Accéder au contenu principal

Bilan de VivaTech 2025 : l’IA en étendard, la tech en convergence

Jamais VivaTech n’avait autant misé sur l’intelligence artificielle : plus de 40 % des exposants présentaient cette année des solutions fondées sur des technologies d’IA, qu’elles soient génératives, prédictives, embarquées ou souveraines. L’AI Avenue, animée notamment par Salesforce, a vu défiler une foule dense autour des démonstrations de startups comme Buddyo, Vrai AI ou Next. Plusieurs annonces ont également rythmé ces quatre jours, à commencer par la création de “Mistral Compute” – une nouvelle infrastructure européenne de calcul IA lancée en partenariat entre NVIDIA et Mistral AI. Pour la première fois, le GTC Paris – grand-messe technologique de NVIDIA – s’est tenu dans le cadre de VivaTech, symbolisant la convergence des écosystèmes.  Un carrefour mondial d’entrepreneuriat Avec plus de 14 000 jeunes pousses venues de 120 pays et 50 pavillons nationaux, VivaTech s’est imposé comme le cœur battant du capital-risque européen. Les investisseurs les plus influents (Accel, Sequo...

Les start-ups « deep tech » : une réponse aux enjeux du XXIᵉ siècle ?

 

deeptech

Par Benjamin Cabanes, Mines Paris - PSL

Depuis quelques années, la « deep tech » a le vent en poupe. Mais que désigne ce terme ? Au-delà de la mode, le concept mobilise de vrais enjeux scientifiques, financiers mais aussi sociétaux.


Le terme « deep tech » s’impose aujourd’hui comme un concept central dans les domaines de l’innovation, de la recherche scientifique et des politiques publiques d’innovation. Popularisé en 2015 par Swati Chaturvedi, fondatrice de la plateforme Propel(x), il désigne des innovations fondées sur des découvertes scientifiques majeures, mobilisant des technologies de rupture pour répondre à des défis sociétaux fondamentaux.

Par contraste avec les start-ups du numérique reposant sur des modèles économiques innovants mais peu intensifs en R&D, les start-ups deep tech s’appuient sur des avancées issues des sciences fondamentales ou de l’ingénierie avancée, dans des secteurs tels que la biotechnologie, l’intelligence artificielle, l’énergie, les nanotechnologies ou encore la robotique.

En 2024, environ 9 milliards d’euros ont été investis dans des start-ups deep tech en Europe, à travers 454 levées de fonds. Ces investissements se sont concentrés sur plusieurs secteurs technologiques de pointe :

  • dans le domaine de l’intelligence artificielle, des entreprises comme Mistral AI ont levé 468 millions d’euros en série B, tandis qu’Aqemia a réuni 30 millions d’euros en série A ;

  • l’industrie spatiale a également attiré des capitaux importants, à l’image de The Exploration Company, qui a levé 150 millions d’euros en série B ;

  • le secteur des technologies quantiques a vu des opérations majeures, avec notamment Quantinuum (273 millions d’euros en série D) et Riverlane (70 millions d’euros en série C).

Une double définition : extension et compréhension

Le concept de deep tech peut être approché de deux manières complémentaires. La première, dite définition en extension, consiste à énumérer les secteurs technologiques concernés : intelligence artificielle, informatique quantique, cybersécurité, sciences des matériaux… Elle permet de cartographier les champs d’application de la deep tech et d’identifier les écosystèmes qui y sont associés. Des initiatives comme PariSante Campus en France ou le Climate Tech Super Cluster en Europe s’inscrivent dans cette logique sectorielle, soutenant des filières stratégiques dans une logique de compétitivité et de souveraineté.

La seconde approche, dite « en compréhension », s’intéresse aux caractéristiques fondamentales des projets deep tech. Ceux-ci se distinguent par une forte intensité en recherche et développement, un contenu scientifique poussé, une collaboration étroite avec des laboratoires publics, une protection de l’innovation par des brevets, ainsi qu’une vocation sociétale affirmée. L’objectif de ces projets est de transformer durablement nos modes de vie en répondant à des enjeux complexes, souvent liés à la transition énergétique, à la santé ou à l’agriculture durable. Par ces éléments, la deep tech se différencie nettement des innovations dites « shallow tech », qui reposent davantage sur l’usage de technologies existantes intégrées à des modèles économiques innovants – comme c’est le cas pour des entreprises telles qu’Uber, Airbnb ou Facebook.

