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Téléphone, mail, notifications… : comment le cerveau réagit-il aux distractions numériques ?

  Par  Sibylle Turo , Université de Montpellier et Anne-Sophie Cases , Université de Montpellier Aujourd’hui, les écrans et les notifications dominent notre quotidien. Nous sommes tous familiers de ces distractions numériques qui nous tirent hors de nos pensées ou de notre activité. Entre le mail important d’un supérieur et l’appel de l’école qui oblige à partir du travail, remettant à plus tard la tâche en cours, les interruptions font partie intégrante de nos vies – et semblent destinées à s’imposer encore davantage avec la multiplication des objets connectés dans les futures « maisons intelligentes ». Cependant, elles ne sont pas sans conséquences sur notre capacité à mener à bien des tâches, sur notre confiance en nous, ou sur notre santé. Par exemple, les interruptions engendreraient une augmentation de 27 % du temps d’exécution de l’activité en cours. En tant que chercheuse en psychologie cognitive, j’étudie les coûts cognitifs de ces interruptions numériques : au

Désinformation politique : quelques clés pour se protéger

 

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Les auteurs de manipulations profitent d'un environnement informationnel dense dans lequel il est difficile de prendre du recul face aux flots de messages. Hippopx, CC BY-SA
Par Yannick Chatelain, Grenoble École de Management (GEM) et Jean-Marc Huissoud, Grenoble École de Management (GEM)

En Chine, le pouvoir dispose de plus de 280 000 « fonctionnaires » rémunérés pour « fabriquer » l’opinion publique. Leur appellation ? La « water army » (l’armée de l’eau) créée en 2010. Cette « armée » se compose d’utilisateurs et utilisatrices – qui peuvent faire partie de firmes privées – rémunérés pour publier des commentaires sur des sites web en chinois selon les directives gouvernementales. Ils opèrent généralement sur les plates-formes en ligne les plus prisées comme le site de microblogage Sina-Weibo, la messagerie WeChat ou encore Taobao, le principal site de vente en ligne du pays.

Cette « water army » s’adonne ainsi à la pratique de « l’astroturfing » des approches par saturation de messages notamment sur les réseaux sociaux : utilisation de bots, multiplication de faux comptes, etc. La démarche est analogiquement proche de certaines techniques de « black hat hackers », ou d’hacktivistes. Certains inondent des serveurs de requêtes pour les bloquer (attaque DDos), d’autres défacent un site pour donner à voir leur revendication sur la page d’accueil du site ciblé. Dans le cas qui nous préoccupe, la saturation fait penser à des mouvements de masse.

Si l’astroturfing n’est pas récent, il a pris ces dernières années une certaine ampleur. Ce terme que l’on peut traduire par « pelouse synthétique », désigne une opération qui vise à donner la fausse impression d’un comportement spontané ou d’une opinion populaire. Elle n’est pas l’apanage du monde politique, comme nous allons l’évoquer, des firmes y ont recours, cela peut être pour lancer un produit, tout comme pour redorer son image, contrer les critiques, voire même disqualifier par tous moyens la science à l’instar de la firme Monsanto ce qu’a révélé en 2017 les « Monsanto Papers », cette dernière a entre autres chargé une agence de consultant afin de fabriquer des e-mails et créer le « Center for Food and Agricultural Research », un faux institut dont la raison d’être était d’attaquer les critiques de Monsanto.

Cependant, penser que « l’astroturfing politique » serait réservée à des régimes autoritaires et/ou dictatoriaux, comme la Chine ou la Russie avec son usine à trolls aux ordres du Kremlin localisée à Saint-Pétersbourg, constituerait une erreur.

Ainsi en France, lors des dernières élections présidentielles de 2022, le journal Le Monde révélait comment « des militants d’Éric Zemmour gonflaient artificiellement la présence de leur candidat sur Twitter ». Les journalistes avaient collecté des centaines de milliers de tweets pro-Zemmour… peu en rapport avec sa réelle « force de frappe » sur les réseaux.

« Pourquoi est-ce que je reçois ce message ? »

Comment, dès lors, le citoyen peut-il se « protéger » de ces tentatives de manipulation et détecter une campagne d’astroturfing ? Voici quelques clés :

  • Le message est récurrent.

  • La campagne utilise de nombreux canaux de diffusion, et de nombreux identifiants sur une même plate-forme (Twitter par exemple, bien que les réseaux sociaux interdisent officiellement cette pratique).

  • Elle se caractérise par la répétition des mêmes séquences de vocabulaire via des messages plus ou moins simultanés qui émanent de sources diverses sans connexions visibles entre elles.

Parfois, le message cite comme source des messages similaires, renforçant l’idée que l’idée véhiculée est partagée par beaucoup de gens alors que les sources se renvoient les unes aux autres et sont similaires en contenu. Par ailleurs, la majorité des tentatives de réponse à l’émetteur se soldent par un échec à le joindre, dans des proportions bien plus importantes que la normale.

