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Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques

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Procès des GAFAM : le droit peut-il encore encadrer la puissance numérique ?

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Tribune d'Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé en droit du numérique

Tout a commencé dans la Silicon Valley, berceau des start-up et d’un imaginaire où technologie rimait avec liberté. Google promettait un accès universel à l’information, Facebook de connecter la planète, Apple de rendre l’informatique intime. Ces entreprises – bientôt regroupées sous l’acronyme GAFAM – ont introduit un modèle inédit : celui de la plateforme, un intermédiaire technologique connectant gratuitement des millions d’utilisateurs et d’entreprises.

Mais derrière cette vitrine, un autre récit s’est imposé : celui d’un pouvoir économique sans précédent, fondé sur la captation des données, la maîtrise des infrastructures et l’accumulation de positions dominantes dans le secteur du numérique redessinant les équilibres de marché. 

L’illusion de la gratuité : un capitalisme de surveillance

Gratuit, vraiment ? Ce que l’on a pris pour une révolution philanthropique s’est révélé être une mutation radicale du capitalisme. L’utilisateur, en échange de services gratuits, est devenu la matière première d’un modèle fondé sur la collecte, l’analyse et la monétisation de ses données personnelles.

Les GAFAM ont verrouillé des marchés entiers. Google a été condamné pour avoir favorisé ses propres services dans la recherche en ligne. Amazon a exploité les données de ses vendeurs pour lancer ses propres produits. Meta a racheté des services émergents innovants pour écarter toute concurrence. Apple a imposé une commission jusqu’à un tiers du prix des ventes sur l’App Store, tout en interdisant les moyens de paiement alternatifs.

Ce qui devait encourager l’innovation est devenu un système de blocage : les GAFAM ne protègent plus leur avance, ils empêchent les autres d’émerger.

L’aveuglement des régulateurs et le tournant actuel

Pendant des années, les autorités de la concurrence se sont révélées inadaptées face à ces modèles inédits. Le droit antitrust, conçu pour des entreprises traditionnelles fonctionnant en proposant des prix et en mesurant leurs performances via des volumes, a tardé à comprendre la logique de l’économie de l’attention, où la valeur repose sur la captation des données et le temps d’exposition.

Après une série de condamnations marquantes infligées aux GAFAM, et face à l’assurance affichée de certains d’entre eux — comme Meta menaçant de retirer ses services d’Europe — les institutions ont progressivement pris la mesure de la portée systémique de leur pouvoir.

L’adoption du Digital Markets Act en 2023 a marqué un tournant : l’Union européenne a instauré une régulation préventive à l’égard des plateformes en situation de position dominante sur le marché du numérique. Ce texte leur impose des obligations strictes : transparence des algorithmes, interopérabilité, interdiction de l’auto-préférence.

Aux États-Unis, la FTC, sous l’impulsion de Lina Khan, mène une offensive judiciaire contre Google et Meta. Ces actions marquent un basculement idéologique : l’impunité des géants n’est plus une fatalité.

Faut-il aller jusqu’au démantèlement ?

La question, longtemps impensable en Europe, n’est plus taboue. Aux États-Unis, les autorités l’envisagent comme un remède proportionné à la gravité des abus. Et en Europe, le droit le permet également.

En cas d’abus de position dominante, l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne autorise la Commission à imposer la cession d’actifs ou la réorganisation d’un groupe, lorsque les mesures comportementales ne suffisent pas à rétablir une concurrence effective.

Des précédents existent : en 2002, le Conseil de la concurrence a exigé la modification d’accords anticoncurrentiels entre la Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux ; en 2009, la Commission européenne a imposé le décroisement de filiales entre Veolia et Suez pour rétablir la concurrence locale.

Un enjeu démocratique et géopolitique 

Mais la régulation des GAFAM dépasse largement le seul enjeu de concurrence. Ces entreprises structurent l’accès à l’information, influencent les choix individuels, orientent les comportements collectifs et contrôlent des pans entiers de l’économie numérique. Leur pouvoir est aussi politique.

L’affaire Cambridge Analytica (2016) a révélé comment Facebook a laissé exploiter les données de millions d’utilisateurs à des fins électorales, notamment lors du Brexit et de l’élection américaine. En 2021, Apple a imposé sa politique App Tracking Transparency, bouleversant le marché publicitaire sans concertation.

Dans les deux cas, ces décisions montrent que les GAFAM ne se contentent plus d’innover ou de commercer : ils définissent des règles qui s’imposent à tous, en dehors de tout processus démocratique. Ce pouvoir normatif privé, exercé à l’échelle globale, remet en question la capacité des États à fixer les règles du jeu.

GAFAM : Le code contre la démocratie ?

Dès 1999, le juriste Lawrence Lessig alertait : dans l’espace numérique, le code deviendra la loi. Deux décennies plus tard, les géants du numérique ont remplacé les règles démocratiques par leurs algorithmes, imposant silencieusement leurs normes au cœur de la vie sociale, économique et politique.

Ces plateformes ont construit les canaux par lesquels circule l'information, les routes du commerce numérique, les mécanismes de la visibilité sociale. Elles ont modelé nos comportements, canalisé nos libertés, redessiné les paysages économiques. Cette privatisation du pouvoir normatif constitue une mutation radicale de nos systèmes politiques.

La régulation des GAFAM n'est donc plus une simple option politique - c'est un impératif civilisationnel. À défaut d'une réaction ferme, nous assistons à l'émergence d'un nouveau féodalisme numérique où quelques sociétés privées exerceraient une souveraineté concurrente à celle des États-nations.

Les procès historiques contre Google et Meta pourraient marquer le crépuscule de cette impunité. Ils symbolisent cette vérité fondamentale : dans une démocratie digne de ce nom, ce n'est pas au code d'écrire la loi, mais à la loi démocratique d'encadrer le code.

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