Et si nos toilettes devenaient les alliées de notre santé ? Cette question, qui aurait paru incongrue il y a encore quelques années, est en train de devenir plus pertinente que jamais avec de nouvelles innovations.
Depuis plusieurs décennies, le Japon a déjà fait des toilettes un objet technologique à part entière. Chauffage de la lunette, jets d’eau réglables, désodorisation automatique : ces WC high-tech font partie du quotidien. Avec les prototypes récents de la société Toto, une nouvelle étape est désormais franchie : la cuvette devient un instrument d’observation du corps. Le fabricant japonais a présenté un système capable d’analyser les selles grâce à des capteurs optiques et des algorithmes, en évaluant leur forme, leur couleur ou leur consistance afin d’en tirer des indicateurs digestifs transmis à une application dédiée sur son smartphone.
Longtemps cantonnée au confort et à l’hygiène, la « smart toilet » (toilette intelligente) s’ouvre ainsi à un nouveau domaine, la santé. L’idée est simple : exploiter un moment incontournable de notre journée pour collecter, sans effort supplémentaire, des données biologiques jusque-là peu observées en dehors d’un cadre médical. Les excréments deviennent ainsi des signaux faibles, potentiellement utiles pour repérer des troubles digestifs, des déséquilibres alimentaires ou l’évolution de pathologies chroniques.
U-Scan, un module d’analyse d’urine
En Europe, cette logique est portée par la société Withings avec U-Scan, un module d’analyse d’urine qui se place directement dans la cuvette. Pas besoin de changer ses toilettes pour les rendre « intelligentes ». Fruit de plusieurs années de recherche et développement, ce « laboratoire miniaturisé » associe microfluidique, optique et intelligence artificielle pour analyser automatiquement quelques gouttes d’urine, puis transmettre les résultats par Wi-Fi, là aussi à une application mobile. Le système repose sur des cartouches interchangeables, dédiées au suivi nutritionnel ou à la santé rénale et vise un suivi régulier de paramètres comme l’hydratation, l’acidité urinaire ou certains métabolites.
Ces dispositifs d’analyse s’inscrivent dans une vraie tendance plus large : faire de la prévention un processus continu plutôt qu’un rendez-vous ponctuel avec le système de soins. En transformant les toilettes en capteurs passifs, industriels et start-up espèrent ainsi favoriser un dépistage plus précoce, objectiver l’évolution de maladies chroniques et encourager des changements de comportement à partir d’indicateurs concrets. À terme, certains y voient même un outil de veille épidémiologique, par l’analyse agrégée de biomarqueurs au sein de populations.
Mais la promesse se heurte à plusieurs limites. D’abord, la valeur clinique des données produites reste partielle. Les paramètres analysés par ces systèmes sont volontairement restreints et ne remplacent pas un examen biologique complet. Le risque de faux positifs, de faux négatifs ou d’anxiété inutile existe si ces outils sont perçus comme des dispositifs de diagnostic autonomes, sans médiation médicale.
La question sensible des données personnelles
Ensuite se pose la question sensible des données personnelles. Les toilettes connectées génèrent des informations d’une intimité extrême, stockées et parfois analysées dans le cloud. Leur sécurisation, le consentement des utilisateurs et les usages secondaires possibles de ces données constituent un enjeu majeur de confiance et de régulation.
Enfin, leur diffusion reste limitée par le coût – le WC Toto coûte jusqu’à 3 000 € – et l’acceptabilité sociale. Caméras, capteurs et algorithmes dans les WC bousculent, c’est peu de le dire, les représentations de la vie privée. Une validation clinique solide et un cadre clair sont indispensables si on veut que ces technologies deviennent un véritable outil de santé publique et non un gadget high-tech pour un marché de niche.