La temporalité des messages, très rapides, est aussi à prendre en considération, de même que les campagnes de retweets (qui durent plus longtemps que la moyenne), éléments difficiles à détecter sans des moyens informatiques conséquents. Dans l’exemple ci-dessous, le 20 avril 2022, comme le pointe l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) le compte de @Samuel_Lafont (Stratégie numérique et levée de fonds pour @Reconquete_off @ZemmourEric) qui compte à ce jour environ 54 000 abonnés a partagé une pétition 24 fois en moins de cinq minutes.

L’astroturfing joue aussi sur la crainte de déclassement informationnel de son auditoire, c’est-à-dire l’angoisse plus ou moins forte d’être passé à côté de quelque chose d’important, ou pire, d’avoir été jusque-là manipulé par une version propagandiste de l’information. Cela renforce le climat de défiance vis-à-vis des médias d’information et l’isolement des personnes, connectées au monde via les réseaux sociaux, mais déconnectés dans les faits de la vie sociale.

En se posant les bonnes questions, il est possible de comprendre les intentions des auteurs : imposer un agenda à l’opinion. Par ailleurs, l’astroturfing se caractérise par la présence d’un sponsor généralement identifiable ou que l’on peut déduire.

Une mesure de « bonne hygiène informationnelle » est donc de toujours se poser la question du : pourquoi est-ce que je reçois ce message, maintenant, par ce biais, de quelqu’un que je ne connais en principe pas ?

Fonctionnement par saturation

Certes, comme toute propagande, l’astroturfing ne peut pas convaincre ceux qui ne veulent pas l’être. Tout au plus peut-elle induire un doute chez des personnes déjà peu enclines à prendre position, ou chez la petite minorité qui chérit l’information hors système, autrement dit les personnes ayant un penchant pour le complotisme et l’entretien d’une bulle informationnelle personnelle déconnectée de la vie sociale réelle. Ce qui relève d’une des pathologies de l’information.

De façon analogique à la propagande, elle ne peut fonctionner que par saturation, dans un environnement informationnel dense dans lequel les personnes n’ont pas le temps ou la volonté de prendre du recul face aux messages qui leur parviennent. Isolée du flux informationnel, elle perd toute pertinence. D’où sa relative innocuité pour les personnes investit dans une recherche d’information focalisée et à fort investissement cognitif et d’attention“ Political Communication Volume 37, 2020)

Éviter le point critique

Toutefois, par-delà ses « faiblesses », son efficacité ne doit pas être sous-estimée, surtout dans les périodes de défiance généralisée, de doute sur l’avenir dans de multiples dimensions, ce qui est le contexte actuel et général de nos sociétés. Les auteurs de campagnes d’astroturfing bénéficient en outre d’un appauvrissement réel des cadres conceptuels et de la richesse de vocabulaire des populations, même à un niveau décent d’éducation, et de la tendance généralisée, du fait de la nature même des médias et de la masse d’information à disposition, à favoriser les réactions émotionnelles (la désormais omniprésente indignation) sur le rapport critique à l’information.

Le véritable risque survient lorsque la campagne d’astroturfing atteint le point critique à partir duquel elle s’entretient elle-même du fait de sa reprise par les récepteurs d’origine, indépendamment de l’action de ceux qui ont initié la campagne ; elle devient alors une rumeur, un élément de sens commun qu’il n’est plus possible d’endiguer ou de détecter facilement. Elle a alors atteint son but de transformation d’une partie de l’opinion publique.

Cependant, tenter de censurer ces pratiques n’est pas nécessairement une bonne idée. D’abord parce que comme cela a été dit, virtuellement tous les acteurs politiques et géopolitiques l’utilisent plus ou moins, pas toujours dans de « mauvaises » intentions, et que toute censure serait, par défaut, partielle et orientée vers les intérêts des groupes censeurs. Il en résulterait d’ailleurs un amoindrissement du nombre d’acteurs, renforçant le pouvoir de ceux restant, en effet, rappelons que l’une des faiblesses de l’astroturfing est que la multiplication des campagnes participe à l’affaiblissement de leur impact.

Pour conclure, il faut apprendre à vive avec, avoir conscience de ces techniques « asymétriques » d’information en espérant que, comme toutes les méthodes de marketing, politique ou non, elles produisent à la longue une courbe d’apprentissage des utilisateurs d’Internet qui les rendent de plus en plus inopérantes.


Les auteurs souhaitent au travers cet article rendre hommage à Jean-François Fiorina un homme engagé, passionné de géopolitique, longtemps directeur adjoint de GEM, nommé en septembre 2022 directeur général de l’Ipag qui nous a quittés brutalement le 16 novembre 2022, à Nice.The Conversation

Yannick Chatelain, Professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM) et Jean-Marc Huissoud, Professeur et chercheur, Relations Internationales Stratégies d'internationalisation, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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