Accéder au contenu principal

Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques

Par  Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...

Éducation aux médias et à l’information : la généralisation, et après ?

media


Par Divina Frau-Meigs, Auteurs historiques The Conversation France

Depuis 2018, l’éducation des jeunes et des adultes aux médias numériques et à l’information en général fait l’objet d’un regain d’intérêt remarquable, dû à l’urgence de la lutte contre les infox et la circulation des discours de haine. Cela s’est traduit par une salve de textes officiels.

Devenue une obligation pour les États membres dans la Directive service des médias audiovisuels (DSMA), l’« Éducation aux médias et à l’information », ou « EMI », hors et dans l’école, est mentionnée comme un des piliers du Plan d’action contre la désinformation de l’Union européenne. L’OTAN en a fait l’objet de sa « diplomatie culturelle ».

En France, certains rapports mentionnent l’EMI dans leurs recommandations finales, comme celui des États généraux du numérique pour l’éducation en 2020 ou le rapport « Lumières à l’ère numérique » en 2022. D’autres en font leur centre d’intérêt principal : c’est le cas avec le Conseil économique social et environnemental en 2019, avec le CLEMI (le centre chargé de l’éducation aux médias dans l’Éducation nationale) en 2021, et, la même année, avec l’ARCOM (ex-CSA) (l’autorité publique de régulation de la communication audiovisuelle).

Cette frénésie de rapports culmine en 2022, avec la publication au Bulletin officiel de l’Éducation nationale d’une circulaire relative à la « généralisation » de l’Éducation aux médias et à l’information au sein du système éducatif. Ce texte confirme l’importance de l’EMI et son rôle transversal dans les disciplines. Il nomme dans chaque académie un référent, à l’appréciation des recteurs, (ce qui existe déjà via le CLEMI), et diffuse un Vademecum de référence en EMI qui opère une légère mise à jour, en intégrant la question des données personnelles et de leur usage, enfin !

La question des moyens

Cette généralisation a pour valeur d’ancrer définitivement le vocable EMI, « éducation aux médias et à l’information » au lieu de l’expression « éducation aux médias », pour s’aligner sur l’Unesco et ses recommandations, formulées dans l’Agenda de Paris en 2007, ainsi que les préconisations des chercheurs, qui invitent à bien intégrer la notion d’information dans la stratégie numérique.

Ainsi se réalisent les souhaits des tenants historiques de l’EMI en faveur d’une approche transversale, et la validation de certaines valeurs chères à cette éducation, en lien à la citoyenneté et la démocratie. Cette reconnaissance généralisée est une réelle avancée et marque l’ambition de la France, la plaçant dans les pays en tête en Europe en la matière.

Reste que les moyens de l’ambition ne sont pas précisés dans la circulaire. Il n’y a pas non plus de cadre clair pour l’EMI, qui passerait par un horaire dédié dans chaque cycle scolaire. L’existant est confirmé, notamment l’insertion dans d’autres disciplines. Des rajouts sont opérés à la marge, comme le déploiement de web radios dans les collèges. Des oublis sont manifestes au centre comme le rôle des professeurs-documentalistes, dont la mission première est l’EMI… depuis 2013. Ceux-ci ont par ailleurs protesté auprès du ministre de tutelle, dans la foulée de la circulaire.

Malgré toute l’attention et toutes les préconisations, l’EMI reste une « éducation à » et non un enseignement, contrairement aux enseignements transversaux récemment créés que sont l’EMC (Enseignement moral et civique) et les SNT (Sciences numériques et technologie). Sans ce statut, comment donner aux enseignants la motivation de s’y former et aux instances d’évaluation de la mettre au rang des compétences mesurées ?

Enjeux de citoyenneté numérique… et d’employabilité

Le risque est que l’EMI se dilue dans les disciplines et qu’on ne puisse réellement mesurer son efficacité. Il tient également au manque de clarification par rapport au brouillage actuel entre EMC et EMI, l’enseignement moral et civique (EMC) reprenant à son compte un certain nombre de thématiques de l’éducation aux médias et à l’information (la liberté d’expression chère à Samuel Paty par exemple).

Or l’EMI ne prône pas la morale mais l’éthique : l’éthique des médias tout comme l’éthique de l’IA et des algorithmes. C’est-à-dire qu’elle permet la mise en œuvre d’une citoyenneté numérique par les usages et par les pratiques, pour retrouver par leur biais les valeurs et les principes démocratiques. Le risque enfin réside dans le manque de recherche et de développement à son sujet, faute d’un espace en surplomb où elle puisse être pensée comme une discipline, avec ses concepts, son périmètre, ses méthodologies, ses controverses…

L’opportunité manquée la plus flagrante est celle de l’ouverture de l’Éducation nationale aux autres acteurs de l’EMI, notamment ceux qui relèvent du ministère de la Culture. Celui-ci s’est mobilisé depuis 2018, avec un plan de soutien finançant toutes sortes d’initiatives. Un grand nombre d’acteurs se sont mobilisés, comme les journalistes, les bibliothécaires, les DRAC… sans parler des acteurs de la société civile, comme les Céméa et la Ligue de l’enseignement, ou les autorités indépendantes que sont l’ARCOM et la CNIL.

Tous ces acteurs de l’EMI sont une chance de renouvellement de l’école, certains étant appelés à intervenir en milieu scolaire. Ils rendent facilement compréhensible l’approche multi-acteurs, l’interdisciplinarité, la complémentarité des compétences… Ils promeuvent aussi une EMI tout au long et au large de la vie, pour faire face à l’évolution rapide des médias dans le numérique et permettent d’atteindre des adultes en besoin de requalification ou tout simplement de culture numérique.