Un profil de risque différent et un potentiel stratégique

Contrairement à une idée reçue, les projets deep tech ne se distinguent pas nécessairement par un niveau de risque plus élevé que les autres projets entrepreneuriaux, mais par un profil de risque spécifique, qui s’exprime à plusieurs niveaux : technologique, financier, commercial et organisationnel. Sur le plan technologique, ils s’appuient sur des technologies émergentes ou de rupture, issues de la recherche scientifique, dont la maturité reste souvent faible. Sur le plan financier, ils exigent des investissements en R&D particulièrement lourds, mobilisés sur le long terme. Commercialement, ces projets évoluent dans un environnement incertain, où les marchés sont encore inexistants ou en cours de structuration, rendant difficiles la validation des usages et l’élaboration d’un modèle économique pérenne. Sur le plan organisationnel, leur complexité tient à la nécessité de coordonner des acteurs issus d’univers variés – laboratoires, universités, investisseurs, industriels – autour de dynamiques collaboratives. Ce profil de risque différencié requiert des dispositifs d’accompagnement et de financement adaptés, distincts de ceux habituellement conçus pour les innovations numériques ou incrémentales.

Malgré ces contraintes, la deep tech constitue un levier stratégique majeur. Elle est de plus en plus perçue comme un instrument de souveraineté technologique, particulièrement dans un contexte géopolitique marqué par des tensions accrues. Les États cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis de puissances étrangères dans des secteurs critiques tels que les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle ou la défense. Des initiatives telles que le CHIPS and Science Act aux États-Unis ou l’ European Chips Act en Europe illustrent cette volonté de réindustrialisation et de sécurisation des chaînes de valeur.

Ensuite, la deep tech représente un moteur potentiel de croissance économique, en contribuant à la création de nouveaux marchés, à l’émergence de filières industrielles et à la modernisation de l’appareil productif. En cela, elle s’inscrit dans la continuité des théories économiques de la croissance endogène, qui placent l’innovation technologique au cœur du développement économique. Toutefois, les promesses de transformation doivent être confrontées au « paradoxe de Solow » : les progrès technologiques récents ne se traduisent pas nécessairement par des gains significatifs de productivité.

Vers une innovation sociétale ?

La deep tech n’est pas uniquement un vecteur de performance économique : elle joue un rôle croissant dans les dynamiques de collaboration entre université, industrie et société. Elle incarne une transformation profonde du système d’innovation, marqué par une interdépendance accrue entre acteurs publics et privés. Cette évolution appelle à repenser les modalités du transfert de technologie, les rôles des universités et les modèles de soutien public.

Pôle Systématic Paris France, 2024.

Mais elle soulève aussi des questions critiques. Si la deep tech est souvent présentée comme une solution aux grands défis sociétaux (climat, santé, sécurité alimentaire), elle peut aussi véhiculer une vision « techno-solutionniste » réductrice. Miser exclusivement sur la technologie pour répondre à des problèmes complexes peut conduire à négliger leurs dimensions sociales, politiques ou culturelles, et générer des effets rebonds non anticipés.

Bien plus qu’un simple effet de mode, la deep tech est le symptôme d’une transformation profonde des régimes d’innovation, à la croisée de la science, de l’économie et des politiques publiques. Si elle offre un potentiel considérable pour répondre aux défis contemporains, elle doit être pensée dans une perspective systémique et critique, qui prenne en compte les limites planétaires, les inégalités sociales et les finalités collectives de l’innovation.The Conversation

Benjamin Cabanes, Enseignant-chercheur en sciences de gestion, Mines Paris - PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Posts les plus consultés de ce blog

Le bipeur des années 80 plus efficace que le smartphone ?

Par André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School (City University of London) : Vous vous souvenez des bipeurs ? Ces appareils étaient utilisés largement avant l'arrivée massive des téléphones portables et des SMS. Si vous aviez un bipeur, vous pouviez recevoir des messages simples, mais vous ne pouviez pas répondre. Un des rares endroits où on peut encore en trouver aujourd’hui sont les hôpitaux. Le Service National de Santé au Royaume-Uni (National Health Service) en utilise plus de 130 000. Cela représente environ 10 % du nombre total de bipeurs présents dans le monde. Une récente enquête menée au sein des hôpitaux américains a révélé que malgré la disponibilité de nombreuses solutions de rechange, les bipeurs demeurent le moyen de communication le plus couramment utilisée par les médecins américains. La fin du bipeur dans les hôpitaux britanniques ? Néanmoins, les jours du bipeur dans les hôpitaux britanniques pourraient être compté...

Quelle technologie choisir pour connecter les objets ?

