Accéder au contenu principal

Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques

Par  Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...

Cybercriminalité : les coûts des dégâts sous-estimés

Phénomène désormais ancré sur le marché mondial, la cybercriminalité sous toutes ces formes s'industrialise véritablement. Preechar Bowonkitwanchai / Shutterstock
Par Philippe Laurier, École polytechnique


L’évaluation de l’ampleur de l’économie du piratage, qui s’est largement industrialisée ces dernières années, se structure aujourd’hui autour de trois grandeurs principales, à savoir :
  • Le coût pour les victimes, qui correspond à un préjudice ou encore une destruction de valeur, une sorte de destruction intérieure brute (DIB, ou PIB négatif).
  • Le revenu brut, c’est-à-dire les rentrées d’argent pour les pirates, autrement dit leur chiffre d’affaires.
  • Le revenu net, en d’autres termes le bénéfice qu’ils en retirent, frais déduits.
Une quatrième grandeur s’ajoute, qui concerne le revenu net par tête – par pirate –, et qui oblige à tenir compte de leur organisation et des clés de répartition des bénéfices entre membres. Tenir compte donc du nombre de membres, exercice qui conduit à dépasser les descriptions fantasmées du petit génie de l’informatique solitaire – pour les cryptovirus – ou de l’escroc au beau parler – pour les fraudes au président (qui consistent à se faire passer pour le dirigeant d’une entreprise afin d’obtenir un paiement indu).

80 à 100 millions d’euros volés par an

Une confusion usuelle entre ces indicateurs empêche de comprendre le coût réel de ces piratages et escroqueries. Prenons l’exemple des fraudes au président pour lesquelles l’Office central de la répression de la grande délinquance financière donnait une estimation de 485 millions sur cinq ans, soit une fourchette plancher de 80 à 100 millions volés annuellement aux entreprises françaises.
Ces minimas, sur un sujet où l’omerta reste forte, laissent entrevoir un montant réel entre 100 et 200 millions, que l’on espère en baisse désormais par l’effet pédagogique des cas advenus.

Les montants dérobés par la technique de la fraude au président se chiffreraient entre 100 et 200 millions d’euros. David Evison/Shutterstock

Or ces montants seraient à tort interprétés comme étant le coût total pour les victimes, quant à lui différent ; ainsi pour cette société française ayant déposé son bilan après avoir subi une ponction sur ses comptes de 1,3 million d’euros, mais qui laisse un coût bien supérieur pour l’actionnaire, pour les employés mis au chômage et pour les collectivités locales.
Les 100 à 200 millions volés sur des comptes bancaires correspondent en fait au revenu brut des pirates, somme bientôt amputée lors d’une succession de transferts bancaires parcourant la planète. Ces étapes de noircissement puis blanchiment d’argent ne sont en effet pas gratuites. Les prestataires qui manient l’argent sale captent une part du gâteau, et l’achat des protections politiques ou mafieuses dans des pays où la spécialisation criminelle informatique tend vers son industrialisation reste également à prendre en compte.

Des rançons aux effets sur l’économie réelle

Cette cascade de chiffres allant du préjudice pour le piraté au bénéfice dépensable par le pirate, est de surcroît l’objet d’erreurs méthodologiques : au niveau des victimes, outre l’habituelle confusion entre perte de chiffre d’affaires et coût effectif de l’attaque, une erreur fréquente tient dans le fait d’additionner des coûts individuels pour croire obtenir des coûts collectifs.
De manière prudente, l’évaluation chez les entreprises françaises des dégâts dus au chiffrement de données par des cryptovirus, parvient à un plancher annuel d’environ 2 milliards d’euros, dont une moitié provient des petites entreprises.
Toutefois ce chiffre compilateur de dégâts individuels ne prétend pas exprimer celui que subit la collectivité, car telle usine fermée deux semaines suite à attaque (y causant une perte) fera parfois le bonheur de son concurrent (lui procurant un gain), telle dépense de restauration du système d’information sera facturée par un prestataire informatique quant à lui bénéficiaire de l’évènement.
Se dévoile ainsi le paradoxe de ces piratages, qui à la fois attestent de l’imperfection de notre environnement numérique, mais procurent des revenus aux acteurs de cet environnement : le monde des informaticiens ne souffre pas directement des failles dont il est l’auteur. Il serait d’ailleurs intéressant de calculer si le revenu légal tiré de la correction de ces dysfonctionnements est ou non inférieur au revenu illégal des pirates utilisateurs de ces failles.

