Samuel Etienne |
À un peu plus d’un an de l’élection présidentielle, la classe politique a lancé l’offensive sur les nouveaux réseaux sociaux pour tenter de capter, sinon les votes, du moins l’attention des jeunes. Oubliez Facebook et Twitter, les spin doctors de l’Élysée, de Matignon et des états-majors des partis politiques ne jurent plus que par Instagram, TikTok ou Twitch. Ce dernier, réseau social préféré des gamers racheté en 2014 par le géant Amazon, vient de connaître une soudaine notoriété ces dernières semaines depuis que le journaliste Samuel Étienne y anime chaque jour depuis son domicile une longue revue de presse "La matinée est tienne". Twitch était jusqu’à présent utilisé par les joueurs de jeux vidéo pour se filmer et diffuser leurs parties en les commentant ; voilà que la plateforme est devenue un espace de débats en direct. C’est ce côté sans intermédiaire qui séduit évidemment les politiques – et les médias, désireux d’élargir leur audience, à l’instar de BFMTV qui a ouvert une chaîne, Le Télégramme, Challenges ou TF1 qui devrait suivre.
Hollande en défricheur
Première personnalité d’envergure à s’y être frotté : François Hollande. L’ancien président a répondu à l’invitation de Samuel Étienne et l’a retrouvé chez lui le 8 mars pour une interview sérieuse mais décontracté et décalée, au cours de laquelle François Hollande – sans masque et sans filtre – a multiplié anecdotes, confidences ("Mon plus grand regret, c’est de ne pas m’être représenté") et piques envers son successeur Emmanuel Macron. Les 2 h 30 de l’interview ont propulsé la chaîne à la première place mondiale de Twitch avec un pic à 84 000 personnes en direct. "L’essentiel, c’est la confirmation que Twitch, s’il est bien utilisé, peut se révéler un formidable outil d’information, d’échanges, de débats, en toute intelligence, dans le respect, dans la bienveillance. À suivre donc… avec peut-être d’autres surprises" se réjouissait Samuel Étienne dans la foulée, en annonçant la participation ce dimanche à 18 heures… du Premier ministre Jean Castex. L’ex-maire de Prades qui n’a pas la répartie de François Hollande ni les mêmes responsabilités puisqu’il conduit le gouvernement, parviendra-t-il à tirer son épingle du jeu ? Difficile à dire. Autre poids lourd politique que Samuel Étienne veut accrocher à son palmarès : Marine Le Pen. L’animateur de Questions pour un champion avait affirmé qu’il ne voulait pas donner la parole aux extrêmes, avant de faire machine arrière et d’inviter la patronne du RN, qu’il est prêt à recevoir, mais pas chez lui.
Politisation à double tranchant
La politisation de Twitch n’est en tout cas guère du goût de ses utilisateurs historiques, qui accusent Samuel Étienne de "pourrir" la plateforme. "J’entends la colère d’une partie de la communauté Twitch, pour qui cet espace devrait être préservé de la politique et plus encore de la parole gouvernementale [mais] Twitch est un espace de liberté [et] mon pari, c’est [qu’il] peut-être un outil de dialogue, d’échanges, de débats", a-t-il plaidé.
L’entrée du politique sur Twitch comme auparavant sur TikTok ou Instagram, tout comme le recours à des influenceurs (le 19 février, Emmanuel Macron a mis au défi McFly & Carlito, un duo de YouTubeurs parmi les plus influents de France) donne en tout cas un avant-goût de ce que sera la campagne présidentielle. Tous les partis et particulièrement La République en Marche peaufinent des stratégies numériques en ce sens, qui pourraient toutefois s’avérer contre-productives car jugées pas naturelles par les utilisateurs des réseaux sociaux. "Les politiques français détournent la raison d’être des réseaux sociaux", en en faisant un outil de communication, au lieu "d’en respecter la culture" faite d’échanges horizontaux. Une offensive qui passe mal, surtout "après avoir passé plusieurs années à parler des réseaux sociaux comme d’une menace", explique Philippe Moreau-Chevrolet, expert en communication politique et professeur à Science Po. Derrière le buzz grisant, les politiques pourraient donc essuyer de désagréables retours de bâton et goûter aux bad buzz.