Accéder au contenu principal

Les questions que pose l'Interdiction de TikTok aux fonctionnaires français

  Avis de Constantin Pavléas, avocat spécialisé en droit des technologies, fondateur et dirigeant du cabinet Pavléas Avocats et responsable d'enseignements à l'école des Hautes Études Appliquées du Droit (HEAD). Le gouvernement français vient d’emboiter le pas à d’autres pays occidentaux (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni..) et organisations internationales (Commission européenne) et interdit à ses fonctionnaires l’installation et l’utilisation de certaines applications « récréatives » sur leurs téléphones professionnels, tels que TikTok, de streaming (telles que Netflix) ou de jeux (tels que Candy Crush),. Les raisons de cette interdiction invoquées par le gouvernement sont les « risques en matière de cybersécurité et de protection des données des agents publics et de l’administration. »   Depuis quelques mois déjà, TikTok était sur la sellette aux Etats-Unis qui soupçonnent le réseau social chinois d’être un cheval de Troie des autorités chinoises. L’interdiction de TikTok sur

Désinformation politique : quelques clés pour se protéger

 

computer
Les auteurs de manipulations profitent d'un environnement informationnel dense dans lequel il est difficile de prendre du recul face aux flots de messages. Hippopx, CC BY-SA
Par Yannick Chatelain, Grenoble École de Management (GEM) et Jean-Marc Huissoud, Grenoble École de Management (GEM)

En Chine, le pouvoir dispose de plus de 280 000 « fonctionnaires » rémunérés pour « fabriquer » l’opinion publique. Leur appellation ? La « water army » (l’armée de l’eau) créée en 2010. Cette « armée » se compose d’utilisateurs et utilisatrices – qui peuvent faire partie de firmes privées – rémunérés pour publier des commentaires sur des sites web en chinois selon les directives gouvernementales. Ils opèrent généralement sur les plates-formes en ligne les plus prisées comme le site de microblogage Sina-Weibo, la messagerie WeChat ou encore Taobao, le principal site de vente en ligne du pays.

Cette « water army » s’adonne ainsi à la pratique de « l’astroturfing » des approches par saturation de messages notamment sur les réseaux sociaux : utilisation de bots, multiplication de faux comptes, etc. La démarche est analogiquement proche de certaines techniques de « black hat hackers », ou d’hacktivistes. Certains inondent des serveurs de requêtes pour les bloquer (attaque DDos), d’autres défacent un site pour donner à voir leur revendication sur la page d’accueil du site ciblé. Dans le cas qui nous préoccupe, la saturation fait penser à des mouvements de masse.

Si l’astroturfing n’est pas récent, il a pris ces dernières années une certaine ampleur. Ce terme que l’on peut traduire par « pelouse synthétique », désigne une opération qui vise à donner la fausse impression d’un comportement spontané ou d’une opinion populaire. Elle n’est pas l’apanage du monde politique, comme nous allons l’évoquer, des firmes y ont recours, cela peut être pour lancer un produit, tout comme pour redorer son image, contrer les critiques, voire même disqualifier par tous moyens la science à l’instar de la firme Monsanto ce qu’a révélé en 2017 les « Monsanto Papers », cette dernière a entre autres chargé une agence de consultant afin de fabriquer des e-mails et créer le « Center for Food and Agricultural Research », un faux institut dont la raison d’être était d’attaquer les critiques de Monsanto.

Cependant, penser que « l’astroturfing politique » serait réservée à des régimes autoritaires et/ou dictatoriaux, comme la Chine ou la Russie avec son usine à trolls aux ordres du Kremlin localisée à Saint-Pétersbourg, constituerait une erreur.

Ainsi en France, lors des dernières élections présidentielles de 2022, le journal Le Monde révélait comment « des militants d’Éric Zemmour gonflaient artificiellement la présence de leur candidat sur Twitter ». Les journalistes avaient collecté des centaines de milliers de tweets pro-Zemmour… peu en rapport avec sa réelle « force de frappe » sur les réseaux.

« Pourquoi est-ce que je reçois ce message ? »

Comment, dès lors, le citoyen peut-il se « protéger » de ces tentatives de manipulation et détecter une campagne d’astroturfing ? Voici quelques clés :

  • Le message est récurrent.

  • La campagne utilise de nombreux canaux de diffusion, et de nombreux identifiants sur une même plate-forme (Twitter par exemple, bien que les réseaux sociaux interdisent officiellement cette pratique).

  • Elle se caractérise par la répétition des mêmes séquences de vocabulaire via des messages plus ou moins simultanés qui émanent de sources diverses sans connexions visibles entre elles.

Parfois, le message cite comme source des messages similaires, renforçant l’idée que l’idée véhiculée est partagée par beaucoup de gens alors que les sources se renvoient les unes aux autres et sont similaires en contenu. Par ailleurs, la majorité des tentatives de réponse à l’émetteur se soldent par un échec à le joindre, dans des proportions bien plus importantes que la normale.

