire, courir, échanger, imaginer… Des chercheurs ont émis l’hypothèse que cette utilisation intempestive aurait une part de responsabilité dans l’incidence accrue des retards de langage et autres troubles neurodéveloppementaux, voire de la réduction de l’épaisseur corticale constatée chez des enfants d’une douzaine d’années passant huit heures par jour devant les écrans.

Samuel Zeller /Unsplash. Photo by Samuel Zeller on Unsplash

L’un des problèmes posés par ces nouveaux dispositifs de communication est la rupture de l’équilibre entre mémoire interne et mémoire externe. La mémoire interne, c’est celle de l’individu. La mémoire externe, artificielle, se développe via différents outils, comme l’écriture, l’imprimerie, l’audio, la vidéo, le numérique. Le concept de disruption renvoie à cette accélération de la place des outils techniques, à leur omniprésence, notamment des outils numériques, évolution rapide et massive que ne peuvent plus absorber les psychologies individuelles et les organisations sociales.
Cela crée l’impression d’un temps qui s’accélère, d’une difficulté à le maîtriser, à hiérarchiser les priorités, un sentiment d’être sans cesse dans l’urgence sans traiter les informations en profondeur et sans pouvoir ainsi les synthétiser, les assimiler.

Mode par défaut

Découvert par l’imagerie cérébrale, le réseau cérébral du mode par défaut s’active quand nous ne sommes pas en prise directe avec notre environnement, mais que nous nous tournons au contraire vers nos pensées internes : mémoire autobiographique, anticipation du futur, scénarios imaginés plus ou moins plausibles, mais aussi pensées créatives et fantasmagoriques. Il implique la synchronisation de différentes structures situées dans les régions médianes du cerveau. Ce réseau est important pour notre équilibre psychique et émotionnel ainsi que pour la cohérence de la mémoire. Il autorise la possibilité d’un voyage mental : vers le passé, vers le futur, vers autrui.
Le mode par défaut ne fonctionne pas seul mais interagit de façon dynamique avec d’autres réseaux cérébraux. Ainsi, son interaction avec celui chargé du contrôle exécutif, situé dans les régions antérieures du cerveau, est importante dans des moments de créativité ou dans des situations de choix stratégiques qui impliquent de tester de nouvelles hypothèses. Des travaux de neuro-imagerie suggèrent que la projection dans le futur est sous-tendue par le réseau du mode par défaut, en interaction avec d’autres réseaux cérébraux.
Or, ce réseau est de plus en plus malmené, notamment chez les enfants et les adolescents, du fait du contexte qui entoure l’utilisation des nouvelles technologies. Ce sont elles qui occupent la place, d’abord avec notre complicité, puis à nos dépens car nous ne faisons pas le poids face à ces outils hyperconnectés, dotés d’unités centrales de plus en plus puissantes. Un encadrement éthique est nécessaire pour réguler l’usage et les contenus des « mémoires externes », si l’on veut préserver les « mémoires internes ». Et donc les mémoires du futur des jeunes générations.

Protégeons la mémoire du futur

Il ne s’agit pas de sombrer dans le catastrophisme et le passéisme mais d’insister sur le fait que le progrès doit être mis à disposition de tous, notamment des plus fragiles. Il ne doit pas être réservé à une « élite » qui en tire des bénéfices à grande échelle en uniformisant et en manipulant les citoyens du monde. La mémoire des humains n’est pas seulement faite de passé. Composante essentielle mais mal connue, la mémoire du futur nous permet de nous projeter, d’anticiper, de prendre des décisions. Elle constitue le vecteur de notre libre arbitre. Il faut la protéger.The Conversation

Francis Eustache, Directeur de l'unité Neuropsychologie et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine, Inserm, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Université de Caen Normandie, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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