La fin de l’impression systématique du ticket de caisse, qui entre en vigueur demain mardi 1er août, devrait se faire dans la douceur plus que dans la douleur. Car cela fait déjà plusieurs mois que les commerçants demandent à leurs clients s’ils souhaitent ou non l’impression du ticket de caisse ou celle du reçu du paiement par carte bancaire. En corollaire, ces enseignes se proposent d’envoyer le ticket de caisse par courrier électronique, récupérant au passage une adresse et se constituant un solide fichier client.
Cette dématérialisation se fait au nom de la protection de l’environnement puisqu’elle découle d’une mesure de la loi « anti-gaspillage et économie circulaire », votée en 2020. Mais elle illustre aussi l’accélération de la dématérialisation de multiples actes de la vie quotidienne. Une dématérialisation qui s’est accélérée à l’occasion de la pandémie de Covidf-19 – avec ses gestes barrières, l’explosion des commandes sur internet et le click & collect – et qui va s’accélérer pour les démarches administratives.
L’administration de plus en plus numérisée
Depuis 30 ans, l’administration se numérise et de plus en plus de démarches se font par internet : impôts, renouvellement ou première demande de carte d’identité, de passeport, de carte grise, demande d’une copie d’extrait d’acte de naissance, permis de conduire, RSA, prime d’activité, APL, etc. L’État a même déployé France Connect – et désormais sa version plus sécurisée France Connect + : les usagers peuvent utiliser un même identifiant et le même mot de passe pour accéder à un catalogue de services publics en ligne. Quelque 30 millions de personnes utilisaient ce service fin 2022 contre 500 000 début 2017… L’État entend accélérer encore le mouvement avec un objectif de dématérialisation de 100 % des services publics à l’horizon 2025.
Ce vaste mouvement de dématérialisation va franchir une nouvelle étape avec la numérisation de la carte nationale d’identité, de la vignette verte de l’assurance auto du permis de conduire – en 2024 – et plus tard de la Carte Vitale. Plus besoin d’avoir sur soi ces documents physiques – qui perdureront – leur copie numérique stockée dans votre smartphone suffira pour prouver votre identité et vos droits. Cette dématérialisation va simplifier grandement la vie des administrés qui pourront accéder plus facilement aux services publics numériques.
Pour l’heure, la carte d’identité ou le permis de conduire numériques sont en phase de test avec l’application France identité. « Notre ambition commune, est qu’à partir de juin 2025, le portefeuille d’identité numérique devienne le compagnon d’identité des citoyens français et européens permettant de garantir la sécurité de leurs démarches auprès, par exemple, des administrations, des banques, des opérateurs téléphoniques, du corps médical, tout en gardant la maîtrise de leurs données d’identité » a récemment expliqué le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin, insistant sur la sécurité avec laquelle ces versions numériques des documents seront stockées sur des serveurs informatiques.
16 millions de Français souffrent d’illectronisme
Reste que ce tableau idyllique a un revers : le risque de créer des inégalités d’accès aux services publics pour les Français qui maîtrisent mal ou pas assez les outils numériques. Entre 17 % et un tiers de la population est, en effet, en difficulté face au numérique. En cinq ans on est passé, selon le Credoc, de 13 à 16 millions de Français souffrant d’illectronisme (contraction d’électronique et d’illettrisme).
En 2019, dans un rapport intitulé « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », le Défenseur des droits Jacques Toubon demandait au gouvernement de prévoir « une alternative papier ou humaine à la dématérialisation » et recommandait aux pouvoirs publics de prévoir dans la loi « une clause de protection des usagers vulnérables ». En février 2022, sa successeure Claire Hédon proposait 38 recommandations au gouvernement pour conforter une inclusion numérique encore insuffisante, notamment pour les personnes handicapées.
Relevant que « l’effort de résorption des fractures numériques s’est sensiblement renforcé », la Défenseure souhaitait aller plus loin pour « réaffirmer les principes du service public – continuité, égalité, adaptabilité », afin de dessiner « un chemin pour faire du numérique un atout pour notre pays. »
Ne laisser personne sur le bord du chemin doit être un impératif de l’État, car il ne saurait y avoir dans notre République, dont le principe d’égalité est un pilier, des citoyens de seconde zone.
(Article paru dans La Dépêche du Midi du lundi 31 août 2023)