L’information dans tous ses états

Plusieurs facteurs de diffraction se conjuguent, pour reprendre la métaphore de diffusion des ondes, pour expliquer la perte de densité de l’onde de choc et la baisse d’impact. Un certain nombre d’obstacles et d’interférences entravent une partie de la propagation de l’EMI comme enseignement :

  • une désarmante difficulté de la « forme scolaire » à inclure les pédagogies de projets et les thématiques EMI dans des disciplines fondées sur des programmes déjà très complets ;

  • une réelle réticence à penser l’« information » dans tous ses états, que ce soit par l’actualité, la documentation ou la donnée, sans oublier l’information « sociale » véhiculée par les séries, les selfies, les stories et autres streams, véritable angle mort de l’EMI actuelle, loin des modes de consommation des jeunes ;

  • une craintive circonspection à s’emparer à bras le corps des compétences du XXIe siècle, pour beaucoup associées au traitement de l’information, et de regarder vers l’avenir, que ce soit celui de la désinformation, de l’éducation ou des médias, qui passe par l’IA, les algorithmes, les espaces immersifs, etc. Cela implique de penser l’EMI dans le cadre de l’employabilité et pas seulement de la citoyenneté ;

  • une séductrice solution pour les personnalités politiques afin de promouvoir la lutte contre la désinformation. Or l’EMI promeut également la créativité, l’expression personnelle et la participation tout en formant à la sécurité en ligne, à la consommation avertie et à la résolution de conflits.

Le problème épistémique, celui du sens, est profond : il s’inscrit dans la crise de la confiance en la connaissance et la remise en cause de la vérité traitée comme une opinion parmi d’autres. Il relève aussi du déficit en culture générale des bases numériques et médiatiques.

L’EMI paie les frais de cet espace numérique prolixe qu’est l’Internet, qui allie rationnel et irrationnel, information et opinion, divertissement et formation. Elle est elle-même devenue un espace paradoxal dans lequel les besoins en littératie numérique et médiatique de base le disputent aux besoins en compétences transversales.

L’EMI face au numérique comme fait culturel complexe

C’est en cela que l’EMI a besoin d’opérer sa propre mutation pour entrer de plain-pied dans les compétences du XXIe siècle, notamment en évoluant vers la maîtrise des effets et usages des données, des algorithmes et de l’IA, et pas seulement de la presse. Il faut en effet qu’elle soit conçue comme une compétence transversale et comme un enseignement transdisciplinaire. Au même titre que savoir lire, écrire et compter sont enseignés pour eux-mêmes et servent aussi tant aux mathématiques qu’à la biologie ou l’histoire.

Il faut désormais savoir naviguer et publier en ligne, faire preuve d’esprit critique pour discerner l’information de qualité, créer des contenus pertinents et innovants, assurer sa présence en ligne, fonctionner en mode projet, résoudre des problèmes complexes, voire des conflits (dans le cas de la désinformation). Ces compétences s’ajouteront à celles nécessaires en conception, design et programmation pour les employés et les citoyens de l’ère numérique, comme le signale le rapport WEF, « The Future of Jobs ».

L’EMI participe de la culture générale indispensable pour combler le déficit actuel de compréhension du numérique et lui donner une dimension éthique et humaniste, sans se désengager du combat des valeurs démocratiques et émancipatrices. Les besoins sont énormes pour assurer le bien-être en ligne, la connaissance des responsabilités et droits numériques et anticiper au lieu de subir, comme l’ont démontré les perturbations profondes de la crise sanitaire, la désinformation, et la formation à distance pour tous. Et cela passe par l’école car celle-ci reste la plus grande ressource pour atteindre tous les territoires et aplanir les disparités sociales et économiques.

Les acteurs de l’EMI, dans et hors l’école, doivent continuer à se structurer, tout en gardant leur diversité et en développant leurs complémentarités. Ils ont besoin d’un espace où penser et développer l’EMI, à la manière numérique, sur une base de co-régulation, multi-sectorielle, qui ne reproduise pas les silos pré-numériques. Moins une cellule interministérielle comme le préconise le rapport Lumières à l’ère numérique qu’une instance indépendante en réseau. Ce pourrait être une plate-forme commune et décentralisée à la fois pour une coordination constructive et participative. Peut-être la solution est-elle chez les jeunes, avec une « app » EMI. Le tout financé par une petite fraction de l’impôt de 15 % sur les géants du numérique, pour se donner des moyens à la hauteur des enjeux.The Conversation

Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

D’IBM à OpenAI : 50 ans de stratégies gagnantes (et ratées) chez Microsoft

  Paul Allen et Bill Gates en 1970 à Lakeside School (Seattle). Microsoft naîtra cinq ans plus tard. Auteur inconnu/Wikimedia Par  Frédéric Fréry , ESCP Business School Insubmersible. Même la vague des Gafa n’a pas vraiment atteint Microsoft. Cinquante ans après sa création, soit une éternité dans le monde de la tech, la firme de Bill Gates et Paul Allen est toujours là et bien là. Retour sur ce qu’on appelle outre-Atlantique, une success-story avec quelques échecs. Cette semaine, Microsoft fête ses 50 ans. Cet article a été écrit sur Microsoft Word, à partir d’un ordinateur équipé de Microsoft Windows, et il sera vraisemblablement publié sur des plateformes hébergées par Microsoft Azure, notamment LinkedIn, une filiale de Microsoft qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est dire l’influence de cette entreprise qui, en 2024, a dégagé un bénéfice net de 88 milliards de dollars po...