Par Frédéric Salles, Président et co-fondateur de Matooma   En 2021, le nombre total d'objets connectés utilisés atteindra les 25 milliards selon Gartner. Il est ainsi légitime de se demander quelles sont les technologies principales permettant de connecter les objets, et quelle pourrait être celle la plus adaptée pour sa solution. Un projet de vidéosurveillance par exemple n'aura absolument pas les mêmes besoins qu'un projet basé sur le relevé de température au milieu du désert. Ainsi pour trouver la meilleure connectivité pour son objet, de nombreuses questions peuvent se poser : mon objet fonctionne-t-il sur batterie ou est-il alimenté ? Mon objet restera-t-il statique ou sera-t-il mobile ?  Mon objet est-il susceptible d'être dans un endroit difficile d'accès ou enterré ? A quelle fréquence mes données doivent-elles remonter ? Etc. Voici les différentes solutions actuellement disponibles sur le marché. Courte distance : RFID/Bluetooth/WiFi La RFID (Ra...

La fin du VHS

La bonne vieille cassette VHS vient de fêter ses 30 ans le mois dernier. Certes, il y avait bien eu des enregistreurs audiovisuels avant septembre 1976, mais c’est en lançant le massif HR-3300 que JVC remporta la bataille des formats face au Betamax de Sony, pourtant de meilleure qualité. Ironie du sort, les deux géants de l’électronique se retrouvent encore aujourd’hui face à face pour déterminer le format qui doit succéder au DVD (lire encadré). Chassée par les DVD ou cantonnée au mieux à une petite étagère dans les vidéoclubs depuis déjà quatre ans, la cassette a vu sa mort programmée par les studios hollywoodiens qui ont décidé d’arrêter de commercialiser leurs films sur ce support fin 2006. Restait un atout à la cassette VHS: l’enregistrement des programmes télé chez soi. Las, l’apparition des lecteurs-enregistreurs de DVD et, surtout, ceux dotés d’un disque dur, ont sonné le glas de la cassette VHS, encombrante et offrant une piètre qualité à l’heure de la TNT et des écrans pl...

6 questions sur Zone-telechargement

Quel était ce site ? Zone-telechargement.com était jusqu'à lundi soir l'un des plus gros sites web français proposant de télécharger des contenus numériques illégaux. En grande majorité des films parfois très récents ; des séries télé notamment américaines qui n'étaient pas diffusées en France ; de la musique ; des logiciels et des jeux vidéo. Les séries et les films étaient disponibles en différentes qualités et ceux en langue anglaise étaient sous-titrés grâce à des communautés d'utilisateurs capables de sous-titrer des épisodes de série 24 heures après leur diffusion aux États-Unis. Le site comptabilisait, selon la gendarmerie, en moyenne 140 millions de pages vues par mois et 11 000 téléchargements par jour. La société Alexa affichait Zone-Telechargement à la 11e place des sites les plus visités de France… devant Twitter ! Zone-Telechargement proposait 18 000 films, 2 500 séries télé ; 11 000 documentaires ; 20 943 émissions télé ; plus de 150 000 MP3 mais aus...

Deepfakes, vidéos truquées, n’en croyez ni vos yeux ni vos oreilles !

Par  Divina Frau-Meigs , Auteurs historiques The Conversation France Les spécialistes en fact-checking et en éducation aux médias pensaient avoir trouvé les moyens de lutter contre les « deepfakes » , ou hypertrucages , ces manipulations de vidéos fondées sur l’intelligence artificielle, avec des outils de vérification comme Invid-Werify et le travail des compétences d’analyse d’images (littératie visuelle), avec des programmes comme Youverify.eu . Mais quelques cas récents montrent qu’une nouvelle forme de cyberattaque vient de s’ajouter à la panoplie des acteurs de la désinformation, le deepfake audio. Aux États-Unis, en janvier 2024, un robocall généré par une intelligence artificielle et prétendant être la voix de Joe Biden a touché les habitants du New Hampshire, les exhortant à ne pas voter, et ce, quelques jours avant les primaires démocrates dans cet État. Derrière l’attaque, Steve Kramer, un consultant travaillant pour un adversaire de Biden, Dean ...

D’IBM à OpenAI : 50 ans de stratégies gagnantes (et ratées) chez Microsoft

  Paul Allen et Bill Gates en 1970 à Lakeside School (Seattle). Microsoft naîtra cinq ans plus tard. Auteur inconnu/Wikimedia Par  Frédéric Fréry , ESCP Business School Insubmersible. Même la vague des Gafa n’a pas vraiment atteint Microsoft. Cinquante ans après sa création, soit une éternité dans le monde de la tech, la firme de Bill Gates et Paul Allen est toujours là et bien là. Retour sur ce qu’on appelle outre-Atlantique, une success-story avec quelques échecs. Cette semaine, Microsoft fête ses 50 ans. Cet article a été écrit sur Microsoft Word, à partir d’un ordinateur équipé de Microsoft Windows, et il sera vraisemblablement publié sur des plateformes hébergées par Microsoft Azure, notamment LinkedIn, une filiale de Microsoft qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est dire l’influence de cette entreprise qui, en 2024, a dégagé un bénéfice net de 88 milliards de dollars po...