La restauration du système après une attaque a aussi un coût. Rawpixel/Shutterstock

Des recettes faramineuses

Au niveau des revenus bruts issus des cryptovirus, une estimation faite pour les petites entreprises de moins de 50 personnes aboutit à une trentaine de millions d’euros versés sous forme de rançons, par an et sur la France, souvent par la collecte de petites sommes, typiquement de l’ordre de 3 000 euros.
La mesure des versements effectués par les grandes entreprises est plus ardue. L’estimation se heurte à un mur de silence du fait notamment d’enjeux de réputation. Avec les réserves inhérentes à ces rétentions d’information, il est envisageable que le total des rançons approche la centaine de millions. S’y ajoutent les saisies effectuées par les fraudes au président – entre 100 et 200 millions comme on l’a vu – et celles d’un ordre de grandeur vraisemblablement voisin occasionnées par les fraudes aux sentiments actives sur les réseaux sociaux au détriment des personnes seules, âgées ou influençables.
Une réalité surprenante se découvre, qui hisse le revenu brut des diverses formes de piratage en centaines de millions d’euros par an, très probablement au-dessus de 500 millions si l’on y incorpore les autres formes de nuisance que sont le hameçonnage ou encore la fraude dite nigériane, laquelle sollicite de l’argent via des courriels trompeurs.
Une comparaison instructive sera fournie par les vins de Bourgogne, dont le volume d’exportation oscille lui aussi entre 500 et 900 millions d’euros selon les années ; avec pour distinguo que ce revenu brut des viticulteurs est amputé par des coûts de production conséquents, alors que celui des pirates l’est dans une ampleur moindre.

Les vins de Bourgogne, dont le montant des exportations oscille lui aussi entre 500 et 900 millions d’euros selon les années. Georgii Shipin/Shutterstock

Des sorties d’argent sans contrepartie

Une sixième grandeur s’intègre ici au tableau, plus parlante même à l’échelle collective que les précédentes, en ce que la grande majorité de ces flux volés quitte la France. Ils constituent une sortie d’argent sans contrepartie. En quelque sorte, nous « achetons » des escroqueries, intégrables à nos importations dans la balance des échanges.
Économiquement, le territoire français se voit vidé d’une somme qui ne participe plus à la construction de notre PIB, ni à la taxe sur le PIB qu’est la TVA, et fait défaut pour les rentrées fiscales. Prenons conscience qu’à l’échelle d’une décennie, plusieurs milliards d’euros seront ainsi exfiltrés de l’espace national.
Ce facteur de paupérisation est d’autant plus néfaste que cette confiscation se fait au sein des entreprises, qui seront alors tentées de compenser ce choc par une réduction des investissements dans leurs projets d’avenir (postes budgétaires faisant aisément office de variable d’ajustement lors de coups du sort).
Inversement, les pays de transit ou de destination de cette manne accroîent leur masse monétaire. Gilbert Chikli, condamné en 2015 par le tribunal correctionnel de Paris pour 7,9 millions d’euros de fraudes au président mais à l’époque installé à Ashdod en Israël, déclara l’année suivante que 90 % de ces revenus passaient par la Chine ou Hongkong, qualifiés par lui de « plaque tournante universelle pour toute forme de fraudes ». De tels montants irriguent leur économie et concourent à la croissance économique, favorisant à la fois les rentrées fiscales et la corruption du tissu social local.
À l’image de la spécialisation sur les fraudes aux sentiments connue par une ville (Bouaké) d’une région (celle de Gbèkè) d’un pays (la Côte d’Ivoire), le piratage affiche dès lors un autre visage : multiniveaux. L’échelon individuel s’interpénètre avec un réseau local de protection de la cybercriminalité. Cette implantation des pirates localement bénéficie d’un écosystème de soutien national. Mécaniquement la protection devient diplomatique. Enfin la nécessité de blanchir les sommes favorise la création d’un réseau international. En cela, le piratage est devenu un système.The Conversation

Philippe Laurier, Responsable du séminaire intelligence économique, École polytechnique
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

D’IBM à OpenAI : 50 ans de stratégies gagnantes (et ratées) chez Microsoft

  Paul Allen et Bill Gates en 1970 à Lakeside School (Seattle). Microsoft naîtra cinq ans plus tard. Auteur inconnu/Wikimedia Par  Frédéric Fréry , ESCP Business School Insubmersible. Même la vague des Gafa n’a pas vraiment atteint Microsoft. Cinquante ans après sa création, soit une éternité dans le monde de la tech, la firme de Bill Gates et Paul Allen est toujours là et bien là. Retour sur ce qu’on appelle outre-Atlantique, une success-story avec quelques échecs. Cette semaine, Microsoft fête ses 50 ans. Cet article a été écrit sur Microsoft Word, à partir d’un ordinateur équipé de Microsoft Windows, et il sera vraisemblablement publié sur des plateformes hébergées par Microsoft Azure, notamment LinkedIn, une filiale de Microsoft qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est dire l’influence de cette entreprise qui, en 2024, a dégagé un bénéfice net de 88 milliards de dollars po...