En cette « année électorale » 2024, où vote la moitié de la planète, la présidentielle américaine est cruciale pour l’avenir des nouvelles technologies. En particulier, nombre des géants du numérique sont américains.
Ainsi, le ou la prochain président américain aura une influence sur les lois qui chercheront, ou pas, à équilibrer les contributions des systèmes d’intelligence artificielle, à protéger la vie privée des citoyens, ou à ajuster les situations de monopoles commerciaux. Quels sont les bilans des deux candidats sur ces sujets ?
Il n’est pas surprenant que la réglementation des technologies soit un thème important de la campagne présidentielle américaine de 2024.
Les technologies numériques – des algorithmes des médias sociaux aux systèmes d’intelligence artificielle basés sur des grands modèles de langage – ont profondément affecté la société ces dix dernières années. Ces changements se sont étalés sur les administrations Trump et Biden-Harris et ont suscité une forte demande auprès du gouvernement fédéral pour qu’il réglemente les technologies et les puissantes entreprises qui les manient.
Je suis chercheuse en systèmes d’information et en IA et j’ai examiné le bilan des deux candidats à l’élection présidentielle américaine de ce 5 novembre en matière de réglementation des technologies.
Voici les principales différences.
Des algorithmes préjudiciables
Les outils d’intelligence artificielle étant désormais très répandus, les gouvernements du monde entier doivent aborder la difficile question de la régulation de ces technologies aux multiples facettes.
Les candidats à la présidentielle américaine proposent des visions différentes de la politique américaine en matière d’intelligence artificielle. Une des différences notables tient à la reconnaissance des risques liés à l’utilisation généralisée de l’IA.
En effet, l’IA affecte tous les pans de la société de façons qui passent parfois inaperçues mais peuvent avoir des conséquences importantes. Ainsi, les biais dans les algorithmes utilisés pour les prêts et les décisions d’embauche pourraient finir par renforcer un cercle vicieux de discrimination. Par exemple, un étudiant qui ne peut pas obtenir de prêt pour l’université aurait moins de chances d’obtenir l’éducation nécessaire pour sortir de la pauvreté.
Lors du sommet sur la sécurité de l’IA (AI Safety Summit) qui s’est tenu au Royaume-Uni en novembre 2023, Kamala Harris a évoqué les promesses de l’IA, mais aussi les dangers que représentent les biais algorithmiques, les « deepfakes » et les arrestations abusives.
Joe Biden a signé un décret sur l’IA le 30 octobre 2023, qui reconnaît que les systèmes d’IA peuvent présenter des risques inacceptables d’atteinte aux droits civils et humains et au bien-être des individus. Parallèlement, des agences fédérales telles que la Federal Trade Commission ont pris des mesures d’applications de lois existantes pour protéger les utilisateurs contre les préjudices algorithmiques.
En revanche, l’administration Trump n’a pas pris position publiquement sur la limitation de ces mêmes risques algorithmiques, et Donald Trump a déclaré qu’il voulait abroger le décret sur l’IA du président Biden. Toutefois, il a récemment évoqué lors d’interviews les dangers liés à des technologies telles que les deepfakes, ainsi que les défis posés par les systèmes d’IA en termes de sécurité, suggérant une volonté de s’attaquer aux risques croissants liés à l’IA.
Normes et standards technologiques
L’administration Trump a signé le décret sur l’initiative américaine en matière d’IA (American AI Initiative) le 11 février 2019. Ce décret promet de doubler les investissements dans la recherche sur l’IA et établit la première série d’instituts nationaux américains de recherche sur l’IA. Le décret comprend également un plan pour standardiser et établir des normes techniques pour l’IA et établit des orientations pour l’utilisation de l’IA par le gouvernement fédéral.
Le 3 décembre 2020, M. Trump a également signé un décret promouvant l’utilisation d’une IA digne de confiance au sein du gouvernement fédéral.
L’administration Biden-Harris a tenté d’aller plus loin. Harris a convoqué les dirigeants de Google, de Microsoft et d’autres entreprises technologiques à la Maison Blanche le 4 mai 2023, pour prendre une série d’engagements volontaires afin de protéger les droits des individus.
De plus, le décret de l’administration Biden contient une initiative importante visant à sonder la vulnérabilité de modèles d’IA de très grande taille et à usage général entraînés sur des quantités massives de données : le but est de déterminer les risques que des modèles comme ChatGPT d’OpenAi ou DALL-E se fassent pirater par des hackers.
