Par Arnaud Mercier, Université Paris 2 Panthéon-Assas
Beaucoup d’idées simples (quand elles ne sont pas tout bonnement fausses) circulent sur le rapport des adolescents et jeunes adultes à l’information. Ils manqueraient d’appétence pour l’information, seraient frivoles dans leurs centres d’intérêt, délaisseraient la télévision, seraient plus prompts à être bernés par les fake news…
Ces idées reçues trahissent une incompréhension des adultes vis-à-vis d’une jeunesse qui n’adoptent pas tous leurs réflexes et usages lorsqu’il s’agit de s’informer. Et un fossé générationnel s’est en effet creusé en la matière qui engendre des incompréhensions et des jugements de valeur hâtifs.Heureusement, de nombreuses données d’enquête permettent de dresser un portrait très différent des jeunes face à l’information, y compris l’enquête exclusive « Jeune(s) en France ». Il apparaît notamment que les jeunes restent intéressés par les actualités, mais pas forcément les mêmes que leurs parents et grands-parents, pas avec la même priorité thématique, pas sur les mêmes supports.
Des pratiques d’information qui explorent davantage de nouveaux supports
Dans l’imaginaire social des pratiques d’information jugées les plus sérieuses et légitimes, on trouve une série d’usages établis : être abonné à un journal ou un magazine de presse écrite (régional ou national) ; regarder un journal télévisé (souvent en famille) ; écouter une tranche matinale d’information sur une des grandes radios périphériques ; manifester un intérêt prononcé pour les informations citoyennes par excellence que sont l’actualité politique, économique et sociale ou internationale ; affirmer une fidélité à un média qui devient son média quotidien et à quelques figures journalistiques phares et donc leur faire confiance durablement.
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Les études sur la consommation d’informations dressent un panorama des pratiques de la jeunesse française contemporaine assez divergentes. Tout d’abord le rendez-vous matinal avec les tranches infos des radios est en voie d’affaiblissement notable chez les jeunes. Selon le baromètre annuel de la confiance dans les médias Kantar/La Croix, fin 2022, 26 % des 18-24 ans écoutent la radio pour s’informer contre 42 % des 35 ans et plus.
Les jeunes perdent le réflexe de la radio d’actualité au réveil, soit qu’ils écoutent des radios plutôt musicales, soit qu’ils se jettent avec gourmandise sur leur smartphone pour accéder à leurs comptes de réseaux socionumériques. Soit qu’ils ouvrent la télévision du côté d’une chaîne d’information continue.
Leurs pratiques d’information sont beaucoup plus digitales que celle de leurs aînés, ils sont même souvent pionniers dans le développement de nouveaux supports pour s’informer, que ce soit historiquement Facebook, ou l’application Discover au sein de Snapchat, et plus récemment TikTok ou Twitch par exemple. 54 % s’informent chaque jour via les réseaux socionumériques fin 2022, contre 17 % des plus de 65 ans. Les médias ne s’y trompent pas qui multiplient les productions sur ces supports en espérant capter l’attention des plus jeunes pour les fidéliser un jour, comme avec Snapchat.
Les jeunes goûtent aussi avec joie aux podcasts pour trouver des informations qu’ils ne trouvent pas forcément ailleurs ou aiment les formats vidéo courts comme peuvent leur offrir des chaînes en ligne comme Brut ou Loopsider.
Ils apprécient également le style de traitement de l’information plus décontracté que dans les médias traditionnels, avec un code vestimentaire et un parler qui leur ressemble (chaîne You Tube Hugo décrypte), un ton mêlant désir d’informer et de distraire (l’émission télévisée Quotidien de Barthès : fin 2022, 29 % des 18-24 ans regardent ce type d’émission tous les jours contre 14 % seulement des plus de 65 ans), animations graphiques et stories de Snapchat…
Déjà dans notre étude début 2016 auprès de 1 820 étudiants, 74 % de ceux qui déclaraient s’informer via Facebook reconnaissaient que les informations reçues étaient un mixte entre infos sérieuses et divertissement. Autant de formats que la plupart de leurs aînés ne fréquentent pas, voire ignorent jusqu’à leur existence.
Des pratiques d’information différentes entre les générations
Cela ne signifie néanmoins pas que les jeunes se détournent totalement de la télévision pour s’informer. Elle reste bien présente dans leur patchwork informationnel. D’après le baromètre Kantar/La Croix, 42 % des 18-24 ans déclaraient regarder un journal télévisé tous les jours (contre 73 % chez les plus de 65 ans, il est vrai).