La temporalité des messages, très rapides, est aussi à prendre en considération, de même que les campagnes de retweets (qui durent plus longtemps que la moyenne), éléments difficiles à détecter sans des moyens informatiques conséquents. Dans l’exemple ci-dessous, le 20 avril 2022, comme le pointe l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) le compte de @Samuel_Lafont (Stratégie numérique et levée de fonds pour @Reconquete_off @ZemmourEric) qui compte à ce jour environ 54 000 abonnés a partagé une pétition 24 fois en moins de cinq minutes.

L’astroturfing joue aussi sur la crainte de déclassement informationnel de son auditoire, c’est-à-dire l’angoisse plus ou moins forte d’être passé à côté de quelque chose d’important, ou pire, d’avoir été jusque-là manipulé par une version propagandiste de l’information. Cela renforce le climat de défiance vis-à-vis des médias d’information et l’isolement des personnes, connectées au monde via les réseaux sociaux, mais déconnectés dans les faits de la vie sociale.

En se posant les bonnes questions, il est possible de comprendre les intentions des auteurs : imposer un agenda à l’opinion. Par ailleurs, l’astroturfing se caractérise par la présence d’un sponsor généralement identifiable ou que l’on peut déduire.

Une mesure de « bonne hygiène informationnelle » est donc de toujours se poser la question du : pourquoi est-ce que je reçois ce message, maintenant, par ce biais, de quelqu’un que je ne connais en principe pas ?

Fonctionnement par saturation

Certes, comme toute propagande, l’astroturfing ne peut pas convaincre ceux qui ne veulent pas l’être. Tout au plus peut-elle induire un doute chez des personnes déjà peu enclines à prendre position, ou chez la petite minorité qui chérit l’information hors système, autrement dit les personnes ayant un penchant pour le complotisme et l’entretien d’une bulle informationnelle personnelle déconnectée de la vie sociale réelle. Ce qui relève d’une des pathologies de l’information.

De façon analogique à la propagande, elle ne peut fonctionner que par saturation, dans un environnement informationnel dense dans lequel les personnes n’ont pas le temps ou la volonté de prendre du recul face aux messages qui leur parviennent. Isolée du flux informationnel, elle perd toute pertinence. D’où sa relative innocuité pour les personnes investit dans une recherche d’information focalisée et à fort investissement cognitif et d’attention“ Political Communication Volume 37, 2020)

Éviter le point critique

Toutefois, par-delà ses « faiblesses », son efficacité ne doit pas être sous-estimée, surtout dans les périodes de défiance généralisée, de doute sur l’avenir dans de multiples dimensions, ce qui est le contexte actuel et général de nos sociétés. Les auteurs de campagnes d’astroturfing bénéficient en outre d’un appauvrissement réel des cadres conceptuels et de la richesse de vocabulaire des populations, même à un niveau décent d’éducation, et de la tendance généralisée, du fait de la nature même des médias et de la masse d’information à disposition, à favoriser les réactions émotionnelles (la désormais omniprésente indignation) sur le rapport critique à l’information.

Le véritable risque survient lorsque la campagne d’astroturfing atteint le point critique à partir duquel elle s’entretient elle-même du fait de sa reprise par les récepteurs d’origine, indépendamment de l’action de ceux qui ont initié la campagne ; elle devient alors une rumeur, un élément de sens commun qu’il n’est plus possible d’endiguer ou de détecter facilement. Elle a alors atteint son but de transformation d’une partie de l’opinion publique.

Cependant, tenter de censurer ces pratiques n’est pas nécessairement une bonne idée. D’abord parce que comme cela a été dit, virtuellement tous les acteurs politiques et géopolitiques l’utilisent plus ou moins, pas toujours dans de « mauvaises » intentions, et que toute censure serait, par défaut, partielle et orientée vers les intérêts des groupes censeurs. Il en résulterait d’ailleurs un amoindrissement du nombre d’acteurs, renforçant le pouvoir de ceux restant, en effet, rappelons que l’une des faiblesses de l’astroturfing est que la multiplication des campagnes participe à l’affaiblissement de leur impact.

Pour conclure, il faut apprendre à vive avec, avoir conscience de ces techniques « asymétriques » d’information en espérant que, comme toutes les méthodes de marketing, politique ou non, elles produisent à la longue une courbe d’apprentissage des utilisateurs d’Internet qui les rendent de plus en plus inopérantes.


