Accéder au contenu principal

Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques

Par  Laurence Corroy , Université de Lorraine Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles. Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques. Dans le cadre de l’étude Sexteens , menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries on...

Photos, IA et désinformation historique : l’enseignement de l’histoire face à de nouveaux défis

 

IA

Par Mathieu Marly, Sorbonne Université et Gaël Lejeune, Sorbonne Université

À l’heure où l’intelligence artificielle accélère la propagation de fausses images et de photos sorties de leur contexte, apprendre aux élèves à sourcer leurs informations est plus important que jamais. Et les cours d’histoire se doivent d’intégrer aujourd’hui une formation à l’histoire numérique que peuvent faciliter des outils comme le projet VIRAPIC qui aide à repérer des photos virales.


Chaque jour, des images en lien avec des évènements historiques sont mises en ligne sans être référencées – avec leur auteur, leur date, leur localisation, leur lieu de conservation – et encore moins contextualisées par un commentaire historique. C’est le cas, par exemple, de cette photographie, la plus souvent publiée pour représenter les exactions des « mains coupées » dans le Congo de Léopold II, au tournant du XIXe au XXe siècle. En 2024, on la retrouve sur des milliers de pages web sans que l’auteur de cette photographie soit toujours mentionné et sans faire l’objet d’un commentaire historique approprié.

Cette photographie semble illustrer de manière saisissante les exactions commises par les compagnies de caoutchouc au Congo. Mais que peut-on voir de cette photographie sans connaître son histoire ? Le spectateur est ici contraint d’interpréter le message photographique au filtre de ses propres représentations, saisi par le contraste entre les victimes et les Européens habillés de blanc jusqu’au casque colonial, lesquels semblent justifier les châtiments corporels par leur pose hiératique.

En réalité, cette photographie a été prise en 1904 par une missionnaire protestante, Alice Seeley Harris, pour dénoncer ces violences et les deux hommes sur la photographie participent à cet acte de résistance photographique qui contribuera à mobiliser l’opinion publique européenne contre les crimes commis dans l’État indépendant du Congo. L’identité et les intentions du photographe ne sont pas ici un détail : ils rendent compte d’une réalité historique plus complexe, celle d’une « polyphonie morale » des sociétés européennes à la fin du XIXe siècle, divisées sur le bien-fondé et les dérives de la colonisation.

Un brouillard numérique d’images décontextualisées

Des exemples comme celui-ci, il en existe des milliers sur le web, les publications et partages d’images générant un brouillard de photographies décontextualisées, rendues virales par les algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux numériques.

Prenons l’exemple de ce tweet d’Eric Ciotti posté le 16 juillet 2024 en commémoration de la rafle du Vel d’Hiv :

Capture d’écran.

La photographie postée n’a pas grand-chose à voir avec les rafles des 16 et 17 juillet 1942 : il s’agit en réalité d’un cliché montrant des Français soupçonnés de collaboration enfermés au Vel d’Hiv après le Libération. Ce compte Twitter n’est pas le seul à reproduire cette erreur ; il faut noter que les algorithmes de Google images ont longtemps placé cette photographie dans les premiers résultats de recherche à la suite des mots clefs « Rafle du Vel d’Hiv ».

La rectification de cette erreur est-elle seulement l’affaire des historiens préoccupés par l’identification des sources ? En réalité, cette erreur participe à la méconnaissance historique de la rafle du Vel d’Hiv. Comme le montre l’historien Laurent Joly, il existe une seule photographie de la rafle, prise le 16 juillet 1942 à des fins de propagande et pourtant jamais publiée dans la presse. Ce détail n’est pas anodin, il révèle que les autorités allemandes ont interdit la publication des photographies de la rafle, alertées par la désapprobation de la population parisienne.

Un défi pour les enseignants

Ces quelques exemples doivent nous alerter sur l’usage illustratif de la photographie encore trop présent dans l’édition scolaire. Faute de place, les manuels se contentent, le plus souvent, d’une simple légende sans commentaire pour éclairer ou confirmer le cours de l’enseignant.

L’usage des photographies par les historiens a pourtant évolué ces dernières années, considérant désormais celle-ci comme de véritables archives auxquelles doivent s’appliquer les règles élémentaires de la critique des sources. Un tel usage gagnerait certainement à être généralisé dans l’enseignement de l’histoire pour sensibiliser les élèves à la critique documentaire – le plus souvent résumée par la méthode SANDI (Source, Auteur, Nature, Date, Intention). Car, si cette méthode est parfois jugée artificielle par les élèves, elle trouve une justification, pour ainsi dire immédiate, dans la critique de l’archive photographique.

