De la Suède, où le Premier ministre consulte ChatGPT, à l’Albanie, qui vient de nommer une IA ministre des marchés publics, l’intelligence artificielle s’invite désormais au cœur du pouvoir politique. Une évolution que l’OCDE analyse de près, entre opportunités concrètes pour les services publics et risques majeurs liés à la transparence, aux biais et au contrôle démocratique.
Face aux blocages institutionnels, à la polarisation du débat public, aux lois adoptées bien que massivement contestées ou à la difficulté de prendre des décisions dans un monde plus complexe que jamais, et si on remplaçaient les femmes et les hommes politiques… par des intelligences artificielles ?
Poser la question à brûle-pourpoint ferait passer pour de dangereux démagogues et pourtant l’IA investit la sphère publique comme elle a déjà investi l’entreprise ou l’école. Discrètement ou plus franchement comme l’ont montré deux récentes affaires depuis cet été.
Le Premier ministre suédois, ChatGPT et Le Chat
En août dernier, le Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, confessait lors d’une interview au journal économique Dagens Industri, qu’il utilisait régulièrement ChatGPT, ainsi que le chatbot français Le Chat de Mistral AI, comme « deuxième avis » pour réfléchir sur les décisions à prendre au gouvernement.
D’abord perçu comme une marque de modernité, l’usage de l’IA par le Premier ministre a ensuite suscité un tollé dans la presse et les milieux universitaires suédois, alarmés par la dépendance à l’IA du dirigeant et le risque qu’il prenne des décisions politiques influencées par des algorithmes conçus à l’étranger et qu’il confie des données sensibles à des serveurs informatiques étrangers…
Le cabinet du Premier ministre a précisé que ces outils étaient utilisés pour des consultations mineures et qu’aucune donnée confidentielle ou stratégique n’était partagée, sans vraiment convaincre ni rassurer.
En Albanie, la ministre est une IA
Ce mois-ci, l’Albanie a franchi un pas nettement plus spectaculaire en nommant ministre une intelligence artificielle ! Une première mondiale. Nommée ministre chargée spécifiquement des marchés publics, cette IA baptisée « Diella » était déjà connue des citoyens albanais comme assistante virtuelle pour leurs démarches administratives.
Le Premier ministre albanais Edi Rama a promu « Diella » pour lutter contre la corruption chronique dans l’attribution des marchés publics du pays. L’IA-ministre est désormais censée rendre le processus plus transparent, objectif et totalement « incorruptible » selon le gouvernement albanais, même si sa nomination soulève – comme en Suède – de nombreux débats sur la neutralité réelle des algorithmes et les modalités de contrôle humain sur ses décisions.
Entre un dirigeant qui utilise ChatGPT en catimini et un gouvernement qui propulse ministre une IA, il y a évidemment toute une gamme d’applications beaucoup plus pertinentes sur lesquelles vient de se pencher l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
« Gouverner avec l’intelligence artificielle »
Dans un rapport intitulé « Gouverner avec l’intelligence artificielle », l’OCDE constate une montée en puissance des usages, mais alerte sur les freins qui empêchent encore de passer du stade expérimental à une mise en œuvre généralisée. L’étude, fondée sur plus de 200 cas recensés et plusieurs dizaines d’initiatives nationales, constitue la première analyse systématique des fonctions étatiques dans lesquelles l’IA est mobilisée. Elle distingue onze grands domaines d’action publique, avec des avancées notables dans la fourniture de services aux citoyens, la justice et les consultations publiques, mais des retards marqués dans la gestion des ressources humaines ou l’évaluation des politiques.
Les bénéfices apparaissent concrets : agents conversationnels pour assister les usagers dans leurs démarches, systèmes prédictifs pour anticiper les catastrophes naturelles, plateformes d’analyse de contributions citoyennes pour faciliter la recherche de consensus. Mais ces réussites restent fragilisées par des obstacles structurels : rareté des compétences spécialisées, difficultés d’accès et de partage de données de qualité, coûts élevés de déploiement, cadre réglementaire inadapté et systèmes informatiques publics parfois obsolètes.
À ces contraintes s’ajoutent des risques propres aux technologies elles-mêmes. Résultats biaisés, pannes techniques, atteintes potentielles à la protection des données ou exclusion de certaines catégories de population. L’OCDE avertit que l’inaction n’est pas une option. Un refus d’adopter l’IA exposerait, en effet, les administrations à une perte d’efficience et à un décrochage vis-à-vis du secteur privé, déjà engagé dans une généralisation des usages.
L’organisation recommande la mise en place de cadres stratégiques et de garde-fous adossés au « Cadre de l’OCDE pour une IA digne de confiance » qui comprend sept leviers d’action.