Accéder au contenu principal

Aux sources de l’IA : le prix Nobel de physique attribué aux pionniers des réseaux de neurones artificiels et de l’apprentissage machine

  Portraits de John Hopfield et Geoffrey Hinton, lauréats du prix Nobel de physique 2024 pour leurs découvertes et inventions qui ont permis de développer l'apprentissage machine avec des réseaux de neurones artificiels. Niklas Elmehed © Nobel Prize Outreach Par  Thierry Viéville , Inria Le prix Nobel de physique 2024 récompense des travaux précurseurs de John Hopfield et Geoffrey Hinton sur les réseaux de neurones artificiels, à la base de l’apprentissage machine. Ces travaux ont participé au développement de l’intelligence artificielle, qui chamboule aujourd’hui de nombreux secteurs d’activité. C’est à une question simple que John Hopfield et Geoffrey Hinton ont apporté une réponse qui leur vaut aujourd’hui le prix Nobel de physique : « Quelle est la description la plus simple que nous pourrions faire de nos neurones, ces composants du cerveau, siège de notre intelligence ? » Un neurone, qu’il soit artificiel ou biologique, est u

Comment l’« alt-right » à la française s’approprie les codes de TikTok, Instagram ou YouTube

altright
Navigation sur des chaines YouTube de l'Alt-Right française. J.G/The Conversation, CC BY-NC-ND

 


Par Nicolas Baygert, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Nul doute que les plates-formes en ligne constituent des espaces d’engagement civique et d’expression politique, plus particulièrement chez les jeunes. Les médias sociaux et les sous-cultures qu’elles renforcent remplissent une fonction non seulement d’organisation et de recrutement, mais aussi d’espace d’éducation et de socialisation politique pour adolescents et jeunes adultes.

Pour diffuser leurs idées, aux États-Unis comme en France, les influenceurs de la droite alternative « alt-right » se sont, sans surprise, approprié la grammaire et les gabarits prédéfinis de YouTube, Instagram ou TikTok.

Le terme alt-right est complexe à définir. Il peut être compris comme un terme générique désignant une coalition d’activistes en ligne opérant principalement dans les pays anglophones. Dans la recherche, l’alt-right est considérée comme une alliance englobant la culture de trolls en ligne, la mouvance masculiniste et les identitaires, avec des variations significatives des influences et des pratiques.

Sentiment de déclin civilisationnel

L’alt-right s’adresse spécifiquement aux jeunes générations partageant le sentiment d’un déclin civilisationnel corrélé aux poussées « immigrationnistes », « multiculturalistes » et plus récemment « wokistes ».

La fréquente convocation des termes de réacosphère ou de fachosphère dans le champ médiatique français atteste de l’importance accordée en France à ce phénomène. Pour Philippe-Joseph Salazar, professeur de rhétorique à l’université du Cap et auteur de « Suprémacistes. L’Enquête mondiale chez les gourous de la droite identitaire », le terme fachosphère désigne l’ensemble des acteurs ayant, depuis une dizaine d’années, appris à exploiter Internet et à redéployer le militantisme « grassroots », c’est-à-dire un activisme émanant de mobilisations spontanées et favorisant une organisation horizontale et participative.

En France, les médias témoignent d’un intérêt grandissant pour une nouvelle galaxie d’idéologues hexagonaux ayant dressé leur camp sur YouTube, Twitter, ou TikTok. Ceux-ci mènent une lutte métapolitique d’inspiration gramscienne – l’idée que le combat se mène d’abord sur le terrain culturel – avec pour objectif de développer un imaginaire alternatif, capable de rivaliser avec le « politiquement correct » véhiculé par les médias mainstream.

Faire un « contre Canal+ culturel »

Dans une interview datant de 2018, le youtubeur, pamphlétaire et influenceur d’extrême droite Papacito, évoquait déjà sa volonté de « faire un contre Canal+ culturel. Qui soit aussi fun, mais porteur d’idées patriotes et plus réactionnaires ».

À mille lieues du duo de youtubeurs stars Mcfly et Carlito, à l’humour potache dépolitisé (ce qui ne les a pas empêchés d’être reçus à l’Élysée), les influenceurs de l’alt-right française véhiculent des messages politiquement chargés : opération de « reconquista idéologique » à travers des tutoriels « lifestyle » masculinistes et volonté affichée de renouer avec un art de vivre enraciné, libéré de sa tutelle « woke ».