Ils ont recours aux chaînes d’information continue surtout si un événement fort survient. À cette occasion d’ailleurs, les réflexes de visionnage en famille resurgissent, la télévision restant fédératrice d’audience en temps de crise. On l’a bien vu durant la pandémie. En mars 2020, selon Médiamétrie, 57 % des 15-24 ans ont regardé la télé contre 36 % un an avant. Dans la catégorie des 15-34 ans, les JT de TF1 et France ont cumulé 1,3 million de téléspectateurs en plus chaque soir.
En revanche, les jeunes regardent plus volontiers l’information produite par les chaînes de télévision sur un autre support que l’écran télé. Leur smartphone, ou leur ordinateur pourra chez certains offrir un accès prioritaire à ces programmes, et sans attacher une importance aussi grande qu’avant à la ritualité des horaires fixes, comme la fameuse et désormais dépassée « grande messe du 20h ».
Un faible engagement partisan qui induit une autre hiérarchie de l’information
C’est aussi sur les priorités thématiques que les jeunes se distinguent en partie de leurs aînés. Relevons d’abord que dans l’enquête exclusive The Conversation, la note d’intérêt des 18-24 ans pour les rubriques jugées les plus prestigieuses ne sont jamais en dessous de 5 sur 10 : politique nationale 5,54 ; économie 5,46 ; politique internationale 5,38.
Et dans ces notes transparaissent un écart sociologique, bien connu dans l’ensemble de la population entre les moins diplômés (note moyenne d’intérêt pour l’actualité en dessous de 5/10) et les plus diplômés (note supérieure à 6/10). Mais ce résultat sur la politique est tout à fait en phase avec une difficulté de la jeunesse à se passionner pour l’action politique et partisane traditionnelle.
L’enquête pour The Conversation montre ainsi que l’engagement partisan est jugé peu désirable au contraire de l’engagement pour des causes précises (environnement, égalité hommes/femmes, luttes contre les discriminations…).
Engagement pour des causes qui explique que les jeunes vont chercher une information politique ailleurs que dans les médias traditionnels qui abordent encore massivement la politique par le truchement des luttes partisanes, des groupes parlementaires, etc. En lieu et place, les jeunes trouvent dans des médias plus de niche mais plus engagés, une offre informationnelle adaptée à leur engagement par les causes. On songe au bon écho reçu chez les jeunes femmes aux podcasts féministes ou dénonçant des discriminations de genre ou de sexe, par exemple.
D’autres rubriques d’information bénéficient donc de meilleures notes dans l’enquête précitée. Arrive en tête la culture (ce qui tord définitivement le cou au cliché d’une jeunesse mal informée, car abêtie) avec la note de 7, puis les sujets science et environnement (6,63) ou les sujets dits de société (dans lesquels leurs combats sont souvent traités) avec 5,9. L’enjeu environnemental correspondant à ces deux dernières catégories. Pas de totale dépolitisation de l’information dans la jeunesse donc, mais une politique autrement, ce qui induit une information politique ailleurs, sur d’autres canaux, avec d’autres tiers de confiance (blogueurs par exemple plutôt que chroniqueurs politiques à l’ancienne).
Le désir pour une autre information
Et sur la culture, il faut aussi noter que ce n’est pas la même culture que leurs aînés. C’est aussi un facteur expliquant le désir de trouver sur d’autres médias une information qui leur parle, qui correspond à leurs goûts. Car les médias traditionnels ont tendance à privilégier les pratiques et acteurs culturels les plus établis et conformes aux canons d’une culture traditionnelle (variété française et rock, considérés comme par les jeunes comme des « musiques de vieux », expositions de peinture, littérature consacrée depuis les grands classiques jusqu’aux prix littéraires de l’année, films d’auteur, festivals d’art lyrique et de musique classique).
Ce qui revient pour ces médias mainstream à exclure peu ou prou, le rap, le raï, la R’n’B Mix, les jeux vidéo, les films d’horreur, les mangas, certains programmes de téléréalité…
Mais après tout, leurs parents ou grands-parents n’ont-ils pas fait de même, en écoutant les radios libres musicales, ou en achetant une presse jeunesse de leur temps, comme Salut les copains, rock et folk ou plus tard Podium ?
