La France fait face à une intensification des ingérences numériques. À l’approche des élections municipales, les autorités, de Viginum à la CNCCFP, alertent sur les risques de manipulation du débat public et appellent les candidats à se préparer.
Alors que le ministère de l’intérieur a fait cette semaine l’objet d’un cyberpiratage visant des fichiers sensibles – le Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) et le Fichier des personnes recherchées (FPR) – et que d’autres organismes publics ont aussi été visés, la France a également été victime d’une fake news, en l’occurrence une vidéo générée par intelligence artificielle annonçant un coup d’état militaire dans le pays.
En déplacement à Marseille dans le cadre de sa tournée nationale entamée le 12 novembre à La Dépêche sur « La démocratie face aux réseaux sociaux et aux algorithmes », Emmanuel Macron a vivement dénoncé cette opération qui illustre le niveau de la cybermenace – attaques ou ingérences étrangères – à des fins de déstabilisation.
Faux sites d’actualités locales
Une cybermenace qui pourrait directement perturber notre prochain scrutin électoral : les municipales de mars 2026. Alors que depuis début 2025, notre pays est l’une des principales cibles du réseau d’influence russe CopyCop, identifié comme une opération coordonnée par John Mark Dougan depuis Moscou, avec le soutien du GRU (le service de renseignement militaire russe) et du Centre d’expertise géopolitique (CGE), un rapport du groupe de recherche américain Insikt, spécialisé dans les menaces cyber, expliquait fin octobre avoir recensé au moins 141 faux sites d’information français, créés entre février et juin 2025.
Ces sites diffusent massivement du contenu généré par intelligence artificielle autour des mêmes thèmes récurrents : la défiance envers les institutions françaises avec des accusations inventées de corruption ou d’abus de pouvoir visant des responsables politiques et judiciaires ou de faux faits divers locaux liés à des étrangers. On a aussi vu ces derniers jours qu’au moins 16 sites de médias fictifs francophones du réseau Storm-1516, affilié au Kremlin, cherchent à amplifier en ligne le mouvement des agriculteurs. Les objectifs sont les mêmes : exacerber les débats locaux (ou nationaux) lors de la campagne électorale.
Dans ce contexte, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a publié début septembre un guide d’alerte pour les candidats, soulignant explicitement le risque d’ingérences étrangères et appelant à la vigilance face à toute aide ou financement dont la provenance pourrait être suspecte.
Reconnaître les menaces
Cette semaine, Viginum – le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques – a lui aussi publié un guide à destination des candidats : « Protéger le débat public numérique en contexte électoral – Guide de sensibilisation à l’attention des équipes de campagne ». Viginum a listé quatre grands risques : décrédibilisation du processus électoral (scrutin présenté comme truqué ou inutile), polarisation du débat public par l’instrumentalisation de sujets clivants, délégitimation des médias d’information au profit de sources alternatives manipulées et enfin atteinte à la réputation de candidats ou de partis.
Le guide présente les principaux modes opératoires et techniques qui pourraient être utilisés contre le scrutin et les candidats. Dans la palette de techniques sophistiquées, on trouve notamment l’usurpation d’identité (faux sites de médias, de partis ou d’institutions), la création de faux médias et faux reportages, la manipulation de la procédure électorale (fausses dates, rumeurs de fraude), l’usage de comptes inauthentiques (bots, trolls, astroturfing, copy-pasta), les publicités politiques détournées et ciblées, le recours dissimulé à des influenceurs rémunérés, la manipulation algorithmique via hashtags sur les réseaux sociaux, la décontextualisation d’images, de vidéos ou de propos, et bien sûr l’utilisation de l’intelligence artificielle, notamment les deepfakes, pour produire du « faux crédible ». Viginum illustre chaque technique par des exemples récents en France et à l’étranger (États-Unis, Roumanie, Espagne).
Bonnes pratiques
Pour se prémunir de ces actions malveillantes, Viginum recommande aux candidats une stratégie en trois temps. D’abord sensibiliser et former les équipes à identifier les sujets à risque et à mettre en place une veille dédiée. Ensuite, se préparer en organisant des exercices de gestion de crise et en définissant une communication de crise. Enfin, réagir en vérifiant les sources, ne pas relayer les fausses informations, signaler les contenus aux plateformes et aux organismes comme l’Arcom et Pharos, aux forces de l’ordre ou à Viginum selon les cas.
Préserver l’intégrité du débat démocratique numérique est un impératif et suppose la responsabilité collective des acteurs politiques. Surtout, ces bonnes pratiques pour les municipales pourront être affinées pour une autre élection aux enjeux vitaux pour le pays : la présidentielle de 2027.