Proposant une socialisation politique alternative aux jeunes électeurs, les idéologues des réseaux oscillent entre parcours « en solo » et activisme coordonné. Le casque vissé sur les oreilles, le youtubeur Raptor, commente l’actualité dans ses « Raptor Talks » (capsules dépassant régulièrement les 600 000 vues) à grand renfort de mèmes. Son credo ? « Une revue d’actualité avec une bonne grosse dose de haine », comme il le dit lui-même.

Les codes de la dissidence s’américanisent

Comme le note le journaliste Paul Conge, auteur d’une enquête sur les « Les Grand-remplacés », ces figures se sont habilement fondues dans la LOL-culture, « gameuse », née sur les forums très fréquentés de jeuxvideo.com.

On remarquera au passage que les codes de la dissidence s’américanisent. Le discours « patriote » jadis francocentré s’efface régulièrement au profit d’un humour transgressif franchisé : ressorts humoristiques « netflixisés », icônes alt-right globalisées (à l’instar de « Pepe the frog »).

Aux États-Unis, cette mouvance alt-right a produit une sémantique propre au groupe avec des termes comme cuckservative (conservateur cocu, c’est-à-dire assujetti au « politiquement correct ») ou « SJW » (social justice warrior, « guerrier de la justice sociale », issu du camp progressiste).

TikTokeurs identitaires

Le pseudonyme d’Estelle RedPill, influenceuse d’extrême droite, renvoie également à la pilule rouge du film Matrix (1999), censée dévoiler le réel. Très médiatisée cette année, bien que récemment bannie de TikTok pour la neuvième fois, l’influenceuse (de son vrai nom Estelle Rodriguez) a longtemps incarné cette nouvelle génération de TikTokeurs « patriotes » ou identitaires, multipliant les formats courts caractéristiques de la plate-forme, depuis sa chambre.

L’influenceuse Estelle Redpill en compagnie de l’écrivain français d’extrême droite Renaud Camus, théoricien du « Grand remplacement ».

On notera que le processus de production de contenu simplifié et favorable aux mèmes, ainsi que l’extrême jeunesse des utilisateurs, font de TikTok un terrain particulièrement fertile pour l’observation des engagements des jeunes, comme l’indique cette étude récente.

Dans une autre recherche sur l’utilisation de TikTok par l’extrême droite [« Far-right »], Gabriel Weimann et Natalie Masri épinglent la page « For You » de ce réseau social.

Dans leur étude, les chercheurs ont constaté qu’après avoir visionné des vidéos d’extrême droite, la page « For You » commençait à recommander des vidéos similaires basées sur le contenu visionné, alors qu’ils n’interagissaient avec aucun de ces utilisateurs et ne les suivaient pas.

TikTok pourrait de ce fait amener les jeunes utilisateurs qui commencent à être exposés à ce type de contenu (parfois par accident) à visualiser quantité de ces mêmes vidéos dans le futur, offrant à cette plate-forme un haut potentiel métapolitique.

Convivialité gaillarde

D’autres acteurs choisissent de s’inscrire dans une dynamique collaborative. Papacito et l’ancien président du Front national de la jeunesse, l’essayiste Julien Rochedy, signent ainsi un ouvrage commun.

Ces deux figures sont régulièrement accueillies par Baptiste Marchais sur sa chaîne YouTube « Bench & Cigars », aux 234 000 abonnés, diffusant des idées de droite identitaire, sous couvert d’humour et de bonne chère.

Cette dynamique conversationnelle fonctionne sur le principe de l’hypertexte : des contenus renvoyant vers d’autres contenus, consolidant de la sorte un corpus référentiel (culturel, historique et spirituel) commun. Une convivialité gaillarde qui se distingue notamment par l’expression d’une grivoiserie fustigeant l’esprit de sérieux du camp d’en face.

Citons, à titre d’exemple, cette vidéo récente postée sur YouTube (dépassant les 700 000 vues) dans laquelle les protagonistes susmentionnés décortiquent l’émission « d’Arrêt sur images » consacrée à l’humour dans la fachosphère sur YouTube. Une performance ludique sous forme de mise en abyme.

