Perseverance est le nom du rover qui, depuis le 18 février, explore la planète Mars. Mais c’est assurément aussi la qualité d’un autre explorateur bien connu des Français : Jean-Louis Etienne. Le médecin tarnais a, en effet, dévoilé hier les détails de sa nouvelle expédition sur laquelle il travaille depuis dix ans : Polar Pod. Ce navire révolutionnaire doit partir en 2023 explorer l’océan austral qui entoure l’Antarctique – ce vaste continent blanc qui fait 28 fois la dimension de la France – bravant les 50es rugissants si redoutés des marins, pour effectuer des mesures jamais réalisées jusqu’à présent.
Inspiré par le FLIP américain
« Aujourd’hui, c’est le grand jour, l’aboutissement de dix ans de travail », concédait hier non sans émotion celui qui traversa l’Antarctique en chien de traîneau du 25 juillet 1989 au 3 mars 1990 lors de la Transantarctica. Polar Pod, il y pense depuis longtemps et avait imaginé dans un premier temps un drôle de navire avec un mât central immergé stabilisé par une immense chambre à air de 100 mètres de diamètre. Irrréaliste lui répondirent les ingénieurs. C’est finalement aux Etats-Unis, à San Diego, que Jean-Louis Etienne va trouver la solution en observant le FLIP (FLoating Instrument Platform), une plateforme dérivante de la flotte océanographique américaine, toujours en activité après 60 ans au service de la recherche et qui fut durant la guerre froide un redoutable détecteur de sous-marins. Tracté à l’horizontale jusqu’à la zone à étudier, le FLIP se redresse alors à la verticale et devient une plateforme d’observation.
« On a adopté le même principe pour le Polar Pod », raconte Jean-Louis Etienne qui détaille les caractéristiques de ce navire sans moteur hors normes : 100 mètres de longueur, un lest de 150 tonnes à 80 mètres sous la surface pour l’équilibrer, une cabine de trois étages à 10 mètres au-dessus de l’eau capable d’accueillir 8 personnes (3 marins, 4 scientifiques et un cuisinier) et des voiles pour permettre à la structure dérivante sur le courant circumpolaire Antarctique d’éviter de potentiels icebergs. Les équipages seront relevés tous les deux mois depuis un navire spécialement conçu pour l’expédition qui doit durer trois années, de décembre 2023 à décembre 2026, soit deux tours du monde…
Tandis que Jean-Louis Etienne multipliait les maquettes avec des ingénieurs – le Polar Pod doit résister à une vague cinquantennale de 38 mètres qui n’a jamais été observée jusqu’à présent – le potentiel scientifique d’un tel navire a rapidement séduit les chercheurs de nombreuses disciplines. Aujourd’hui, 43 instituts de 12 pays sont parties prenantes, dont les chevilles ouvrières que sont l’Ifremer, le CNRS et le CNES.
« Mon modèle c’est Magellan »
Le plus difficile, reconnaît Jean-Louis Etienne, aura été la recherche de financements. « Mon modèle c’est Magellan, il a mis 7 ans pour financer ses expéditions et a changé de nationalité », plaisantait hier « Papy Pôle ». Qu’on se rassure Jeran-Louis Etienne ne changera pas de nationalité et le Polar Pod et son bateau de liaison battront pavillon français. Financé par un partenariat public-privé, Polar Pod est entré dans la délicate phase de l’appel d’offres, piloté par l’Ifremer. La construction doit commencer en janvier 2022 pour une mise à l’eau en juin 2023. Jean-Louis Etienne compte bien monter à bord, peut-être pour fêter son 80e anniversaire en 2026 et célébrer cette nouvelle aventure que n’aurait pas renié Jules Vernes.
Expériences scientifiques et grand public
Le Polar Pod va permettre de mener des expériences scientifiques dans de très nombreux domaines sur un territoire, l’océan Austral, qui reste encore très peu connu. David Antoine, chercheur au CNRS et coordinateur depuis 6 mois du projet scientifique, a détaillé hier les grands axes sur lesquels travaillera le Polar Pod, qui va permettre de réaliser des mesures durant les quatre saisons (contrairement à aujourd’hui) et sans perturber l’environnement puisqu’il n’a pas de moteur.
Le premier domaine de recherche concerne les échanges entre l’océan et l’atmosphère (chaleur, gaz, matière…). Le 2e domaine concernera l’observation satellitaire. « Les satellites d’observation ont besoin de pouvoir se calibrer avec des mesures sur place. Ça intéresse les agences spatiales. » Troisième domaine, l’étude de la biodiversité « des organismes unicellulaires jusqu’aux cétacés. » Enfin le 4e domaine s‘intéressera à l’impact des activités humaines (polluants, plastiques…).
L’expédition aura aussi un volet de vulgarisation scientifique à destination des scolaires et du grand public. Piloté par Séverine Alvain, chargée de médiation scientifique au CNRS, ce volet passera par des PolarPodibus qui iront à la rencontre du public en France avec notamment des lunettes de réalité virtuelle. Des expositions dans des musées sont également prévues.