Par Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...

L’évaluation de l’ampleur de l’économie du piratage, qui s’est largement industrialisée ces dernières années, se structure aujourd’hui autour de trois grandeurs principales, à savoir :
- Le coût pour les victimes, qui correspond à un préjudice ou encore une destruction de valeur, une sorte de destruction intérieure brute (DIB, ou PIB négatif).
- Le revenu brut, c’est-à-dire les rentrées d’argent pour les pirates, autrement dit leur chiffre d’affaires.
- Le revenu net, en d’autres termes le bénéfice qu’ils en retirent, frais déduits.
80 à 100 millions d’euros volés par an
Une confusion usuelle entre ces indicateurs empêche de comprendre le coût réel de ces piratages et escroqueries. Prenons l’exemple des fraudes au président pour lesquelles l’Office central de la répression de la grande délinquance financière donnait une estimation de 485 millions sur cinq ans, soit une fourchette plancher de 80 à 100 millions volés annuellement aux entreprises françaises.Ces minimas, sur un sujet où l’omerta reste forte, laissent entrevoir un montant réel entre 100 et 200 millions, que l’on espère en baisse désormais par l’effet pédagogique des cas advenus.

Or ces montants seraient à tort interprétés comme étant le coût total pour les victimes, quant à lui différent ; ainsi pour cette société française ayant déposé son bilan après avoir subi une ponction sur ses comptes de 1,3 million d’euros, mais qui laisse un coût bien supérieur pour l’actionnaire, pour les employés mis au chômage et pour les collectivités locales.
Les 100 à 200 millions volés sur des comptes bancaires correspondent en fait au revenu brut des pirates, somme bientôt amputée lors d’une succession de transferts bancaires parcourant la planète. Ces étapes de noircissement puis blanchiment d’argent ne sont en effet pas gratuites. Les prestataires qui manient l’argent sale captent une part du gâteau, et l’achat des protections politiques ou mafieuses dans des pays où la spécialisation criminelle informatique tend vers son industrialisation reste également à prendre en compte.
Des rançons aux effets sur l’économie réelle
Cette cascade de chiffres allant du préjudice pour le piraté au bénéfice dépensable par le pirate, est de surcroît l’objet d’erreurs méthodologiques : au niveau des victimes, outre l’habituelle confusion entre perte de chiffre d’affaires et coût effectif de l’attaque, une erreur fréquente tient dans le fait d’additionner des coûts individuels pour croire obtenir des coûts collectifs.De manière prudente, l’évaluation chez les entreprises françaises des dégâts dus au chiffrement de données par des cryptovirus, parvient à un plancher annuel d’environ 2 milliards d’euros, dont une moitié provient des petites entreprises.
Toutefois ce chiffre compilateur de dégâts individuels ne prétend pas exprimer celui que subit la collectivité, car telle usine fermée deux semaines suite à attaque (y causant une perte) fera parfois le bonheur de son concurrent (lui procurant un gain), telle dépense de restauration du système d’information sera facturée par un prestataire informatique quant à lui bénéficiaire de l’évènement.
Se dévoile ainsi le paradoxe de ces piratages, qui à la fois attestent de l’imperfection de notre environnement numérique, mais procurent des revenus aux acteurs de cet environnement : le monde des informaticiens ne souffre pas directement des failles dont il est l’auteur. Il serait d’ailleurs intéressant de calculer si le revenu légal tiré de la correction de ces dysfonctionnements est ou non inférieur au revenu illégal des pirates utilisateurs de ces failles.

Des recettes faramineuses
Au niveau des revenus bruts issus des cryptovirus, une estimation faite pour les petites entreprises de moins de 50 personnes aboutit à une trentaine de millions d’euros versés sous forme de rançons, par an et sur la France, souvent par la collecte de petites sommes, typiquement de l’ordre de 3 000 euros.La mesure des versements effectués par les grandes entreprises est plus ardue. L’estimation se heurte à un mur de silence du fait notamment d’enjeux de réputation. Avec les réserves inhérentes à ces rétentions d’information, il est envisageable que le total des rançons approche la centaine de millions. S’y ajoutent les saisies effectuées par les fraudes au président – entre 100 et 200 millions comme on l’a vu – et celles d’un ordre de grandeur vraisemblablement voisin occasionnées par les fraudes aux sentiments actives sur les réseaux sociaux au détriment des personnes seules, âgées ou influençables.
Une réalité surprenante se découvre, qui hisse le revenu brut des diverses formes de piratage en centaines de millions d’euros par an, très probablement au-dessus de 500 millions si l’on y incorpore les autres formes de nuisance que sont le hameçonnage ou encore la fraude dite nigériane, laquelle sollicite de l’argent via des courriels trompeurs.
Une comparaison instructive sera fournie par les vins de Bourgogne, dont le volume d’exportation oscille lui aussi entre 500 et 900 millions d’euros selon les années ; avec pour distinguo que ce revenu brut des viticulteurs est amputé par des coûts de production conséquents, alors que celui des pirates l’est dans une ampleur moindre.

Des sorties d’argent sans contrepartie
Une sixième grandeur s’intègre ici au tableau, plus parlante même à l’échelle collective que les précédentes, en ce que la grande majorité de ces flux volés quitte la France. Ils constituent une sortie d’argent sans contrepartie. En quelque sorte, nous « achetons » des escroqueries, intégrables à nos importations dans la balance des échanges.Économiquement, le territoire français se voit vidé d’une somme qui ne participe plus à la construction de notre PIB, ni à la taxe sur le PIB qu’est la TVA, et fait défaut pour les rentrées fiscales. Prenons conscience qu’à l’échelle d’une décennie, plusieurs milliards d’euros seront ainsi exfiltrés de l’espace national.
Ce facteur de paupérisation est d’autant plus néfaste que cette confiscation se fait au sein des entreprises, qui seront alors tentées de compenser ce choc par une réduction des investissements dans leurs projets d’avenir (postes budgétaires faisant aisément office de variable d’ajustement lors de coups du sort).
Inversement, les pays de transit ou de destination de cette manne accroîent leur masse monétaire. Gilbert Chikli, condamné en 2015 par le tribunal correctionnel de Paris pour 7,9 millions d’euros de fraudes au président mais à l’époque installé à Ashdod en Israël, déclara l’année suivante que 90 % de ces revenus passaient par la Chine ou Hongkong, qualifiés par lui de « plaque tournante universelle pour toute forme de fraudes ». De tels montants irriguent leur économie et concourent à la croissance économique, favorisant à la fois les rentrées fiscales et la corruption du tissu social local.
À l’image de la spécialisation sur les fraudes aux sentiments connue par une ville (Bouaké) d’une région (celle de Gbèkè) d’un pays (la Côte d’Ivoire), le piratage affiche dès lors un autre visage : multiniveaux. L’échelon individuel s’interpénètre avec un réseau local de protection de la cybercriminalité. Cette implantation des pirates localement bénéficie d’un écosystème de soutien national. Mécaniquement la protection devient diplomatique. Enfin la nécessité de blanchir les sommes favorise la création d’un réseau international. En cela, le piratage est devenu un système.

Philippe Laurier, Responsable du séminaire intelligence économique, École polytechnique
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.