Ce n’est pas la première fois qu’une étude sur l’exposition des enfants aux écrans (télévision, ordinateurs, consoles, tablettes ou smartphones) est publiée, mais celle qui a été dévoilée hier mérite sans doute davantage d’être observée de près au regard de l’étendue de la cohorte : rien moins que 18 000 enfants.
Les résultats publiés hier sont l’un des volets de l’enquête Elfe (Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance), une étude au long cours portée par l’Ined (Institut national d’études démographiques) et l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) qui suit l’évolution de 18 000 enfants nés en France métropolitaine en 2011 et qui mobilise 150 chercheurs.
Des disparités
Ce vaste panel a permis à ces derniers de décrire « le temps d’écran, total et par type d’écran, des enfants suivis à 2 ans, 3 ans et demi et 5 ans et demi » mais aussi de mettre en avant « des disparités selon la région d’habitation de la famille, son histoire et son origine migratoires, le niveau d’études de la mère et le sexe de l’enfant. »
Les données montrent que le temps d’écran quotidien pour ces enfants était en moyenne de 56 minutes à 2 ans, 1 h 20 à 3 ans et demi et 1 h 34 à 5 ans et demi. Soit des durées bien supérieures aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou de l’Académie américaine de pédiatrie, qui préconisent de ne pas exposer les enfants de moins de 2 ans aux écrans, puis de limiter ce temps à 1 heure par jour entre 2 et 5 ans.
« En France, la limite d’âge « sans écran » a tendance à être fixée à 3 ans, sous l’impulsion des balises « 3-6-9-12 » proposées en 2008 par le Dr Serge Tisseron, puis de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, ex-CSA). Depuis 2019, le Haut Conseil de la santé publique et l’Académie nationale de médecine recommandent de ne pas exposer les enfants de moins de 3 ans aux écrans, si certaines conditions ne sont pas réunies (présence d’un adulte, interactivité). Enfin, Santé publique France (par l’intermédiaire du Plan national nutrition santé) et l’Anses fixent quant à elles l’âge limite à 2 ans », souligne l’étude qui est aussi particulièrement pertinente dans son détail des disparités sociologiques ou géographiques.
Ainsi, les enfants dont la mère est née au Maghreb, en Turquie ou en Afrique subsaharienne passent en moyenne 30 à 50 minutes (selon l’âge) de plus devant des écrans que ceux dont la mère est née en France. Les enfants dont la mère a un niveau collège passent 45 minutes (à 2 ans) et 1 h 15 (à 5 ans et demi) de plus devant des écrans que les enfants dont la mère a un niveau d’études supérieur ou égal à bac +5. Le sexe a moins d’impact : aucune différence n’était observée à 2 ans entre garçons et filles, mais une petite différence émerge ensuite (10 minutes de plus chez les garçons à 5 ans et demi).
La situation géographique joue également : les petits Occitans passent par exemple moins de temps devant les écrans que leurs camarades des Hauts-de-France (46 minutes par jour contre 64 à 2 ans, 69/84 à 3 ans et demi, 79/103 à 5 ans et demi).
Nécessité d’une prévention précoce
Les auteurs reconnaissent quelques limites à leur étude, notamment le fait que les mesures de temps d’écran sont des données déclaratives par les parents et donc potentiellement sous-estimées. Une autre limite concerne les dates de collecte des données : l’enquête à 2 ans s’est déroulée de mai 2013 à avril 2014, celle à 3 ans et demi de septembre 2014 à août 2015, et celle à 5 ans et demi de janvier à septembre 2017.
Depuis, les usages du numérique ont explosé dans les familles, notamment à l’occasion de la crise sanitaire du Covid-19, ce que reconnaissent les chercheurs. « Les écrans portatifs comme le smartphone et la tablette s’étant fortement développés durant la décennie 2010, on pourrait s’attendre à une augmentation du temps d’écran, mais ce serait ignorer que les messages de prévention à l’intention des jeunes enfants se sont eux aussi multipliés sur cette période. »
Cette étude reste cependant importante car elle décrit pour la première fois l’évolution du temps d’écran des enfants sur une longue période, confortant ainsi la nécessité d’une prévention précoce.
Numérique : les Français addicts
L’Arcep et l’Arcom viennent de publier la troisième édition de leur référentiel commun des usages numériques des Français, qui sont de plus en plus connectés au très haut débit sur les réseaux fixes (65 % à la fin du troisième trimestre 2022, + 9 points en un an).
Le référentiel 2023 relève que le téléviseur reste le premier équipement des foyers et que 84 % du parc est connecté à Internet. Le nombre d’utilisateurs de vidéos à la demande par abonnement (Netflix, Prime…) continue de progresser avec 9,4 millions d’utilisateurs quotidiens en moyenne au deuxième semestre 2022. Mais ce sont le e-commerce et les services de communication qui sont de plus en plus utilisés.
D’autres équipements numériques se diffusent également dans la population, selon l’enquête : c’est le cas, par exemple, des enceintes connectées avec assistant vocal ou plus généralement des objets connectés à internet (+7 points par rapport à 2020 pour atteindre 40 %).
Enfin, 82 % des internautes de 11 ans et plus sont équipés d’un smartphone, mais l’usage de l’ordinateur reste prépondérant (62 % en 2022).
(Article publié initialement dans La Dépêche du Midi du 13 avril 2023)