À l’heure où les algorithmes confinent les individus dans des bulles informationnelles, le travail de sourcing réalisé dans le cadre d’une activité de veille stratégique constitue un bel exemple d’acte concret et efficace permettant d’éclairer véritablement la décision.
Dans un rapport prospectiviste issu des derniers Etats Généraux de l’information, plusieurs experts s’attachent à décrire l’information telle qu’elle pourrait être en 2050 (« Le monde de l’information en 2050 : des scénarios possibles », coordination INA, sept. 2024). Ces experts y formulent le vœu selon lequel les assistants personnels générés par l’IA pourraient être à terme gérés par des algorithmes limitant au maximum l’enfermement des citoyens dans les bulles informationnelles. On l’aura compris : l’enjeu est de taille, tant il s’avère que nous sommes actuellement en prise avec cet « effet tunnel ».
Diversifier ses sources pour éviter les angles morts
Comment préserver notre capacité à rester au plus près d’idées nouvelles, inattendues, voire divergentes ? Cette question, les organisations qui réalisent au quotidien une veille stratégique la traitent en profondeur, et avec elles les éditeurs de solutions qui les accompagnent. Elle nous renvoie très directement au sourcing, prérequis consistant précisément à garantir que l’information collectée par (et pour) une organisation demeure bien ouverte. Pour les veilleurs et éditeurs de solutions de veille, l’enjeu est clair : il s’agit de proposer des plateformes qui évitent les biais de répétition, tout en assurant un panorama d’opinions et de signaux suffisamment large pour éclairer la décision.
Pour parvenir à cet objectif, les éditeurs déploient une méthode précise, et ce dès le début du projet de veille. Lors des premières réunions de cadrage, les besoins du client sont détaillés : type d’information attendue, public visé, usages internes… À partir de là, les spécialistes de la veille activent un double levier. D’un côté, une infrastructure logicielle robuste ; de l’autre, un accompagnement humain et stratégique.
La véritable valeur ajoutée de cette action première réside dans sa capacité à bâtir une arborescence de sources équilibrée, combinant médias traditionnels, publications institutionnelles, opinions d’experts, mais aussi voix plus marginales, parfois issues du monde académique ou de l’activisme éclairé. L’objectif est d’éviter les angles morts informationnels. Il s’agit bien d’un travail de dentelle, seul à même de couvrir les grands axes sans négliger les signaux faibles.
Maintenir un écosystème de sources vivant dans la durée
Mais un plan de sourcing, aussi pertinent soit-il, peut rapidement devenir obsolète, et pour cause : il reflète un état des lieux réalisé à un instant T. Plus le temps passe, plus les sites Internet évoluent. Certains cessent d’émettre, d’autres émergent. Les veilleurs le savent : un projet de veille nécessite impérativement qu’une maintenance soit réalisée. Cette dernière est double. Elle est d’abord technique : il faut réparer les sources devenues inaccessibles, adapter les connecteurs à l’évolution des sites web. Elle est ensuite éditoriale : il convient d’identifier de potentiels nouveaux émetteurs, de détecter les jeunes experts qui publient, d’intégrer un blog ou une communication scientifique passée sous les radars.
Internet est un organisme vivant. À ce titre, le sourcing doit l’être aussi. Une revue trimestrielle ou mensuelle du corpus de sources, accompagnée d’un dialogue actif entre le client et l’éditeur, est indispensable pour maintenir un taux d’efficacité optimal. Car si une veille défaillante n’induit pas nécessairement une mauvaise décision, elle peut priver l’organisation d’une information déterminante. Et ça, c’est parfois suffisant pour prendre du retard sur la concurrence.
L’agilité du regard : une clef de différenciation stratégique
Les bénéfices d’un sourcing bien réalisé sont multiples. Prenons l’exemple concret, réel, d’une entreprise du secteur du luxe. En optant pour la surveillance resserrée de publications scientifiques, cette organisation a repéré ces derniers temps une innovation discrète en biotechnologie. Cela lui a permis de mettre à jour une collaboration inédite entre une jeune pousse (une start-up spécialisée) et un de ses concurrents historiques. Ce rapprochement, apparu dans une communication technique non relayée par les grands médias, s’est révélé très stratégique : il a permis d’orienter la réflexion interne de l’organisation, et a concrètement contribué à une décision d’investissement permettant d’anticiper une évolution du marché.
C’est à travers ce type d’exemple que l’on peut voir toute la pertinence du sourcing dans la veille. En dépassant le cadre purement vertical pour intégrer des sources périphériques (communications scientifiques donc, mais aussi offres d’emploi, dépôts de brevets, permis de construire…), elle enrichit la lecture de l’environnement et ouvre la porte à une intelligence stratégique collective.
À l’heure où les algorithmes nous incitent à demeurer au sein de bulles confortables, le sourcing réalisé dans le champ de la veille stratégique rappelle l’importance d’un regard large, ouvert, critique, sur son environnement informationnel. Car mal sourcer, c’est risquer de rater une opportunité ou, pire encore, de demeurer dans une perception erronée du réel.
Une leçon que notre société connectée, et de plus en plus cloisonnée, aurait sans doute tout intérêt à méditer.