L’interaction entre ces acteurs suit une logique « socio-sémiotique ». La « socio-sémiotique » conçoit les productions signifiantes d’un ensemble d’acteurs comme un processus réflexif plus complexe par lequel ils organisent le monde et s’organisent en son sein – une dynamique d’association se présentant ici sous l’aspect d’une camaraderie numérique.

Dans son article sur l’alt-right américaine, Philippe-Joseph Salazar démontre comment celle-ci parvient à rassembler une communauté d’acteurs et un collectif d’auteurs esquissant les contours d’une « communauté [fellowship] de discours » tournée vers l’avenir.

Dans son dernier « Entretien Choc », Papacito partage ainsi sa volonté de fédérer un ensemble de personnalités susceptibles de « parler à différentes strates de la société » – une ambition se matérialisant par le lancement prochain d’un trimestriel intitulé « La Furia » regroupant un collectif d’auteurs élargi. La revue se présente comme « occasion unique d’occuper l’espace, de réarmer les esprits. D’offrir à la reconquête un vaisseau amiral ».

Gettr, nouveau réseau de l’alt-right

Enfin, pour maintenir le lien avec son audience agrégée, l’objectif de cette nébuleuse en voie de consolidation est de s’immuniser contre toute possibilité de censure de la part des plates-formes.

Le risque – réel – a récemment convaincu certains acteurs à rejoindre Gettr (voir à ce sujet l’analyse de France Inter), un réseau social créé par un ex-conseiller de Donald Trump et présenté comme un lieu « indépendant des grands médias, indépendant de la “cancel culture” et embrassant la liberté d’expression ».

À côté de l’équipe de campagne d’Éric Zemmour, d’ores et déjà présente sur ce réseau, on y retrouve justement Baptiste Marchais et Papacito. Cette migration numérique d’une « diaspora alt-right » vers d’autres plates-formes est plus que jamais susceptible d’accroître le phénomène de sécession de la « réacosphère », à savoir la dislocation d’un espace public en ligne en chambres d’écho autoréférentielles ; d’écosystèmes médiatiques en vase clos soumis, de part et d’autre, aux biais de confirmation et au renforcement idéologique.The Conversation

Nicolas Baygert, Maître de conférences à l'Université libre de Bruxelles, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra

Comment les machines succombent à la chaleur, des voitures aux ordinateurs

  La chaleur extrême peut affecter le fonctionnement des machines, et le fait que de nombreuses machines dégagent de la chaleur n’arrange pas les choses. Afif Ramdhasuma/Unsplash , CC BY-SA Par  Srinivas Garimella , Georgia Institute of Technology et Matthew T. Hughes , Massachusetts Institute of Technology (MIT) Les humains ne sont pas les seuls à devoir rester au frais, en cette fin d’été marquée par les records de chaleur . De nombreuses machines, allant des téléphones portables aux voitures et avions, en passant par les serveurs et ordinateurs des data center , perdent ainsi en efficacité et se dégradent plus rapidement en cas de chaleur extrême . Les machines génèrent de plus leur propre chaleur, ce qui augmente encore la température ambiante autour d’elles. Nous sommes chercheurs en ingénierie et nous étudions comment les dispositifs mécaniques, électriques et électroniques sont affectés par la chaleur, et s’il est possible de r

De quoi l’inclusion numérique est-elle le nom ?

Les professionnels de l'inclusion numérique ont pour leitmotiv la transmission de savoirs, de savoir-faire et de compétences en lien avec la culture numérique. Pexels , CC BY-NC Par  Matthieu Demory , Aix-Marseille Université (AMU) Dans le cadre du Conseil National de la Refondation , le gouvernement français a proposé au printemps 2023 une feuille de route pour l’inclusion numérique intitulée « France Numérique Ensemble » . Ce programme, structuré autour de 15 engagements se veut opérationnel jusqu’en 2027. Il conduit les acteurs de terrain de l’inclusion numérique, notamment les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (les structures intermédiaires ayant pour objectif la mise en relation de l’État avec les structures locales), à se rapprocher des préfectures, des conseils départementaux et régionaux, afin de mettre en place des feuilles de route territoriales. Ces documents permettront d’organiser une gouvernance locale et dé

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean Phillips. En