Les auteurs souhaitent au travers cet article rendre hommage à Jean-François Fiorina un homme engagé, passionné de géopolitique, longtemps directeur adjoint de GEM, nommé en septembre 2022 directeur général de l’Ipag qui nous a quittés brutalement le 16 novembre 2022, à Nice.The Conversation

Yannick Chatelain, Professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM) et Jean-Marc Huissoud, Professeur et chercheur, Relations Internationales Stratégies d'internationalisation, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Univers parallèles et mondes virtuels : la guerre des métavers est commencée

  Une partie de poker dans le métavers (capture d'écran de la vidéo “Le métavers et comment nous allons le construire ensemble” sur YouTube) Par  Oihab Allal-Chérif , Neoma Business School Le 17 octobre 2021, Mark Zuckerberg a lancé les hostilités de manière assez théâtrale, comme s’il défiait ses concurrents d’en faire autant. Afin de concrétiser son rêve d’enfant, le métavers, il a décidé de mettre en œuvre des moyens colossaux : 10 000 ingénieurs hautement qualifiés seront recrutés en Europe dans les 5 prochaines années. Cette annonce a été faite quelques jours avant celle du changement de nom du groupe Facebook en Meta , le 28 octobre, démontrant ainsi l’engagement total du fournisseur de réseaux sociaux dans la transition vers le métavers. Le 22 juillet 2021, dans une interview à The Verge , le créateur de Facebook racontait : « Je pense à certains de ces trucs depuis le collège quand je commençais tout juste à coder. […] J’écrivais du code

Sans Sauvegarde, pas de cyber-résilience

Par Alexandra Lemarigny, directrice commercial Europe du Sud Opentext Security Solutions Les études diverses sur les habitudes de sauvegarde des entreprises et leurs collaborateurs sont sans équivoque : très majoritairement, elles ne s’attardent vraiment sur ces questions de sauvegarde ou de récupération qu’en cas d’incidents. Pourtant la sauvegarde est l’élément majeur des dispositifs de cyber-résilience, à savoir la capacité à rester opérationnel, même face aux cyberattaques et à la perte de données. La sauvegarde n’est pas suffisamment considérée Dans les faits, force est de constater que la sauvegarde n’est pas envisagée dans son entièreté par les entreprises qui n’ont pas eu à subir d’accidents et il est fréquent qu’elles ne sauvegardent pas les éléments les plus pertinents. A titre d’exemples une entreprise peut ne sauvegarder qu’un ou deux serveurs, ou un élément qu’elle a identifié comme critique quelques années auparavant. Certaines ne tiennent pas compte de l’évolution de leu

Implants cérébraux : la délicate question de la responsabilité juridique des interfaces homme-machine

Dans le film Transcendance , de Wally Pfister, sorti en 2014, le héros mourant transfère son esprit dans un ordinateur quantique. Wally Pfister, 2014 Par  Elise Roumeau , Université Clermont Auvergne (UCA) Depuis quelques années, Elon Musk ne cesse de faire des annonces relatives à des avancées technologiques. Voitures autonomes , voyages interplanétaires , interface homme-machine , achat du réseau social Twitter… rien ne semble arrêter l’homme d’affaires. Aucun obstacle technique, géographique, physiologique ne lui semble infranchissable. Pourtant, ses projets pourraient, à court terme, poser de véritables difficultés du point de vue juridique. La recherche d’une fusion entre le cerveau et l’intelligence artificielle Avec Neuralink, l’un des objectifs visés par Elon Musk est de créer une interface entre l’humain et la machine . À plus ou moins court terme, le projet porte sur le développement d’implants cérébraux pour pallier des troubles neur

ChatGPT et cybersécurité : quels risques pour les entreprises ?

Analyse de Proofpoint Les plateformes de génération de texte tel que ChatGPT permettent de créer du contenu de qualité, instantanément, gratuitement, et sur n’importe quel sujet. Comme le confirme le lancement de Bard par Google, nous sommes désormais entrés dans une course à l’IA, ou chaque géant du web cherche à posséder la meilleure solution possible. Si l’avancée technologique est majeure, le risque notamment pour la cybersécurité des entreprises est indéniable. Comment lutter contre des campagnes de phishing de plus en plus ciblées et sophistiquées, maintenant alimentées par des technologies capables de parfaire encore plus la forme et la teneur d’un email malveillant ? En quelques mots, ChatGPT offre une ingénierie sociale très performante, mais une automatisation encore limitée. Concernant la détection de la menace par rançongiciels, comme l’explique Loïc Guézo, Directeur de la stratégie Cybersécurité chez Proofpoint, « Bien que les chatbots puissent générer du texte pour le cor

Sondage : quatre Français sur dix craignent le vol d'identité

Selon un sondage représentatif commandé par le fournisseur de messagerie GMX , de nombreux internautes français sont préoccupés (31%), voire très inquiets (9%), d'être victimes d'un vol d'identité. La majorité craint que des inconnus puissent faire des achats (52%) avec leur argent. Dans le cas d'une usurpation d'identité, les criminels accèdent aux comptes en ligne et agissent au nom de leurs victimes. De nombreuses personnes interrogées craignent que des inconnus signent des contrats en leur nom (37 %), que des escrocs utilisent l'identité volée pour ouvrir de nouveaux comptes (36 %) et que des informations les plus privées tombent entre des mains étrangères ou soient rendues publiques (28 %). Besoin de rattrapage en matière de sécurité des mots de passe Il est urgent de rattraper le retard en matière d'utilisation de mots de passe sûrs selon GMX : 34 % des utilisateurs d'Internet en France utilisent dans leurs mots de passe des informations personnell