Des humanoïdes résistants à la pluie aux visages expressifs, la Chine avance à pas mesurés mais sûrs, portée par des milliards d’investissements publics et une ambition claire : dominer la robotique mondiale.
Sous la pluie battante de Hangzhou, le DR02 de Deep Robotics poursuit sa démonstration. Haut de 1,75 mètre, conçu pour supporter la poussière et les écarts thermiques extrêmes, ce robot (certifié IP66) illustre le changement d’échelle engagé par la Chine : des prototypes de laboratoire, le pays passe à des plateformes prêtes au déploiement. Capable de marcher à 4 m/s, de porter 20 kg, d’opérer de – 20 à + 55 °C, le DR02 se veut le premier robot humanoïde « tout-terrain » au monde, destiné à l’inspection, la logistique et la surveillance industrielle.
Faire sortir le robot humanoïde du stand de démonstration
À Wuhu, dans l’Anhui, un autre robot attirait les regards ce mois-ci lors de la Conférence mondiale de l’innovation Chery 2025. Le Mornine, développé par AiMOGA Robotics, y a mené en solo une présentation multilingue, alternant sept langues à l’écran et onze en conversation. Guidé par une navigation d’une précision annoncée de ±5 cm, il a simulé une expérience complète d’achat automobile : accueil, explication des modèles, ouverture de portière, manipulation d’objets fragiles. La scène illustrait l’objectif des industriels chinois : faire sortir le robot humanoïde du stand de démonstration pour l’inscrire dans les gestes quotidiens.
La même semaine, à Guangzhou, la 138e Foire de Canton ouvrait une zone dédiée aux robots de service. Quarante-six entreprises y participaient, attirant plus de 207 000 acheteurs préinscrits venus de 217 pays, en hausse de 14 % par rapport à l’édition précédente. Les visiteurs du Moyen-Orient ou d’Europe, nombreux à évoquer des projets d’importation, confirmaient la nouvelle visibilité des acteurs chinois.
Unitree Robotics, déjà rentable, symbolise cette maturité industrielle. Soutenue par le géant du net Alibaba, Tencent et Geely, la société prépare son entrée en Bourse sur le marché STAR de Shanghai pour la fin de l’année, avec une valorisation visée de 50 milliards de yuans, contre 12 milliards lors de son dernier tour en juillet. Son modèle H2, équipé de 31 articulations et de modules d’IA embarqués, effectue aussi bien le pliage de vêtements que la navigation dans des environnements industriels dynamiques. Son fondateur, Wang Xingxing, a même été reçu cette année par le président Xi Jinping, signe d’un soutien politique explicite.
Dans le sillage d’Unitree, AheadForm et Kepler affichent d’autres ambitions. Le premier a misé sur l’émotion : son Elf V1 dispose de trente « muscles » faciaux animés par micromoteurs et d’une peau bionique permettant des expressions synchronisées à la parole et au regard. Le second, Kepler Robotics, a lancé la production de masse de son K2 « Bumblebee », un humanoïde à architecture hybride vendu autour de 34 000 dollars et revendiquant une efficacité énergétique de 81 %. Des accords de plusieurs milliers d’unités, évalués à des centaines de millions de yuans, sont déjà signés.
Plus de 100 millions de robots d’ici 2045
Ces annonces successives ne relèvent pas du hasard car Pékin a désigné la robotique humanoïde comme secteur stratégique national. Près de 170 milliards de yuans d’investissements publics soutiennent ainsi la filière et les commandes étatiques sont passées de 4,7 millions en 2023 à 214 millions en 2024. À l’horizon 2035, le marché chinois des humanoïdes pourrait atteindre 300 milliards de yuans, avant un déploiement projeté de plus de 100 millions de robots d’ici 2045.
Alors qu’aux États-Unis, Tesla concentre ses efforts sur l’intégration avancée de l’intelligence artificielle, la Chine mise sur la rapidité d’industrialisation : fabriquer, livrer, améliorer les modèles et recommencer. Dans cette course au « moment ChatGPT » de la robotique, la force du modèle chinois repose sur un écosystème parfaitement intégré, des capteurs à la production, capable d’inonder le marché mondial avant que les concurrents n’aient fini leurs tests. Au final, on se rapproche un peu plus chaque jour des humanoïdes de la série « Robots » d’Arte, qui imaginait un robot dans chaque foyer…
