L’intelligence artificielle bouleverse déjà les règles de la cybersécurité. Outil redoutable entre les mains des attaquants, elle doit aussi devenir l’alliée indispensable des défenseurs pour bâtir une résilience durable.
Par Olivier Arous, CEO d’OGO Security
Le numérique est en perpétuelle mutation et les cyberattaques ne cessent de se multiplier et de se complexifier. Hier encore, les menaces prenaient la forme d’injections SQL ou de scripts XSS exploitant des failles apparemment anodines. Aujourd’hui, elles se diversifient, se professionnalisent et visent des cibles toujours plus critiques : collectivités territoriales, services publics, entreprises stratégiques. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle apparaît comme un accélérateur puissant… pour les deux camps.
L’IA, nouvel arsenal des cyberattaquants
Les cybercriminels savent s’adapter à chaque contexte, qu’il s’agisse de défigurer un site institutionnel, de lancer une attaque DDoS en pleine période de tension internationale ou d’exploiter une vulnérabilité encore non corrigée. Avec l’IA, cette capacité prend une tout autre dimension. Désormais, des modèles automatisés peuvent générer des codes malveillants capables de se transformer pour échapper aux défenses classiques. Des campagnes de phishing peuvent être produites en masse, avec des messages contextualisés et crédibles, rendant la détection par l’utilisateur toujours plus difficile. Dans le e-commerce, déjà fragilisé par les bots et la fraude automatisée, l’IA permet aux attaquants de tester des millions de combinaisons en quelques secondes pour contourner les mécanismes de sécurité. Résultat : la menace est plus rapide, plus polymorphe et plus accessible, y compris pour des groupes aux moyens limités.
La même technologie, mise au service de la défense
Pour autant, réduire l’IA à une arme d’attaque serait une erreur stratégique. Comme le rappelle l’exemple du WAAP, l’intégration du machine learning dans les solutions de cybersécurité offre une capacité de détection et d’adaptation inédite. L’IA permet d’analyser en temps réel d’immenses volumes de données issues des journaux systèmes, des flux réseaux ou des comportements utilisateurs. Elle identifie des schémas inhabituels, alerte en cas d’anomalie et peut déclencher automatiquement des contre-mesures. Cette rapidité de réaction devient décisive, car chaque minute compte lors d’une intrusion. Au-delà de la réaction, l’IA offre une capacité d’anticipation : elle apprend des attaques passées pour prévoir les prochaines et renforcer les défenses avant même que la menace ne se concrétise. Elle devient ainsi un véritable bouclier intelligent, capable d’évoluer au rythme des assauts numériques.
Des enjeux qui dépassent la technique
Mais l’adoption de l’IA en cybersécurité ne se limite pas à une innovation technologique. Elle s’inscrit dans un cadre plus large, où la confiance et la souveraineté sont en jeu.
Les attaques visant les collectivités territoriales ont montré combien la cybersécurité est une exigence démocratique. Lorsqu’un service public est paralysé, ce sont les citoyens eux-mêmes qui en subissent les conséquences directes : impossibilité d’accéder à des démarches essentielles, fuite de données sensibles, perte de confiance envers leurs institutions.
Dans l’e-commerce, la logique est similaire : chaque transaction repose sur la confiance entre le client et la plateforme. Une faille technique ne met pas seulement en danger des données bancaires, elle peut briser la réputation d’une marque en quelques heures. Dans ces deux cas, l’IA peut contribuer à restaurer et renforcer cette confiance en rendant la cybersécurité plus proactive et plus transparente.
Construire une cybersécurité agile et souveraine
Face à des menaces globales et polymorphes, il ne suffit plus d’ajouter une nouvelle couche de protection. Il faut concevoir une cybersécurité agile, capable de s’adapter en temps réel, et souveraine, pour garantir la maîtrise et la confiance dans un environnement géopolitique instable. L’intégration de l’IA doit donc s’accompagner d’une réflexion stratégique : comment développer des solutions européennes ou nationales robustes, qui garantissent la conformité réglementaire (notamment face aux évolutions comme NIS2), tout en assurant une protection de bout en bout ? Cette transformation exige également un investissement dans la formation et la sensibilisation. L’IA ne doit pas remplacer l’humain, mais le renforcer : un agent public formé ou un employé sensibilisé reste la première ligne de défense face aux tentatives d’ingénierie sociale.
L’intelligence artificielle place les organisations face à un défi inédit : l’outil qui fragilise leurs défenses est aussi celui qui peut les renforcer. Refuser cette transformation, c’est accepter de subir. L’embrasser, c’est construire une cybersécurité plus agile, plus résiliente et plus digne de la confiance que citoyens et clients attendent.