En effet, le regard porté par les élèves sur l’image photographique change radicalement une fois connue son histoire.

Cette approche documentaire est d’autant plus nécessaire que les élèves et les étudiants s’informent aujourd’hui de plus en plus sur les réseaux sociaux, des réseaux où les photographies sont relayées par des armées de comptes sans scrupules méthodologiques et parfois orientées par des lectures complotistes du passé.

Il faut encore ajouter une autre donnée pour comprendre l’enjeu pédagogique qui attend les enseignants d’histoire dans les années à venir : d’ici 2026, selon un rapport d’Europol, la majorité du contenu disponible sur le web sera généré par l’IA. Cela impliquera probablement la publication de fausses photographies de plus en plus crédibles et sophistiquées, lesquelles tiendront lieu de preuve à des fictions déguisées en histoire.

La prolifération des IA génératives, l’accélération des échanges de photographies inventées, détournées ou décontextualisées constituent un véritable défi pédagogique. Comment enseigner l’histoire aux élèves sans leur transmettre les outils pour affronter la désinformation historique en ligne ? Comment expliquer aux élèves l’environnement numérique dans lequel ils sont immergés (IA, algorithmes, vitalités des images) sans proposer un cours d’histoire qui soit aussi un cours d’histoire numérique ?

Un projet pour lutter contre la viralité de la désinformation historique

Pour répondre à ces défis, l’Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe (EHNE-Sorbonne Université) et les équipes d’informaticiens du CERES-Sorbonne Université élaborent un nouvel outil qui vise autant un public d’enseignants que d’éditeurs et les journalistes : le projet VIRAPIC, une plate-forme numérique dont l’objectif est de repérer les photographies virales (reproduites en ligne à une très grande échelle et/ou sur un laps de temps réduit) lorsque celles-ci sont inventées, détournées ou décontextualisées des évènements historiques qu’elles prétendent illustrer.

VIRAPIC, un nouvel outil pour éduquer le regard des élèves aux archives photographiques (novembre 2024).

L’objectif est double. Il s’agit d’injecter du contenu historique autour des photographies virales (source, légende, commentaire historiques) et d’analyser les viralités numériques des photographiques (Qui les publie ? Sur quels supports ? Avec quelle temporalité ?). Le projet VIRAPIC aborde surtout le problème de la désinformation historique par une approche pragmatique : lutter contre la viralité de la désinformation par le référencement du travail historien sur les moteurs de recherche.

L’originalité de cet outil tient en effet à la possibilité d’agir directement sur les pratiques des internautes grâce au référencement de l’Encyclopédie EHNE dont les pages web apparaissent dans les premiers résultats des moteurs de recherche. Ainsi, les internautes recherchant des photographies pour illustrer les évènements historiques verront apparaître les pages web EHNE/VIRAPIC dans les premiers résultats de recherche comme Google Images.

En constituant une base de référencement des photographies virales, détournées, décontextualisées ou inventées autour d’évènement historiques, le projet VIRAPIC permettra d’accéder rapidement à un contenu historique solide et critique sur les images que les élèves, enseignants ou éditeurs souhaitent publier en ligne ou utiliser en cours.


Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.The Conversation

Mathieu Marly, Responsable éditorial de l'Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe (Sorbonne Université - Éducation nationale), agrégé, docteur en histoire contemporaine et chercheur associé au laboratoire SIRICE, Sorbonne Université et Gaël Lejeune, Enseignant-chercheur, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

D’IBM à OpenAI : 50 ans de stratégies gagnantes (et ratées) chez Microsoft

  Paul Allen et Bill Gates en 1970 à Lakeside School (Seattle). Microsoft naîtra cinq ans plus tard. Auteur inconnu/Wikimedia Par  Frédéric Fréry , ESCP Business School Insubmersible. Même la vague des Gafa n’a pas vraiment atteint Microsoft. Cinquante ans après sa création, soit une éternité dans le monde de la tech, la firme de Bill Gates et Paul Allen est toujours là et bien là. Retour sur ce qu’on appelle outre-Atlantique, une success-story avec quelques échecs. Cette semaine, Microsoft fête ses 50 ans. Cet article a été écrit sur Microsoft Word, à partir d’un ordinateur équipé de Microsoft Windows, et il sera vraisemblablement publié sur des plateformes hébergées par Microsoft Azure, notamment LinkedIn, une filiale de Microsoft qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est dire l’influence de cette entreprise qui, en 2024, a dégagé un bénéfice net de 88 milliards de dollars po...