Droit de la concurrence
L’application de la législation antitrust – qui restreint ou conditionne les fusions et acquisitions d’entreprises pour limiter les monopoles – est un autre moyen pour le gouvernement fédéral de réglementer l’industrie technologique.
En termes de droit de la concurrence, l’administration Trump a tenté de bloquer l’acquisition de Time Warner par AT&T – mais la fusion a finalement été autorisée par un juge fédéral après que la FTC, sous l’égide de l’administration Trump, a intenté une action en justice pour bloquer l’opération. L’administration Trump a également intenté une action antitrust contre Google en raison de sa position dominante dans le domaine de la recherche sur Internet.
Côté démocrate, le 9 juillet 2021, Joe Biden a signé un décret visant à faire appliquer les lois antitrust découlant des effets anticoncurrentiels des plates-formes Internet dominantes. Le décret vise également l’acquisition de concurrents naissants, l’agrégation de données, la concurrence déloyale sur les marchés de l’attention et la surveillance des utilisateurs. L’administration Biden-Harris a engagé des procédures antitrust contre Apple et Google. Les lignes directrices sur les fusions en 2023 de l’administration Biden-Harris ont défini des règles pour déterminer quand les fusions peuvent être considérées comme anticoncurrentielles.
Ainsi, bien que les deux administrations aient engagé des procédures antitrust, la pression de l’administration Biden semble plus forte en termes d’impact sur la réorganisation potentielle ou même l’orchestration d’un démantèlement d’entreprises dominantes telles que Google.
Crypto-monnaies
Les candidats ont des approches différentes de la réglementation des crypto-monnaies.
Vers la fin de du mandat de l’administration Trump, ce dernier a tweeté en faveur d’une réglementation des crypto-monnaies et le réseau fédéral Financial Crimes Enforcement Network a proposé une réglementation qui aurait obligé les sociétés financières à collecter l’identité de tout portefeuille de crypto-monnaie auquel un utilisateur a envoyé des fonds. Cette réglementation n’a pas été promulguée.
Depuis, Trump a modifié sa position sur les crypto-monnaies. Il a critiqué les lois américaines existantes et appelé les États-Unis à devenir une superpuissance du bitcoin. La campagne de Trump est la première campagne présidentielle à accepter des paiements en crypto-monnaies.
L’administration Biden-Harris, en revanche, a défini des restrictions réglementaires sur les crypto-monnaies avec la Securities and Exchange Commission, ce qui a donné lieu à une série de mesures d’application. La Maison Blanche a opposé son veto à la loi sur l’innovation financière et la technologie pour le XXIe siècle (Financial Innovation and Technology for the 21st Century Act) qui visait à clarifier la comptabilité des crypto-monnaies, un projet de loi favorisé par le secteur des crypto-monnaies.
Confidentialité des données et vie privée
Le décret sur l’IA de Joe Biden invite le Congrès à adopter une législation sur la protection de la vie privée, mais ne fournit pas de cadre législatif à cet effet.
L’initiative américaine sur l’IA de la Maison Blanche de Trump ne mentionne la protection de la vie privée qu’en termes généraux, appelant les technologies d’IA à respecter « les libertés civiles, la vie privée et les valeurs américaines ». Le décret ne mentionne pas la manière dont les protections existantes de la vie privée seront mises en œuvre.
Aux États-Unis, plusieurs États ont tenté d’adopter une législation portant sur certains aspects de la confidentialité des données : à l’heure actuelle, il existe une mosaïque d’initiatives au niveau des États et une absence de législation globale sur la confidentialité des données au niveau fédéral.
La rareté de ces mesures fédérales visant à protéger les données et la vie privée indique clairement que, si les deux candidats à l’élection présidentielle américaine s’attaquent bien à certains des défis posés par l’évolution de l’IA et des technologies numériques plus généralement, il reste encore beaucoup à faire pour réguler ces secteurs dans l’intérêt du public.
Globalement, les efforts de l’administration Biden pour réguler les technologies et la concurrence afférente semblent alignés sur l’objectif de maîtriser les entreprises technologiques et de protéger les consommateurs. Il s’agit également de réimaginer les protections monopolistiques pour le XXIe siècle. Il semble que ce soit là la principale différence entre les deux administrations.
Anjana Susarla, Professor of Information Systems, Michigan State University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.