Des jeunes plus touchés par la fatigue informationnelle
La baromètre annuel de la confiance dans les médias nous aide à y voir plus clair sur toutes ces différences générationnelles. Dans l’enquête publiée en janvier 2023, 68 % des 18-24 ans déclarent suivre l’actualité avec un grand intérêt, certes contre 80 % pour les 35 ans et plus, mais on est loin de l’apathie informationnelle.
Et sur la confiance dans les divers supports médiatiques pour exposer une information fiable, difficile de trouver des divergences significatives entre les générations. Les jeunes conservent la même confiance toute relative dans les médias que leurs aînés. Toutefois, la confiance dans les médias Internet est nettement plus forte que celle des plus âgées, témoignant du fait qu’ils les pratiquent et qu’ils ont su trouver des médias de confiance dans cet univers où le meilleur côtoie il est vrai le pire. 48 % des 18-24 ans pensent que les faits se sont passés plutôt comme les médias en ligne en parlent, contre 29 % seulement des plus de 35 ans qui pensent ça.
Et dans le nouveau baromètre annuel Kantar/La Croix de novembre 2023, 24 % des 18‐34 ans disent s’informer via des influenceurs (comme Hugo décrypte), contre seulement 6 % des plus de 35 ans. Le tiers de confiance est donc moins une figure de journaliste connu et reconnu. Les jeunes font davantage confiance que leurs aînés à des figures qui leur ressemblent et qui leur offrent une relation vécue comme plus horizontale et égalitaire, dans la façon de leur parler, dans le choix des sujets, dans les valeurs véhiculées.
Un point de vigilance sur le rapport des jeunes à l’information concerne le sentiment de fatigue informationnelle. Nous sommes tous confrontés à un défi anthropologique majeur : notre capacité à être tenus informés de tout ce qui se passe de terrible de par le monde est quasi illimitée mais notre capacité à agir n’a pas progressé, ce qui nous confronte fatalement à un sentiment d’impuissance très frustrant voire décourageant :
« A quoi bon continuer à s’informer sur la misère du monde, si cela me déprime et génère un profond sentiment d’impuissance ? »
On ajoutera la multiplication des sollicitations permanentes à s’informer (alertes push sur nos téléphones, messages partagés sur nos réseaux socionumériques, chaînes d’information continue…) qui peuvent provoquer une saturation. Le sentiment se développe donc que l’information est anxiogène, démoralisante.
Si toutes les tranches d’âge sont touchées, les études montrent que les jeunes la ressentent plus que d’autres. En 2022, 15 % des Français se déclarent épuisés ou stressés par les informations reçues « régulièrement » et 35 % « de temps en temps ». Dans l’évaluation de l’état d’esprit des jeunes face à l’information, dans l’étude pour The Conversation, on constate que jusqu’à 41 % peuvent se déclarer « inquiets », 34 % fatigués et 25 % angoissés. Sentiments négatifs plus prégnants chez les jeunes femmes, qui sont plus inquiètes (48 % vs 33 % des hommes) plus fatiguées (39,5 % vs 26 %), plus angoissées (31,8 % vs 18 %).
Et dans le baromètre Kantar/La Croix de janvier 2023, le sentiment de « lassitude » face à l’information est le plus fort chez les 18-24 ans (58 %) contre 47 % chez les 65 ans et plus. Et deux raisons majeures explique cette lassitude chez eux : « je me sens angoissé ou impuissant face aux informations » (33 %) et « les médias ne parlent pas des sujets importants pour moi » (30 %). Et ici l’effet générationnel est massif puisque seulement 16 % des 35 ans et plus pensent cela. Il faut dire que sur les causes qui les mobilisent (racisme, lutte contre les discriminations, environnement…) les médias leur donnent à voir de nombreux exemples déprimants (bavures policières, violences, dégâts climatiques).
On voit que la relative défiance des jeunes vis-à-vis des médias traditionnels d’information n’est pas un retrait total, dédaigneux et irresponsable, mais bien le symptôme d’une difficulté de ces médias à s’adresser aux jeunes, à capter leur intérêt en offrant des contenus renouvelés, qu’ils vont donc chercher ailleurs.
Cet article est publié dans le cadre de l’enquête exclusive « Jeune(s) en France » réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.
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Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris 2 Panthéon-Assas
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.